A l’affiche de « The Mountain » (en salles le 26 juin), Jeff Goldblum était à Paris à l’occasion de l’édition 2019 du Champs-Elysées Film Festival, où il est invité d’honneur. Entre le savant fou et le dandy extravagant, trublion alarmiste dans « Jurassic Park » et métamorphe involontaire chez Cronenberg, l’acteur de 66 ans a su bâtir une filmographie à son image : changeante et pourtant étonnamment cohérente. Après un entretien bref, portrait d’un acteur inclassable.
C’est un grand escogriffe à la nonchalance savamment entretenue, une silhouette dégingandée d’1m94 qui impressionne autant qu’elle rassure. En société comme à l’écran, Jeff Goldblum diffuse un charme vaporeux dont il a le secret, une élégance naturelle qu’auréole son goût prononcé pour le style, mélange sophistiqué d’étoffes raffinées et d’une touche d’excentricité, qui lui avait valu fin 2018 d’être sacré « most stylish person of the year » par le magazine Dazed. Acteur iconique pour pas mal de Millennials biberonnés au lait de dinosaures, scientifique doux-dingue condamné par sa propre expérience chez Cronenberg, ou égérie d’Instagram acclamée par la génération Z – qui en a fait une star d’internet et une formidable usine à mèmes – l’acteur de 66 ans a su entretenir le magnétisme éthéré qu’il n’a cessé d’exercer sur plusieurs générations de spectateurs.
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Sa carrière aura tout connu : les débuts confidentiels, les seconds rôles remarqués et les premiers acclamés, les années de vaches maigres et les retours au sommet. Une courbe sinusoïdale constellée de points référentiels, d’où se dégagent un goût prononcé pour les personnages extravagants – et notamment de scientifiques à la folie douce – un penchant pour l’ironie et la science consommée de la formule, et une certaine idée du dandysme. A l’occasion de l’édition 2019 du Champs-Elysées Film Festival, où il est invité d’honneur, nous avons pu le rencontrer brièvement. Signe d’élégance suprême, alors que notre entretien est dûment chronométré, l’acteur commence par s’enquérir de notre bien être. Et quand on arrive finalement à poser notre première question, il pèse d’abord ses mots, fait claquer sa langue sur son palet, et laisse éclater un rire parfaitement goldblumien dont le motif exact nous échappe quelque peu. Le silence avant Jeff Goldblum, c’est déjà du Jeff Goldblum.
Vocation
« J’ai toujours voulu être acteur« . La formule a beau être toute faite, et rompue à l’exercice promotionnel, elle exprime l’intime conviction de Jeff Goldblum, qui en 1969, alors âgé de 17 ans, intègre la prestigieuse Neighborhood Playhouse School, une école de théâtre new-yorkaise ayant vu passé sur ses planches une palanquée d’étoiles (Grace Kelly, Gregory Peck, Dustin Hoffman, Steve McQueen Sidney Lumet, Robert Duvall ou Diane Keaton pour ne citer qu’eux…). Le jeune Jeff y fait la connaissance de Sanford Meisner, acteur et professeur de théâtre ayant développé la technique Meisner, une théorie du jeu d’acteur (cousine de la « Méthode » de Lee Strasberg) promouvant un jeu organique « plus réel que le réel« .
« Etudier avec Sanford Meisner m’a fait comprendre qu’il s’agissait d’un véritable métier, avec toute la rigueur que ça exige. A 17 ans, je savais que je voulais y consacrer ma vie, et Sanford m’a permis de comprendre qu’il ne s’agissait pas seulement d’une lubie, ou d’un rêve de gosse loin des réalités, mais que ça pouvait être un choix de carrière sérieux, qu’entreprennent des personnes sérieuses. Qu’on pouvait en faire un véritable métier, pas seulement une passion, et travailler son art comme un véritable artisan. J’ai donc beaucoup travaillé. Après quoi, j’ai eu beaucoup de chance« .
Passé un premier long-métrage dans lequel il incarne un voyou (Un justicier dans la ville de Micheal Winner en 1974), Goldblum enchaîne longtemps les petits rôles, notamment chez Robert Altman (Les Flambeurs en 1974, Nashville en 1975) et Woody Allen (Annie Hall en 1977). En 1978 il goûte pour la première fois à la science-fiction, genre qui fera sa renommée, en jouant dans L’Invasion des profanateurs de Philip Kaufman, qu’il retrouve en 1983 dans L’Etoffe des héros. Mais son premier grand rôle, et certainement le plus mythique de sa carrière, il le décroche en 1986 dans La Mouche de David Cronenberg, où il prête sa silhouette filiforme et son regard ahuri à un savant excentrique et visionnaire, voyant son corps muter dangereusement suite à une expérience de téléportation viciée. Une partition programmatique puisque la figure du scientifique décalé, voire déjanté, mu par des obsessions que jugule une fantaisie lunaire – ou bien une coolitude un brin friponne – , finira par lui coller à la peau.
Savant fou
Dans Jurassic Park (1993), puis Le Monde Perdu (1997), il incarne le Professeur Ian Malcolm, mathématicien extravagant au look de rock star mal dégrossie, qui distribue des saillies corrosives sur le péril ontologique que représente la recréation de dinosaures, quand il ne badine pas lourdement avec Laura Dern. Dans Independance Day, il devient le sauveur environnementaliste d’une Terre sous occupation alien. Dans Comme chiens et chats (comédie animalière gentiment débile) il campe un scientifique travaillant sur une formule anti-allergie aux chiens, et doit faire face aux velléités insurrectionnelles d’une armée de chats ninjas. Dans un registre autrement plus sérieux, il incarne dans The Mountain, en salles mercredi prochain, un psychiatre itinérant dans les années 1950, arpentant les routes américaines pour promouvoir sa méthode de lobotomie controversée.
Quand on l’interroge sur les nombreux rôles de scientifiques, plus ou moins excentriques, qui ont émaillé sa carrière, Jeff Goldblum esquisse le sourire poli de celui à qui on a déjà posé la question quelques centaines de fois, mais, en bon gentleman, s’emploie à répondre sans sourciller : « C’est une pure coïncidence. Je ne sais pas à quoi c’est du, ni pourquoi j’ai si souvent joué des scientifiques. Peut-être parce que mon père était docteur. Peut-être parce que j’inspire un certain esprit scientifique aux réalisateurs qui m’ont employé. Peut-être que ça a à voir avec ma façon de toujours chercher mon propre chemin. Mais pour moi, c’est une coïncidence. J’aime la science, et je m’y intéresse beaucoup. J’ai énormément de respect pour les scientifiques, et j’aimerais qu’ils soient plus écoutés. Mais je ne sais pas vraiment pourquoi j’en ai joué tant.«
Pourtant, à le regarder laisser infuser les mots avant de parler, lever un index souverain au moment de répondre, ou dessiner du bout des doigts des graphiques invisibles, on devine l’esprit éthéré qui actionne souterrainement les leviers de cette gestuelle complexe. Derrière le charme et l’élégance, et l’allure délicieusement nonchalante, semble sommeiller un cerveau archimédien où les concepts se bousculent, et où l’abstraction est de mise. Et quand soudainement ses yeux s’écarquillent, on sent poindre l’inquiétante étrangeté qui habillait le visage halluciné du professeur Brundle dans La Mouche, au moment fatidique où lui venait son eurêka funeste.
« La vie trouve toujours son chemin »
En bon scientifique, Goldblum croit moins que le monde est régi par le destin que par une succession de hasards, et ne cesse de parler de la « chance » qui a ponctué sa carrière. « J’ai surtout eu la chance de tourner dans des films différents les uns des autres. Des grosses productions hollywoodiennes mais aussi des films d’auteur. Des acteurs très talentueux se cantonnent parfois à un type de film, j’ai eu la chance de pouvoir en explorer différents. Grâce à des rencontres déterminantes, mais aussi grâce à de la chance.»
En plus d’avoir revêtu la blouse blanche (ou le blouson de cuir) de scientifiques marginaux, Goldblum a exploré tout le spectre du cinéma américain, du film d’exploitation fauché au blockbuster verrouillé en passant par le pensum auteurisant. Grand Maître chez Marvel (Les Gardiens de la Galaxie vol. 2, Thor : Ragnarok) et étoile récurrente de la galaxie Wes Anderson (La Vie aquatique, Grand Budapest Hotel, L’île aux chiens), Jeff Goldblum poursuit tranquillement son chemin, retrouvant parfois de vieux amours (Jurassic World : Fallen Kingdom, Independance Day : Resurgence) ou s’aventurant dans de nouvelles contrées (The Mountain).
Comme on aime profondément le Goldblum scientifique, on n’a pas pu résisté à lui demander – allusion à sa célèbre réplique dans Jurassic Park – s’il pensait, à l’instar de Ian Malcolm, que la vie trouvait toujours son chemin. « La vie est mystérieuse, n’est-ce pas ? Elle est étrangement puissante, incompréhensible, pleine de ressources, et flexible. Elle s’adapte. Je pense que dans les décennies à venir, on va arriver au bord de quelque chose de nouveau, une frontière nouvelle, et que nous aussi, on va devoir s’adapter. Nous sommes à un moment unique de l’humanité, avec de nouveaux enjeux : la disruption technologique, l’émergence de l’intelligence artificielle, le changement climatique, les risques de guerres nucléaires. On va devoir s’adapter, et coopérer, comme jamais on l’a fait auparavant.«
Les dinosaures auront bon renaître, l’intelligence artificielle dominer le monde, et l’humanité s’adapter ou non aux périls qui la guettent, une chose est sûre : Jeff Goldblum, lui, trouvera toujours son chemin.
The Mountain de Rick Alverson, en salles le 26 juin
Champs-Elysées Film Festival, à Paris du 18 au 25 juin – Le programme
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