Après six ans d’absence, le songwriter, désormais marié et père de famille, est bien moins solitaire mais capture toujours avec grâce ces instants fragiles du quotidien.
Il n’écrira sans doute jamais ses mémoires. Tout simplement parce que le travail a déjà été fait. En trente ans de carrière et plus de quinze albums, Bill Callahan s’est appliqué à compiler ses obsessions, ses interrogations et surtout ses pensées tourmentées. De la chambre sombre et calfeutrée de Sewn to the Sky (1990), son premier disque sous l’alias Smog, au bar de l’hôtel évoqué dans The Sing en ouverture de Dream River (2013), chaque sortie de l’Américain finit par prendre la forme d’un recueil de chroniques personnelles. Shepherd in a Sheepskin Vest, son premier long format en six ans, n’échappe pas à cette règle et s’inscrit dans une œuvre unique et introspective, qui fait de Bill Callahan le songwriter le plus fascinant du folk contemporain.
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“Mes disques sont mon passé, confirme-t-il au téléphone. Ce sont comme des photographies d’un certain instant, un moment précis enfermé dans une capsule. Je me fiche d’y revenir et de les réécouter. J’ai toujours besoin d’aller de l’avant.” A l’autre bout du fil, Bill Callahan paraît métamorphosé. Il ne fait plus d’interviews par fax et se montre beaucoup plus loquace et expressif qu’à l’accoutumée. La vie du musicien a totalement changé. Et ce n’est pas la voix du petit garçon que l’on entend à ses côtés dans le combiné qui nous fera dire le contraire.
“Well, it’s been such a long time”, chante-t-il
L’ancien Smog solitaire est à présent marié et père d’un enfant de 4 ans. On comprend mieux pourquoi le folkeux n’avait rien publié depuis 2013. Dès ses débuts, il nous avait habitués à un rythme de parution soutenu. Ces six années d’absence ont alors paru une éternité. “Well, it’s been such a long time”, chante-t-il dès les premières mesures de son nouveau disque.
“Effectivement, c’était très long, avoue Callahan. Avoir un enfant est un travail à plein temps. Au début, je ne faisais rien d’autre que m’occuper de mon fils. Puis, lorsqu’il s’est mis à grandir, j’essayais de travailler autant que possible chaque jour, dès que je pouvais m’échapper. Je fais de la musique depuis trente ans. C’est quelque chose qui fait partie de moi et qui ne s’arrêtera jamais. Je savais que je n’étais pas fini. Il fallait juste que je retrouve mon chemin et, surtout, que j’essaye de rester patient. L’impatience est la pire des choses pour la créativité.”
Pendant vingt-cinq ans, l’unique responsabilité du songwriter était de faire de la musique du matin au soir. Il ne possédait rien, s’habillait uniquement avec “trois chemises et deux pantalons”. Le concept de se marier, avoir un enfant, une maison et tout ce qui va avec était pour lui “le sujet le plus ennuyeux qui soit”.
S’il assure que sa nouvelle vie n’a pas affecté son approche de la musique, Bill Callahan chante désormais les joies d’être père de famille. La maison familiale sert de décor à ses réflexions. Les scènes de vie domestique surgissent ici et là. La voix est largement mise en avant et, même si le quinquagénaire continue de filer la métaphore, l’écriture est plus directe, plus explicite que par le passé.
“Avec ce disque, j’invite les gens chez moi”
“Mon épouse dit toujours que la vérité est la chose la plus intéressante. Mais c’est souvent plus facile d’inventer que de dire la vérité, admet-il. J’adore les livres de Studs Terkel, ils te font comprendre que toute vie peut être fascinante, pour tout un chacun. Je pense donc que l’art est partout, même lorsqu’on décrit les choses telles qu’elles sont. Avec ce disque, j’invite les gens chez moi. Je leur fais découvrir l’intérieur de ma maison, l’existence assez banale en apparence d’un couple avec un enfant. L’idée est d’exposer l’héroïsme ordinaire qu’il y a derrière le fait d’être marié et d’être père.”
Par son format double album, Shepherd in a Sheepskin Vest offre une vue d’ensemble de ce que l’Américain se plaît à décrire. Derrière ses arrangements toujours aussi subtils, il s’efforce de mêler points de vue individuels et universels pour “donner plusieurs angles différents” à sa joyeuse histoire. Après six ans d’absence, le folkeux taciturne se présente sous un jour plus apaisé.
Pourtant, il n’en finit pas de se questionner et de s’exprimer sur ses tourments persistants. “Il y a encore beaucoup de morts sur cet album, observe-t-il. Depuis Dream River, j’ai vu naître mon fils mais j’ai également tenu la main de ma mère pendant qu’elle était en train de mourir. J’ai donc le sentiment d’avoir été aux deux extrémités de la vie ces dernières années. Et malgré l’horreur de la mort, je trouve qu’il y a de la beauté dans tous ces extrêmes.”
Comme évoqué frontalement sur le sublime Son of the Sea, la naissance de son fils a bien failli avoir raison de lui. “Ça m’a réellement tué dans un sens, ajoute le musicien. Avant, je n’étais qu’un simple songwriter. Je suis mort pour devenir un mari et un père, en plus d’être un songwriter. L’ancien type que j’étais, qui ne faisait qu’écrire des chansons, ne pouvait plus vivre dans mon monde. Je devais mourir pour mieux renaître.” Bill Callahan a toujours essayé de capturer les périodes extrêmes de son existence dans sa musique. Avec Shepherd in a Sheepskin Vest, il vient sûrement de signer l’album le plus extrême de sa discographie. De quoi savourer sa renaissance.
Album Shepherd in a Sheepskin Vest (Drag City/Modulor)
Concert Le 5 octobre, Paris (La Cigale)
Valentin Gény
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