Une comédie américaine qui laisse éclater tout le talent de Lauren Lapkus, une actrice qui cultive un burlesque régressif sans limites.
Les Etats-Unis ont cette capacité bien connue, et jamais lassante, à faire éclore de nouveaux talents comiques avec une régularité de métronome : Will Ferrell, Steve Carell, Amy Poehler, Louis CK, Tiffany Haddish, pour ne citer que certains des plus récents et des plus forts. Mais il y a longtemps qu’une telle apparition ne s’était produite dans le ciel calme, trop calme, de la comédie américaine : Lauren Lapkus, c’est son nom, est une bombe.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Il est encore un peu tôt, bien sûr, pour s’assurer qu’il s’agit d’un phénomène durable et non d’un pétard passager, mais ce qu’elle fait dans The Wrong Missy, film intégralement dédié à l’expression de son génie, est spectaculaire. On avait pu la voir s’ébrouer dans les séries Orange Is the New Black et Crashing, ou encore dans Jurassic World, mais rien ne nous préparait à ce qu’elle fait ici.
Une jeune femme sans occupation déterminée mais aux multiples compétences
+
Elle joue en fait sur les mêmes gammes que Jim Carrey, dont la naissance s’était faite sans préavis, en 1994, à travers trois films restés célèbres (Ace Ventura, Dumb and Dumber, The Mask), bientôt suivis d’un quatrième, en 1996, qui pousserait au plus loin sa folie destructrice : Disjoncté.
C’est précisément à ce dernier que l’on pense en voyant The Wrong Missy : à ce moment précis où la gogolitude se teinte d’inquiétude, où le rire déraille pour frôler la gêne, et finalement tout emporter sur son passage. La mauvaise Missy du titre, Lauren Lapkus donc, est une jeune femme sans occupation déterminée mais aux multiples compétences, première belle idée d’un scénario plus habile à l’échelle micro (la caractérisation, les dialogues, les gags) que macro (les rebondissements sans originalité).
On la découvre à l’occasion d’un blind date (un rendez-vous amoureux organisé par une tierce personne, à l’aveugle) avec un triste cadre quadra, Tim, interprété par le volontairement terne David Spade. Alors qu’il est censé être le héros du film, on pressent d’emblée qu’elle va lui voler la vedette.
De fait, Spade, ancienne gloire de la comédie américaine des années 1990, qui connut son apogée avec l’ahurissant Joe la crasse en 2001, n’est ici qu’un faire-valoir, un réceptacle aux outrages de sa partenaire. Ce n’est pas rédhibitoire, mais le film aurait été encore meilleur avec un sparring-partner plus engagé, comme Steve Carell par exemple.
A l’issue de ce premier rendez-vous évidemment catastrophique, qui n’est pas sans rappeler un autre fameux blind date mis en scène par Blake Edwards (Boire et Déboires en français), on retrouve Tim, trois mois plus tard, alors qu’il s’apprête à rencontrer par hasard, dans un aéroport, la « femme de ses rêves » (titre d’un autre film, d’Elaine May, remaké en 2007 par les frères Farrelly, auquel on pense). Elle s’appelle Melissa et elle est parfaite, du moins selon les critères d’un triste cadre quadra américain.
Tout concourt chez Lauren Lapkus à saturer l’écran
Il décide de l’inviter comme + 1 dans un séminaire d’entreprise à Hawaii, mais c’est à l’autre Melissa, l’infernale Missy, qu’il le propose, par erreur. Un quiproquo qui va l’obliger à passer la semaine en compagnie de l’inopportune, au milieu de tous ses collègues, mi-fascinés, mi-atterrés. Le scénario et la mise en scène de Tyler Spindel, pur produit de l’usine Adam Sandler (Happy Madison, qui fournit Netflix en comédies généralement médiocres), sont tout à fait fonctionnel·les.
Le jeune cinéaste a toutefois l’œil lorsqu’il s’agit de décrire, sans cruauté excessive, les cohortes de cols blancs en vadrouille. On trouve là quelques scènes délicieuses (sur les stratégies de séduction du patron et la concurrence entre collègues) que ne renierait pas Michel Houellebecq.
Peu de comédiennes se sont adonnées avec aussi peu de retenue à l’idiotie pure
Mais la seule star, la metteure en scène de fait, c’est Lauren Lapkus. Comme tout vrai génie burlesque, elle est un effet spécial à elle toute seule. Moins par ses grimaces ou ses acrobaties que par son énergie débordante, par sa capacité à pousser le bouchon trop loin, à se dépenser en pure perte.
Ses membres trop longs, ses yeux trop écarquillés, son sourire trop insistant et son rire trop intense, tout concourt chez elle à saturer l’écran d’une énergie instable et irradiante, sur le point d’entrer en fission à chaque instant et de provoquer une explosion nucléaire.
Peu de comédiennes (Anna Faris, récemment, peut-être ?) sont allées aussi loin dans cet art dégénératif qu’est le burlesque régressif, se sont adonnées avec aussi peu de retenue à l’idiotie pure, si pure qu’elle devient une force. Il ne reste plus désormais qu’à espérer qu’elle fasse fructifier ce talent dans les mains de grand·es cinéastes.
The Wrong Missy de Tyler Spindel, avec Lauren Lapkus, David Spade, Nick Swardson (E.-U., 2020, 1 h 30). Sur Netflix
{"type":"Banniere-Basse"}