Proto-punk, déclencheur de tempêtes sonores, Usé a inventé son propre genre musical : le “nuke”. Démonstration et déflagration avec « Selflic ».
On a découvert Usé en 2016 avec Chien d’la casse, ravageur premier album déversant un proto-punk de bric et de broc, fracassé et fracassant, qui emporte tout sur son passage. Lui, il appelle ça du “nuke” (marque déposée). Le premier morceau de l’album s’intitule d’ailleurs Nuke moi encore : on ne sait pas précisément ce que ça implique mais, à entendre le morceau, on suppose que ça doit un peu secouer les entrailles.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Homme-orchestre infernal
On a pu voir le gaillard deux fois en concert et on a compris ce que l’expression “bête de scène” peut encore signifier dans notre monde à l’agonie. La première fois, c’était à Berlin en juillet 2017, dans le cadre de l’épatant (mais hélas éphémère) festival Spectacular à Urban Spree, et c’était fantastique – comme une bourrasque sonique. La deuxième fois, c’était à Lyon en mai dernier, pendant les Nuits sonores, et c’était formidable – comme une gigue (ou un gig) du diable.
Sur scène, homme-orchestre infernal, il use d’un attirail instrumental 100 % fait maison. L’élément principal consiste en un kit de batterie avec plusieurs cymbales, entre lesquelles est accrochée une guitare électrique – le tout étant martelé sans ménagement. S’ajoutent encore deux ou trois synthés crapoteux et crépitants.
Petite précision : Usé joue de la batterie debout. C’est peut-être un détail pour vous mais, pour nous, ça veut dire beaucoup. A Lyon, on l’a même vu faire tournoyer son micro – car il chante aussi (en français) sur certains morceaux – et le balancer sur ses cymbales avec une dextérité maximale. Très vite en sueur et torse nu, tout en énergie à fleur de peau, il évoque la rencontre forcément explosive entre Iggy Pop et Bérurier Noir, conjuguant prestance animale et puissance musicale avec une irrépressible intensité viscérale. “J’ai pas mal de jeux de scène possibles, qui varient en fonction de l’espace à disposition. Plus c’est grand, plus je m’amuse et je peux foutre la merde” (rires), précise, goguenard, l’intéressé – Nicolas Belvalette, de son vrai nom.
Éducation indé
S’il est en train de conquérir la France avec Usé, projet impulsé au début des années 2010, il gravite dans la sphère underground depuis environ vingt ans. Adolescent dans les années 1990, il prend de plein fouet le choc Nirvana et s’électrise au contact d’autres bruyants titans du rock indé américain tels que Sonic Youth et Butthole Surfers. Vers l’âge de 16 ans, il commence à faire lui-même de la musique. “Mon premier groupe s’appelait Le Laboratoire Expérimental, raconte-t-il. On était une dizaine et on faisait des impros, juste pour apprendre à jouer de différents instruments, en alternant. On jouait une sorte de psyché-noise, accompagné en live de projections bien hallucinées. A l’époque, on prenait pas mal de champis” (rires).
Par la suite, il va sévir dans une foultitude d’autres groupes, aux noms plus savoureux les uns que les autres : Sultan Solitude, Yvette Corner-But, Hache Tendre, Roberto Succo, Headwar ou encore Les Morts Vont Bien – duo formé avec son ex-copine Carine suite à un grave accident auquel ils ont survécu de justesse (lui a failli rester paralysé), le nom du groupe en disant long sur leur sens de l’humour et leur force de (sur)vie…
Revenu de l’au-delà (ou presque), hyperactif et insomniaque, Nicolas Belvalette participe, en parallèle de ses projets musicaux, à la gestion de L’Accueil Froid. Située dans une zone périphérique de sa bonne (?) ville d’Amiens, cette salle ultra associative – qui propose concerts et expos – est devenue la plaque tournante de la scène musicale de la région. On peut par ailleurs y siroter une bière artisanale maison : la Nuke, of course. En 2014, en réaction à une fermeture administrative de L’Accueil Froid, le citoyen Belvalette s’est lancé dans la course aux municipales, à la tête du Parti sans cible, dont le “programme orgasmique” (digne du Coluche des présidentielles de 1981) a tout de même remporté 2,17 % des suffrages – après quoi L’Accueil Froid a pu rouvrir, dans un autre local.
Tube de l’été 2018
Emporté dans un flux créatif ininterrompu (“Je suis tout le temps en train d’enregistrer et de fignoler des morceaux. Dès que j’en ai assez, je sors un disque”), il propulse aujourd’hui le deuxième album d’Usé, Selflic. Sec, virulent et concis (sept morceaux, 30 minutes), il s’inscrit dans le prolongement direct du précédent, offrant le même alliage hautement percutant de rythmes frénétiques, de paroles caustiques et de râles sardoniques. Émergent en particulier l’introductif Dans sa corde, aux cinglantes pulsations incantatoires, Dans un coin, chanson d’amour brut de décoffrage, et Danser un slow avec un flic, vrai-faux slow à l’ironie corrosive : notre tube de l’été 2018, imparable, imbattable et inusable.
{"type":"Banniere-Basse"}