Une série animée sur une enfant de 10 ans à la fois familiale et transgressive.
Pendant des années, son personnage fétiche a été Pascal Brutal, symbole de la virilité et “bâtard sensible” (comme dirait le trio hip-hop TTC) évoluant dans un futur incertain. Mais si on met de côté cette série comique d’anticipation – quasi une dystopie vu qu’Alain Madelin y est président –, Riad Sattouf n’aime rien tant que refléter le monde qui l’entoure. Avec son best-seller mondial L’Arabe du futur (quatrième tome à paraître fin septembre), il raconte ainsi son enfance entre Syrie, Libye, Liban et France.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pendant une décennie, il a aussi capté et retranscrit des centaines de scènes du quotidien en quelques cases de BD. Avec La Vie secrète des jeunes, concentré de réalité et samples du quotidien servis tels quels, Riad Sattouf a prouvé qu’il possédait un sens de l’observation dingue.
Riad Sattouf a changé les noms et brouillé les pistes
Les nombreux fans des Beaux Gosses, son premier long métrage sentant fort l’adolescence, ont pu le constater. Depuis trois ans, il fait entendre la voix d’Esther en adaptant fidèlement en BD les récits de la jeune fille. “Je recherche avant tout le goût du réel, c’est vrai !, revendique l’auteur, dessinateur et réalisateur. Même si c’est un réel reconstitué.”
https://www.youtube.com/watch?v=adY03AiyQpo
A l’origine des Cahiers d’Esther, il y a une discussion avec la fille d’un couple d’amis âgée de 10 ans. Le sentiment d’avoir affaire à un être venu d’ailleurs lui donne envie de retranscrire sa parole, quasiment sans filtre. “Parfois, Esther répète beaucoup certains mots, comme ‘pute’, ‘putain’ ou ‘on s’en bat les couilles.’ Au bout d’un moment, je suis obligé de les retenir un peu… mais elle sait aussi parler un langage très châtié ! Il faut que je trouve un bon équilibre…”
Prudence supplémentaire : afin de respecter l’anonymat d’Esther, Riad a changé les noms et brouillé les pistes. Hilarants, parfois effrayants, les trois premiers albums ont trouvé leur public. Impossible de ne pas être frappé et amusé par la vision violemment matérialiste de cette enfant de 10 ans.
Echaudé par l’expérience La Vie secrète des jeunes
Il y a huit ans, La Vie secrète des jeunes avait été adaptée en programmes courts pour Canal+. Interprétées par des comédiens, les saynètes gagnaient en incarnation ce qu’elles perdaient en légèreté et, paradoxe, en crédibilité. N’ayant pas réalisé lui-même la série télé, l’auteur en avait tiré une conviction : il était le mieux placé pour porter à l’écran ses bandes dessinées.
Ainsi, pour l’adaptation des Cahiers d’Esther, de nouveau pour Canal+, il est omniprésent. Il a coréalisé les cinquante épisodes avec Mathias Varin et opté pour l’animation. “C’est suite à une rencontre avec le studio Folimage et Jacques-Rémy Girerd, son fondateur. Je me suis senti en confiance, c’était le bon moment pour essayer ! Je rêvais depuis longtemps de faire de l’animation, mais c’est complexe et cher à produire… Et comment faire pour que le projet soit le plus fidèle possible au livre ?”
La série – chaque épisode adapte une planche du premier album – réussit un joli numéro d’équilibriste entre humour et sociologie brute. On retrouve intacts l’obsession d’Esther pour les marques – elle rêve d’avoir un iPhone – et son champ lexical, qui passe de la tendresse au hardcore. “Il était impensable pour moi de ne pas être au plus proche des livres, confie Riad. J’ai souhaité coréaliser les épisodes pour bien tout surveiller !“
”Je n’avais pas vraiment peur que la série soit édulcorée… je n’ai pas tellement peur en général. Le ‘goût’ (au sens culinaire du terme) des Cahiers tient à ces détails, cet univers commercial fait de marques et d’objets de fascination pour Esther. Il s’agit de son univers mythologique… Enlever le nom des marques aurait été dommage, il n’en a d’ailleurs jamais été question. Canal+ nous a laissé une liberté extraordinaire.”
La série donne aux personnages de papier, en premier lieu la narratrice Esther, des voix qui sonnent authentiques. “Je tenais à ce que les acteurs et doubleurs aient l’âge des personnages. Les enfants me donnaient des conseils, proposaient d’autres mots pour certains dialogues. Elena Plonka, qui fait Esther, a 9 ans et demi et sa voix colle bien au personnage. Je l’ai trouvée vive, enjouée, pas publicitaire, et surtout un peu chipie…”
Petit kif perso, Riad double le père d’Esther
Riad a réalisé un petit kif personnel en doublant le père d’Esther. “J’ai une passion pour le doublage, j’idolâtre Francis Lax, Jacques Balutin… Pour moi, qui ai passé mon enfance devant la télé, les entendre m’hypnotise et me rend heureux. Luq Hamet, doubleur entre autres de Marty dans Retour vers le futur, a fait plusieurs persos secondaires dans la série. Travailler avec lui était un rêve dont je n’allais pas me priver !” Riad a d’ailleurs enregistré des voix maquettes pour guider Mathias Varin et son équipe d’animateurs. “C’était essentiel, le truc central. Je voulais donner le rythme, le tempo, l’esprit et les intonations.”
Au final, Les Cahiers d’Esther abordent de manière frontale des questions sociétales (la sexualité, les rapports de force) et constituent un objet télévisuel joyeusement ambigu et transgressif. “Ça, ça me plaît beaucoup, se réjouit Riad. Esther me raconte des histoires de sa vie, mais parfois elles ne sont pas du tout pour les enfants. Comment les raconter, comment les rendre acceptables ? Je trouve ça passionnant sur ce que ça dit de la société et de ses non-dits, de ses hypocrisies… Le monde des enfants est assez rarement pour enfants !”
Parions tout de même qu’un public familial va se retrouver autour de cette série inclassable et non moralisatrice. “J’aime que les gens se fassent leur avis. Je suis toujours très gêné quand je sens qu’on me fait une bonne petite morale culpabilisante… Je n’aime pas qu’on me fasse la leçon (enfin, sauf si j’ai choisi le prof et qu’il est super !)”
Les Cahiers d’Esther – Histoires de mes 10 ans Série coécrite par Riad Sattouf et Dorothée Lachaud, coréalisée par Riad Sattouf et Mathias Varin, diffusion sur Canal+ à partir du 3 septembre
{"type":"Banniere-Basse"}