Toujours mal acceptés, les tatouages faciaux se sont pourtant fait une place sur la scène internationale notamment grâce à l’émergence d’une nouvelle génération de rappeurs issus de Soundcloud.
De Post Malone à XXXTentacion en passant par Lil Xan, Lil Uzi Vert, 6ix9ine, toute une génération de rappeurs partage sa musique gratuitement sur la plateforme Soundcloud espérant une ascension fulgurante dans les charts. Tous ont aussi la particularité de participer à la démocratisation des tatouages faciaux. Acte revendicateur et/ou créatif, provocation, recherche d’attention, point de non retour artistique, les raisons de l’ampleur du phénomène sont multiples. Parmi les tatoueurs interrogés dans le cadre d’un article pour le New York Times, le tatouage facial, s’il n’est pas tabou, reste une pratique largement marginale notamment dans nos sociétés occidentales.
Affectueusement surnommés les « stoppeurs de job » par la profession (« Tes possibilités s’amoindrissent. Tu travailleras à l’épicerie ou dans un bar » explique le tatoueur Joel Jose Molina pour le NY Times), les tatouages faciaux ont pris au carrefour des décennies 2000 et 2010 une importance grandissante dans la culture populaire particulièrement grâce au rap. Ainsi, sous leur tignasse arc-en-ciel, il n’est désormais pas rare de croiser des rappeurs viraux à peine entrés dans la vingtaine affublés de tatouages plus ou moins signifiants sur le visage : les barbelés sur le front de Post Malone, le masque de Jigsaw sur la joue de 6ix9ine, le couteau entre les deux yeux de 21 Savage ou le très emo « Crybaby » sur l’arcade sourcilière de feu-Lil Peep.
Une histoire de contre-culture
Si cette génération haute en couleurs de rappeurs de Soundcloud est celle qui porte le plus fièrement ces oripeaux d’un genre nouveau et infuse la culture mainstream, le NY Times propose un coup d’œil dans le rétroviseur afin d’expliquer l’émergence de cette pratique. Selon Anna Felicity Friedman, dans les années 90 il est devenu commun de voir des athlètes et des célébrités arborant des tatouages. Puis devant le succès grandissant, les médias s’emparent du phénomène (télé-réalités, magazines dédiés…) entérinant le tatouage comme une pratique populaire et ordinaire. Dépouillé de sa dimension contre-culturelle, la transgression par le tatouage investira donc une partie du corps jusqu’alors tabou : le visage. Et si le tatouage tribal de Mike Tyson, la swastika de Charles Manson ou les larmes tatoués sous les yeux des membres de gang ont une connotation éminemment négative, des rappeurs comme Gucci Mane, Lil Wayne ou Wiz Khalifa construiront leur identité artistique autour de leurs tatouages faciaux. Ce faisant, une nouvelle génération biberonnée au rap de l’influent Weezy s’accapare son esthétique.
Quelques centaines de millions de vues plus tard, les visages de ces rappeurs au fulgurant succès sont partout. De quoi décomplexer la jeunesse du monde entier qui décide de plus en plus à se faire tatouer le visage. Pour A.F. Friedman tout est affaire de transgression : « Si tu veux être transgressif -et beaucoup de rappeurs veulent créer un personnage transgressif- la dernière frontière c’est le visage. Pour certains il s’agit de se donner une allure de criminel ou de rebelle. Pour d’autres il s’agit de références artistiques ou de liberté d’esprit« . Pour autant, l’acte de transgression n’est plus nécessairement connoté négativement. Certes, Travis Hardy, directeur artistique à Los Angeles prévient : « Il n’y a pas de retour en arrière. Il n’y a plus de job normal ou quoique ce soit », mais pour lui un tatouage facial est une assertion qui, désormais, dit « je crois en moi ».
Ainsi, certains emboîtent le pas comme Justin Bieber, d’autres, plus amusant, le font pour mettre en colère leur mère comme Post Malone ou faire partie intégrante de son identité artistique comme Lil Uzi Vert mais une catégorie menace de gangrener l’émergence de la pratique. Une dérive personnifiée par le rappeur et producteur Arnoldisdead qui exhibe hardiment un tatouage d’Anne Franck (ou Xan Franck comme il se plaît à l’appeler) sur le visage.
Imagine being so desperate to seem diffrent and unique that you have to do something as absurd as getting an anne frank face tattoo pic.twitter.com/9Eo2ZIYwDl
— 🤍Laura Lisbon🌙 (@cyberxboyfriend) September 18, 2017
Pour Travis Hardy, « beaucoup de gamins le font pour devenir plus importants sur les réseaux sociaux ». Le potentiel viral étant une composante inhérente à l’essor des artistes de la scène Soundcloud, les débordements sont légion. Pour autant, si le tatouage facial prend une ampleur culturelle jamais atteinte, seule une minorité passe le cap. En 12 ans de carrière, J.J. Molina, qui observe le phénomène, n’a réalisé que trois tatouages faciaux. Évoquant les questions du travail ou de la responsabilité face aux enfants, les tatoueurs interrogés par le NY Times sont persuadés que la pratique est condamnée à la marge. Reste néanmoins que la génération des rappeurs Soundcloud possède maintenant la force de frappe nécessaire pour démocratiser le tatouage facial auprès des plus jeunes. Pour le meilleur et pour le pire.