Figure de proue de la grève des postiers des Hauts-de-Seine, qui dure depuis 14 mois, le délégué syndical Gaël Quirante a passé 24 heures en garde à vue suite à l’occupation du siège de La Poste. Au même moment, un gréviste menaçait de s’immoler par le feu.
C’est sous une salve d’applaudissements nourris, et avec un soulagement non dissimulé que Gaël Quirante est sorti de garde à vue, ce 17 juin aux alentours de 14 heures. Ses amis et camarades n’ont pas ménagé leurs efforts pour obtenir son retour parmi eux : plusieurs organisations syndicales et politiques – dont le NPA, la France insoumise ou encore Lutte ouvrière – ainsi que le comité de soutien des postiers du 92 (Hauts-de-Seine), se sont mobilisées devant les locaux de la Sûreté territoriale (XIXe) et le commissariat du XVe arrondissement, où il a été successivement détenu pendant 24 heures.
✊GAËL EST LIBÉRÉ !
Gaël, syndicaliste La Poste du 92, est libéré après 24 heures de garde-à-vue pour avoir seulement occupé La Poste.
D’abord poursuivi pour avoir dégradé du matériel alors que les dommages sont causés par l’intervention policière, les griefs ont alors changé ! pic.twitter.com/POQ9olSKyr
— Eric Coquerel (@ericcoquerel) June 17, 2019
Brochures politiques, textes de Trotski et badges perquisitionnés
Le dimanche 16 juin, aux alentours de 6 heures du matin, ce gréviste de 44 ans, délégué syndical à SUD PTT et militant politique au NPA, est interpellé à son domicile. “Au moins six policiers menaçaient d’utiliser un bélier si je n’ouvrais pas. Vous imaginez ce que ça fait. Je ne comprenais pas”, explique-t-il par téléphone. Les policiers lui annoncent son placement en garde à vue (GAV) pour “dégradation de biens publics” suite à une action syndicale. Dans la nuit du 14 au 15 juin, une cinquantaine de ses camardes et lui, en conflit avec la direction départementale de La Poste depuis plus d’un an sur la réorganisation des bureaux de poste et les conditions de travail, ont occupé le siège de l’entreprise à Paris.
Contactée par Les Inrocks, la direction nationale de La Poste nous fait savoir que le 14 juin, 66 individus ont “pénétré par effraction dans les locaux du siège de La Poste. Ils ont commis d’importantes dégradations, saccageant des bureaux et des équipements. Ce groupe n’a libéré les lieux que sur intervention des forces de l’ordre. Tous ont été contrôlés par la police et ont été ou vont être entendus dans le cadre de plaintes déposées par La Poste”. Selon la direction, de nombreuses actions sont menées contre La Poste depuis le licenciement de Gaël Quirante, “principal meneur du groupe”, condamné pour “séquestration”. Elle précise que ces actions “s’appuient sur un conflit local qui concerne un nombre limité de facteurs des Hauts-de-Seine, mobilisant moins de 5 % des postiers du département”.
Vers 3 h 45 du matin, la police a fini par expulser les occupants du bâtiment, comme le relate Gaël Quirante : “La police nous a proposé un contrôle d’identité et la possibilité de quitter les lieux librement avec la promesse qu’on serait reconvoqués ultérieurement – et pas cueillis chez nous, en mode perquisition et GAV au petit matin !”.
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Au petit matin le 16 juin, son studio est en effet passé au peigne fin par les policiers, qui s’emparent de matériel politique, mais pas seulement : “Ils ont raillé la littérature qui était dans ma bibliothèque, ont pris des brochures politiques, des textes de Trotski, des badges, mon ordinateur, mon portable, ma tablette. Ils ont fait le tour des 19 mètres carrés de mon studio. Ils ont minutieusement pris des choses dont je ne comprends pas l’utilité pour l’enquête, comme des t-shirts de soutien aux postiers ou des tracts”.
“La question de la dégradation était intenable”
Durant sa première audition, le leader syndical, bien identifié comme un agitateur politique par la direction de La Poste (et même par le ministère du Travail, puisque Muriel Pénicaud avait autorisé son licenciement en mars 2018), dit avoir démontré que les dégradations au siège de La Poste ne peuvent pas être imputées aux grévistes. “Dans le cadre de ma première audition, la question de la dégradation était intenable. On s’est protégé. Ceux qui ont explosé une porte et une table à coups de masse et de bélier, c’est la police, qui refusait toute forme de discussion”, dit-il. Selon son récit des faits, étayé par des vidéos postées sur les réseaux sociaux, la police est intervenue en enfonçant une porte alors que les occupants s’étaient réfugiés dans une salle du 7e étage. “On a voulu un interlocuteur. La seule réponse : des policiers qui en mode Shining ont littéralement explosé la porte”, insiste-t-il.
https://twitter.com/GaelQuirante/status/1139828585009745920
Sa garde à vue est cependant prolongée. Lors d’une deuxième audition, le lendemain, une autre infraction lui est reprochée : celle de “violation de domicile”, là encore pour l’occupation du siège de La Poste. Mais alors que la mobilisation autour de sa GAV prend de l’ampleur, Gaël Quirante est finalement libéré : “J’ai été relâché, pour le moment sans aucune poursuite. On me demande de rester disponible à une convocation soit de la police, soit de la justice. Je suis sorti sans contrôle judiciaire ni date de procès, et sans aucune notification d’infraction”.
Un journaliste également placé en garde à vue
Ce dimanche matin, le syndicaliste n’a pas été le seul à être perquisitionné et placé en garde à vue. Un photographe et vidéaste du collectif OEIL, Leo Ks, a également été interpellé. “Lors de son interrogatoire, la police lui a reproché des faits de ‘dégradations au siège de La Poste’. Il a été libéré le jour même, un peu avant 20h”, décrit le collectif sur Twitter. Alors que des policiers tentaient d’empêcher les journalistes présents sur place de documenter l’occupation du lieu, “une unité d’intervention procédait à l’évacuation des grévistes, en fracassant la porte à coups de bélier et de masse”, relate encore le collectif, confirmant le récit de Gaël Quirante.
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Communiqué du Collectif OEIL
Ce dimanche 16 juin 2019 à 6h, 7 policiers ont sonné à la porte de chez Leo Ks, photographe et vidéaste, membre du @CollectifOEIL , pour l’interpeller." pic.twitter.com/63GEnqWRvS
— Collectif OEIL (@CollectifOEIL) June 17, 2019
“Les policiers sont aussi allés chez un autre postier, et chez une camarade du Comité de soutien. Elle est sortie de GAV après moi le 17 juin. Le choix n’est pas anodin : des postiers meneurs du mouvement, des soutiens, un journaliste. On essaye de faire peur aux trois éléments de la grève”, soutient l’ami d’Olivier Besancenot.
Sous haute tension
D’après lui, il ne manque pourtant plus que “des choses minimales” pour que le protocole de fin de conflit soit enfin signé entre la direction de La Poste et les grévistes. “Ce qui est plus problématique, c’est le refus de la direction d’intégrer dans le protocole le fait qu’il n’y aura pas de nouvelles poursuites disciplinaires pour les 150 grévistes. Ils refusent de l’écrire. On ne fait pas un conflit de 15 mois pour tomber dans une logique revancharde après coup”, soutient le syndicaliste. Contactée, la direction de La Poste défend qu’elle s’inscrit dans une démarche de “dialogue social”, contrairement aux “individus qui se rendent coupables de ces exactions”. Elle en veut pour preuve les “43 séances de négociations dont 31 depuis février 2019” en vue d’un accord.
En plus du conflit social, qui connaît un nouveau pic, La Poste a dû faire face à un acte désespéré d’un facteur gréviste. Ce lundi 17 juin, celui-ci, décrit comme “très affecté” par le long mouvement de grève, s’est retranché dans les bureaux du centre de tri Paul-Vaillant-Couturier de Levallois-Perret. Il s’est alors aspergé d’essence, menaçant de s’immoler par le feu. Il avait demandé sa mutation dans une autre filiale du groupe, en vain. Il a finalement été hospitalisé. C’est dire l’état de tension et de fatigue qui règne dans ce secteur en lutte.