Début juin, le musicien jouait son seul concert français de la saison. On est donc allé le rencontrer pour lui parler de ses superbes EPs et de sa façon de voir la musique, et l’art en général.
On vous le répète depuis longtemps : avec ses chansons venues de Toronto, à la fois touchantes et sincères, Seth Nyquist est l’un de nos plus grands espoirs de la pop contemporaine. A l’occasion de son seul concert français de la saison (au festival TINALS), il apparaissait donc évident que nous devions rencontrer celui qui se cache derrière le patronyme de MorMor. Assis sur un canapé, dans sa loge, on découvre un jeune homme assez timide, à la voix douce, basse, et à l’aura très particulière.
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C’est la première fois que tu viens dans le sud de la France ?
MorMor : Oui, et je crois que je tombe amoureux de cette région. On m’a parlé d’une ville où un grand pont traverse une rivière d’ailleurs, tu ne connaîtrais pas cet endroit ?
Non, du tout… Là on est à Nîmes donc il y a Avignon, Orange, Arles, Montpellier dans le coin.
Ça ne me dit rien, mais j’aimerais vraiment bien retrouver le nom parce que ce pont m’obsède un peu. Ça m’arrive de temps en temps avec des endroits, et celui-là avait l’air magnifique. Mais tant pis, parlons un peu de musique.
Allons-y. Peut-être que tu pourrais commencer en me racontant tes débuts. Comment es-tu devenu musicien ?
Mes plus vieux souvenirs datent de quand j’étais bébé, en fait. Ma tante m’a récemment raconté que quand elle venait me voir à cette époque, qu’elle chantait ou sifflait, j’étais très attentif. J’étais assez silencieux lorsque j’étais enfant, et j’écoutais beaucoup. Alors je m’amusais à répéter ce qu’elle faisait, et ça a continué ensuite. C’était complètement instinctif et après ça, évidemment, c’est devenu plus formel de faire de la musique, de l’art. Ma mère, de son côté, m’a toujours soutenu, elle m’a inscrit à des cours, ce genre de choses, mais je n’étais pas trop fait pour les études classiques.
Est-ce que tu sentais déjà que tu étais un artiste, plus jeune ?
Non… Déjà, je ne composais pas, j’aimais simplement la musique sans trop m’en rendre compte. Et en fait, je n’aime pas trop cette étiquette. J’ai l’impression de plus l’accepter maintenant, mais je détestais ça avant.
Pourquoi est-ce que tu n’aimes, ou n’aimais pas ce terme ?
Maintenant ça va. Je trouve ça plus ouvert que musicien, parce que jouer d’un instrument c’est utiliser un outil. Être un artiste, c’est avoir une vision personnelle des choses, et je me retrouve là-dedans. Mais je trouve ça incroyablement prétentieux ceux qui se prétendent comme tel, se défissent eux-mêmes en disant « je suis un artiste ».
Quoi qu’il en soit, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose de très thérapeutique dans ta musique. Est-ce que tu t’accordes à ça ?
Oui, complètement. C’est un cliché mais je redeviens un peu un enfant lorsque je compose. Aujourd’hui, je sais à peu près ce que je vais faire, la tournure que vont prendre les morceaux quand je travaille dessus, mais j’essaie de faire taire mon côté analytique. Et de retrouver la surprise, le côté intuitif de la chose. Attends, quelle était ta question, déjà ?
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Est-ce que tu sens que ta musique est thérapeutique ? Tes paroles, par exemple, sont très personnelles…
Pour le côté thérapeutique, oui. Et sur le plan des paroles, disons que j’ai tenté de me cacher de l’auditeur, à plusieurs reprises. Ce qui a donné des choses beaucoup moins bien que ce que je fais maintenant (rires). C’est parfois terrifiant de sortir des sentiments de soi-même, même quand personne n’écoute les chansons. Mais après tout on vit, puis on meurt : pourquoi essayer de se cacher ? D’autant plus qu’il n’y a rien que tu ne puisses pas trouver sur internet, des choses laides, bizarres, des choses belles aussi ; donc il n’y a pas à avoir honte de grand-chose, je suppose.
Cette nécessité de te cacher, c’est la signification du masque que tu portes dans le clip d’Outside ?
Il y a de ça, c’est sûr. Bon, à vrai dire, la plus grosse explication à ce clip, c’est aussi un traumatisme d’enfance. Mais il y a aussi le fait de se cacher derrière un masque oui, ce truc de clown triste, obligé de sourire lorsqu’il entre en scène dans son cirque.
Tu te souviens du jour où tu as écrit cette chanson ?
Oui ! Un soir, quelques bribes de paroles et quelques accords me sont venus. Je suis allé voir Frank Dukes, un producteur qui a travaillé avec Rosalía, Kanye West, Rihanna… On a ajouté d’autres choses, on a retravaillé l’ensemble puis il est parti à LA. Ensuite, j’ai enregistré tout ça à la maison en ajoutant des guitares, entre autres.
D’ailleurs, tu as enregistré l’ensemble de l’EP Some Place Else chez toi ?
Une grande partie, oui. J’ai tout écrit, certaines batteries ont été programmées mais cette fois-ci, contrairement au précédent EP, je suis allé enregistrer les voix en studio. J’ai eu cette chance-là grâce à la résonance qu’a connu Heaven’s Only Wishful.
Il y a une grande part laissée à la solitude, dans tes chansons et ton travail. Tu peux m’expliquer pourquoi ?
Je dirais isolation, plutôt que solitude. Il y a quelque chose de subi dans ce dernier mot, et de choisi dans le premier. Enfin bref, sinon, je suppose que je suis comme ça, il est à mon sens essentiel d’avoir des moments à soi dans la vie. Et est venu un moment, un jour, où je me suis rendu compte que je n’avais besoin de personne ou presque, que je pouvais vivre sans avoir mes amis ou ma famille tout le temps près de moi. Ça a été un processus assez long et compliqué, mais voilà.
Dans le communiqué de presse, tu parles d’un hiver difficile, qui t’a poussé à écrire les morceaux du disque. Qu’est ce qui s’est passé cet hiver-là ?
C’était un moment étrange oui, j’étais un peu enfermé avec mes démons. Je crois qu’il fallait que j’arrête d’avoir peur, que j’aille de l’avant plutôt que de rester en tête à tête avec mes souvenirs. Et je faisais face à une grosse période de changements, sur beaucoup de plans.
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J’ai l’impression que les souvenirs et l’enfance tiennent une grosse part à la fois dans ton travail et dans ta vie. D’ailleurs, tu apparais comme un enfant dans le clip de Heaven’s Only Wishful.
Non, pas du tout (rires). C’est mon neveu en fait. Tu crois ça parce qu’il se réfléchit dans une sorte de miroir mais je n’avais pas comme but de me montrer en tant qu’enfant. Ça doit être ton inconscient… Mais c’est intéressant et c’est cool, parce que la plupart des choses que je fais sont censées être ouvertes à l’interprétation. Elles ne doivent pas seulement refléter ce que je pense et ressens ; si les gens s’y reconnaissent d’une façon différente, c’est tant mieux.
Du point de vue de ton style, tu oscilles entre la pop, le rock indé, le R’n’B et beaucoup d’autres choses. Comment as-tu construit ça ?
J’ai beaucoup travaillé ! Il m’a fallu bosser pour affiner mon style, mais je ne me suis jamais dit que j’allais verser dans tel ou tel genre. Ce sont juste des choses que j’écoute, ou bien que ma famille écoutait quand j’étais plus jeune, et qui sont restées de manière inconsciente. Ensuite, pour la transition entre mon premier et mon second EP, j’ai quand même réfléchi, et fait en sorte de ne pas me répéter, pour que le projet grossisse un peu. D’autant plus que j’étais un peu attendu, après Heaven’s Only Wishful.
C’est important pour toi, le succès ?
Je ne sais pas… Mes sentiments à propos de l’industrie de la musique sont aussi ambivalents : il y a une part que j’aime, une autre part que je déteste. Je crois que l’argent et l’art proviennent d’énergies aux antipodes l’une de l’autre, qu’ils sont quasi incompatibles. Mais c’est plus compliqué que ça, parce qu’il y a quelque chose de très créatif dans le business, parfois.
Après tes deux EPs, tu comptes bientôt passer à l’étape de l’album ?
L’album viendra très certainement ensuite oui, mais je ne voudrais pas trop m’avancer… Ça dépendra de ce qui fait sens au moment où j’ai tout terminé. Peut-être que je dis ça aujourd’hui mais que je changerai d’avis ensuite !
Propos recueillis par Xavier Ridel
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