Ancien alter ego de Quentin Tarantino aujourd’hui en cheville avec Bret Easton Ellis, Roger Avary a dirigé la seconde saison de XIII, diffusée cette semaine sur Canal+. Rencontre frappée avec ce brillant franc-tireur d’Hollywood depuis vingt ans.
Il a formé avec Quentin Tarantino le duo créatif le plus cool des années 90, même si peu de gens étaient au courant. Non crédité, Roger Avary est à l’origine de l’histoire de True Romance et a écrit certains dialogues de Reservoir Dogs. Les compères ont ensuite remporté ensemble l’oscar du scénario pour Pulp Fiction (1995). Après avoir réalisé le culte Killing Zoe (1993), Avary est retourné dans l’ombre, devenant l’un des « script doctors » les plus demandés d’Hollywood, travaillant sur de grosses productions. Il sortait du bois de temps en temps, comme réalisateur d’un bijou, Les Lois de l’attraction (brillante adaptation de Bret Easton Ellis en 2002) ou scénariste de films de genre (Silent Hill de son ami Christophe Gans, La Légende de Beowulf de Robert Zemeckis). Comment ce franctireur s’est-il retrouvé aux commandes d’une série Canal+ ? Il va nous le raconter, non sans avoir commandé un double café, littéralement : deux cafés côte à côte, qu’il boira l’un juste après l’autre, confessant une addiction au breuvage noir.
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« Les bons showrunners sont d’excellents scénaristes qui savent penser comme des patrons de chaîne »
Après une grave mésaventure avec la justice américaine (impliqué dans un accident de voiture qui a causé la mort d’un passager, il a passé huit mois en prison en 2010), Roger Avary a probablement vu dans la proposition de Canal+ (coproducteur de la série avec trois autres chaînes : M6, la canadienne Showcase et l’américaine ReelzChannel) la possibilité de continuer à travailler tout en se faisant un peu oublier outre-Atlantique. Il envisage alors le job comme une expérience pour « apprendre à fabriquer une série », découvre le métier de showrunner et tombe de haut :
« Sur une série, on ne termine jamais un scénario parce qu’il est bon, on le termine parce que derrière la porte, trépignant, se tient quelqu’un qui doit l’apporter aux bureaux de production. Tâche d’autant plus difficile quand vous avez, sur chaque script, plusieurs pages de remarques émanant des quatre chaînes coproductrices. »
Il insiste : « Chaque jour, plusieurs pages ! » S’est ajouté à cela un tournage de six mois au Canada particulièrement éprouvant : « Si des personnages doivent sauter d’une voiture en marche, eh bien au Canada ce n’est pas légalement possible. La voiture doit être à l’arrêt quand ils sautent. » Plus on l’écoute, plus son expérience apporte un contrepoint bienvenu au discours habituel – les séries comme nirvana créatif, où des demi-dieux travaillent comme des fous mais s’éclatent dans un océan de possibles. Avary nuance même nos certitudes les plus ancrées : « La légende veut que la télé soit un médium de scénaristes. C’est un mensonge. Les très bons showrunners sont d’excellents scénaristes, mais qui savent penser comme des patrons de chaîne. »
À sa façon, Avary est un pur, aux prises avec un job finalement plus étranger à ses valeurs qu’il ne le pensait. Dans XIII saison 2, il a voulu incorporer des méthodes empruntées au cinéma (tourner en décors réels, donner de la liberté aux réalisateurs) et casser une règle d’or : « Une série télé joue sur la familiarité, semaine après semaine. Moi, je voulais un épisode-comédie, un épisodefilm d’horreur, un épisode-Polanski, etc. » La nouvelle saison de XIII apparaît dans ses meilleurs épisodes comme le laboratoire de son cerveau en ébullition, nourri à la cinéphilie bis et VHS lors de son adolescence.
Une pure adolescence californienne, qu’il nous raconte devant le café numéro 3 : « Quand je travaillais sur le scénario des Seigneurs de Dogtown, au moment où David Fincher devait réaliser le film (ce fut finalement Catherine Hardwicke qui le tourna – ndlr), j’ai trouvé mon point d’entrée dans le projet parce que toute ma jeunesse et celle de mes copains s’organisait aussi autour d’un seul centre de gravité : dans le film, c’était le surf-shop, Quentin et moi, le vidéoclub. »
Lorsqu’il se soûlait de films huit à dix heures par jour dans le désormais célèbre vidéoclub de Manhattan Beach où il travaillait à 16 ans avec Tarantino, Roger Avary imaginait-il faire un jour de la télévision ? Sans doute pas. Pourtant, une bonne partie de ses films préférés ont été confectionnés à l’âge classique hollywoodien, dans le système des studios, assez proche de la fabrication des séries actuelles.
« Quand je regarde Breaking Bad, fort de mon expérience sur XIII, la complexité de ce qu’ils font, en décors réels, semaine après semaine, me saute à la figure. Ces gars, je les vois comme des surhommes aujourd’hui. »
Bret Easton Ellis, son nouveau frère créatif
Cela n’empêche pas Avary de vouloir revenir à la télévision dès que possible. En Amérique, cette fois. Il a imaginé avec Bret Easton Ellis, son nouveau frère créatif, une série où James Van Der Beek (idole teen de Dawson, déjà acteur dans Les Lois de l’attraction) incarnerait un banquier qui tente coûte que coûte de garder en vie l’Amérique d’après l’Empire américain, « de façon criminelle, mais pour des raisons nobles. Une sorte de Bernie Madoff, mais jeune, sympathique et beau ! »
Cette série, pour l’instant nommée Spencer Banks, n’est pas son seul projet en lien avec l’auteur culte de la génération X. « Je veux adapter Glamorama et Lunar Park. Dans ma carrière, j’ai beaucoup fonctionné en duo, avec Quentin, puis Neil Gaiman (écrivain et auteur de BD avec qui Avary a écrit La Légende de Beowulf – ndlr), de bonnes collaborations. Bret, c’est différent : on est tout simplement identiques. On a grandi dans le même environnement, on a presque le même âge. Il approuve mes adaptations de ses livres alors que j’introduis des changements importants. Mais les modifs que j’apporte pour m’approprier ses histoires ne font finalement que compléter ce qu’il est déjà. Comme si nous vivions une vie parallèle. »
Comme dans cette saison 2 de XIII, où Avary a inventé un jumeau maléfique au héros, Bret Easton Ellis serait-il son double ? « Ou moi le sien ! Nous avons les mêmes obsessions. Un exemple : au restaurant, on dîne, sans se rendre compte que peu à peu la salle s’est vidée et que nous sommes à présent les seuls clients. Bret commence à s’inquiéter sincèrement qu’on nous y enferme. Je vois le monde comme un film, et lui aussi ! Au milieu d’une conversation, il va raconter un truc qui lui est arrivé, et ajouter ‘là, la caméra s’est approchée de moi’… Quelle caméra ?! Dans son esprit, tout est filmé. Il a une vision postmoderne et polanskienne de l’existence. Et je la comprends absolument. »
En attendant, vieux fantasme cinéphile, Avary rêve de réaliser une comédie musicale, encouragé par la scène de strip-tease des Lois de l’attraction, parodiée à l’envi sur YouTube. « On avait bouclé notre journée de tournage en avance. Je vois Russell Sams avec son cuir et ses lunettes noires, il me fait penser à George Michael. C’était son premier jour de tournage : en guise de bizutage, je lui ai demandé de se déshabiller sur la chanson Faith. Ian Somerhalder, qui passait par là, s’est joint à lui. Je crois que c’est ce que j’ai filmé de mieux dans toute ma carrière. » Bien sûr, pour cause de production indie fauchée, impossible de payer les droits de la chanson. Mais le chanteur les lui a cédés pour le film. « Pour ça, je défendrai et aimerai George Michael toute ma vie. » Saine conclusion.
XIII saison 2 avec Stuart Townsend, Roxane Mesquida. À partir du 15 octobre sur Canal+
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