Le monde ouvrier est au coeur d’une exposition surprenante et militante au Crédac d’Ivry-sur-Seine. Pour remettre l’homme au centre du monde.
L’idée à germé en 2006 lorsque Manpower, célèbre entreprise d’intérim, a changé son logo, détrônant l' »homme de Vitruve » (ce dessin de Léonard de Vinci qui lui servait de référent depuis les années 60) au profit d’une image abstraite. Un changement de représentation symptomatique d’un nouveau paradigme, selon la directrice du Crédac, Claire Le Restif : l’homme n’est plus au centre. L’exposition qu’elle en a tiré, dans l’ancienne Manufacture des OEillets d’Ivry-sur-Seine (le centre d’art étant désormais logé dans cette ancienne fabrique de porte-plumes et oeillets métalliques), enregistre l’inexorable déclassement du monde ouvrier.
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« Il y a encore six millions d’ouvriers en France, ce n’est donc pas une histoire morte ou fossilisée que nous racontons ici », prévient cependant Claire Le Restif.
De fait, une quinzaine d’artistes anciens et contemporains (des frères Lumière qui ouvrent l’exposition avec leur tout premier film – tourné durant la pause déjeuner de leurs ouvrières en 1895, il inaugure le genre cinématographique -, jusqu’à la jeune Bertille Bak qui recopie à la main 97 façades de corons, ces maisons pour mineurs du nord de la France) sont convoqués pour s’emparer de cette histoire. Artiste historien, archiviste, activiste ou archéologue, ils sont là pour commémorer et réactiver ces luttes fondatrices.
Une histoire en forme de puzzle
C’est le cas de Jean-Luc Moulène, dont la série Trente-neuf objets de grève est l’un des pivots de l’exposition. Neuf de ces objets, accompagnés d’un livret qui les documente et a été imprimé par la Mairie d’Ivry (« pour que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités »), sont ici présentés. Ils ont tous été produits par des ouvriers lors de grèves, sur leurs propres machines. Des outils de résistance, dans tous les sens du terme, qui font aujourd’hui écho aux combats des ouvriers d’ArcelorMittal, PSA ou Fralib.
C’est une autre histoire, celle des ouvriers de Renault à Boulogne-Billancourt, que ressuscite de son côté l’artiste d’origine vietnamienne Thu Van Tran. Répondant à Marguerite Duras vingt-deux ans plus tard, elle exauce le voeu de l’écrivain, qui souhaitait que l’on consigne les noms des ouvriers et ouvrières pour former un « mur de prolétariat ». « La vérité, c’est le nombre », affirmait Duras dans Écrire. Le chiffre calculé par Thu Van Tran avec l’aide des syndicats parle en effet tout seul : ils sont 199 491 à avoir animé les usines de Boulogne-Billancourt pendant cinquante-huit ans. Ce projet déjà présenté à la Maison Rouge connaît ici un prolongement inattendu avec la bibliothèque in progress constituée sur la base des lectures fétiches de ces mêmes ouvriers.
C’est une autre bibliothèque, celle de Maurice Thorez, dirigeant du PCF de 1930 à 1964 et ancien député d’Ivry, que revisitent encore Chloé Maillet et Louise Hervé à travers un classement d’archives et d’objets de sa collection (presse-papiers et serre-livres principalement) ainsi qu’un texte qu’elles performeront le 1er décembre.
Bien d’autres artistes, les Becher, Richard Serra, Harun Farocki, Jorge Satorre ou Simon Boudvin, entre autres, viennent aussi émailler cette histoire en forme de puzzle à reconstituer. En elle-même, l’exposition, qui affiche volontiers ses coutures et ses dessous, entend « laisser la structure et le travail des régisseurs de l’exposition visible », comme l’explique Claire Le Restif. « C’était aussi une solution de crise », ajoute la commissaire devant une oeuvre minuscule venue se loger dans l’épaisseur d’une cimaise brute de décoffrage. Signée Mircea Cantor, c’est une simple boîte d’allumettes. Qui brûlent par les deux bouts. Tout un symbole.
L’Homme de Vitruve jusqu’au 16 décembre au Crédac d’Ivry-sur-Seine, www.credac.fr
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