L’annonce de sa fermeture par son fondateur, Antoine de Galbert, en janvier 2017 avait sidéré et ému le milieu de l’art contemporain français. La Maison Rouge, fondation Antoine de Galbert, ouverte en 2004, clôt le chapitre de sa vie et sonne le glas d’un espace d’exposition phare de l’art contemporain à Paris. Mais, c’était quoi, la Maison Rouge ?
Avec L’Envol, présentée dans les 1 300 mètres carrés d’espaces d’exposition du boulevard de la Bastille, la Maison Rouge appose le point final de quatorze années de programmation culturelle. Adossée à la fondation Antoine de Galbert, reconnue d’utilité publique, la Maison Rouge fermera donc ses portes en octobre prochain, choix téméraire et revendiqué par son fondateur afin de finir « au plus haut de la vague« . A l’origine de la Maison Rouge, il y a l’initiative d’un collectionneur passionné qui souhaitait, grâce au statut juridique de la fondation, dévoiler au public des pans de sa collection, autant que présenter les travaux d’une scène contemporaine française et étrangère emportant sa conviction, plus que cédant aux effets de mode.
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S’il ne s’agit pas de placer l’institution sur le piédestal qui sied à tout élan de (déjà) nostalgie, la force de la Maison Rouge résidait bien dans l’exigence de ses partis pris d’exposition. Sans tomber dans un jusqu’au-boutisme caricatural aux adjectifs consacrés – précurseur, dénicheur de talents ou représentation marginale – la Maison Rouge s’aventurait sur des chemins audacieux, confidentiels ou, somme toute, peu empruntés des grosses institutions culturelles. C’est aussi la liberté que confère la personnalité morale de droit privé, dédouanant l’institution de toute mission de service public culturel. Pourtant, ce positionnement à double tranchant – caractérisé par une sincérité de programmation véritable et portée sur le long terme – n’était pas dénué de risques, pour la pérennité budgétaire du lieu comme pour sa reconnaissance auprès du public. La Maison Rouge s’est en effet forgée une réputation auprès de visiteurs surtout férus d’art contemporain, ensemble trop confidentiel pour assurer l’économie d’un lieu non subventionné, vivant sur sa dotation initiale.
L’aventure s’achève donc ici, et c’est bien dommage, étant donné l’identité du lieu patiemment consolidée. Mais toutes les bonnes choses ont une fin ! Cette identité, justement, qu’elle était-elle : c’était quoi, les (très) bonnes choses de la Maison Rouge ?
Une philosophie collectionniste
Il y a différentes manières de collectionner et, surtout, de capitaliser sur l’exposition de ses fruits. La tentation actuelle des fondations, auxquelles sont adossées des collections, s’inscrit souvent dans des stratégies d’exposition « blockbuster », sur fond de branding industriel. Antoine de Galbert, dans la mesure de sa fortune, a collectionné au cœur et à l’envie. Une sincérité qui a infusé la programmation de la Maison Rouge, détournée des soupçons de tremplin spéculatif. La spontanéité et l’engagement de sa démarche se retrouvaient naturellement au fil des expositions centrées autour de sa collection, mais également de celles de ses acolytes collectionneurs, mises en lumière une fois par an. Des poupées de Debbie Neff à l’art brut d’Arnulf Rainer, en passant par la photographie africaine d’Arthur Walter, se dessinait la cartographie d’une passion unanime de l’oeuvre, en tant que support de création et réceptacle culturel.
Par delà l’oeuvre, l’identité collectionniste de la Maison Rouge s’esquissait aussi à travers le soutien renouvelé du lieu aux artistes, dans une démarche réfléchie et rétrospective. Ouvrir l’oeuvre de l’artiste à un dialogue dans le temps (Hélène Delprat exposée en 2007 et 2017), assurer l’évolution de la création (Nicolas Darrot présenté dans le patio en 2006 puis en carte blanche en 2016), autant de propositions qui ont forgé la réputation de l’institution, soucieuse de maintenir son exigence et sa cohérence auprès de ses talents « élus ».
Collectionner, c’est aussi entretenir ses propres marottes, qu’elles soient ou non dans l’air du temps. Il y avait dans les propositions de la Maison Rouge une attention renouvelée à certaines formes artistiques, resurgissant du goût d’Antoine de Galbert. L’art brut, bien sûr, mais aussi des formes artistiques marginales car émanant de minorités : handicapés mentaux (L’atelier La Passerelle) ou internés psychiatriques (Pippo Delbono, Ma mère et les autres). Une forme de pied de nez au cynisme attendu d’un collectionneur d’art contemporain.
La revendication d’un (certain) goût contemporain
Dans cet esprit singulier et convaincu, les choix de la Maison Rouge s’orientaient vers la présentation d’artistes ou de courants artistiques sinon à contre-courant, du moins peu représentés dans les circuits institutionnels : les oubliés de la Figuration Narrative, l’artiste rom Ceija Stojka… Sur l’autre plateau de la balance, il y avait bien quelques stars de l’art contemporain – Christian Boltansky, Dieter Appelt – ou des grands noms en devenir, présentés à l’aube de la renommée (Mika Rottenberg, Luc Delahaye). Pourtant, l’équilibre – né de l’alternance – était savamment assuré.
L’affirmation d’un goût pour une contemporanéité moins balisée se retrouvait également dans l’espace laissé aux scènes étrangères, puisque la fondation avait consacré un cycle aux villes du monde et à leurs artistes, dans un souci de promotion d’une création diversifiée. Les jeunes artistes, non plus, n’étaient pas en reste. La Maison Rouge accueillait en effet les lauréats des prix partenaires et, annuellement, la création in situ pour le patio d’un artiste désigné par les Amis de la fondation. Elle s’ancrait finalement dans une idée d’ouverture : sur le monde et sur ce qui peut se faire en art, de très bon comme de plus hésitant, sans trop céder aux tentations des valeurs refuges.
Dans ce panorama très monographique, non sans souci de vulgarisation, les expositions thématiques favorisaient des angles au sujet ou la forme éloignés, voire prohibés, des sentiers battus. Pêle-mêle, le focus a pu être proposé sur la bande-dessinée, le vinyle ou encore les créations en fibres assemblées ou la relation entre artistes et psychotropes.
En s’envolant définitivement, la Maison Rouge laisse derrière elle un héritage divers et original, forgé à l’ambition de son fondateur et de son équipe de montrer ce qu’ils aimaient, ce en quoi ils croyaient. Une banalité qui relève de l’évidence, mais qui ne va plus forcément de soi dans le paysage culturel actuel.
L’Envol, ultime exposition de la Maison Rouge, jusqu’au 28 octobre
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