En direct de Toronto, MorMor se permet les plus audacieuses prouesses stylistiques sur un premier EP de cinq pop-songs à la fois méticuleuses et libres. Rencontre.
Heaven’s Only Wishful est à coup sûr l’un des grands morceaux de 2018. Ce titre, dans lequel il se définit comme un « pauvre garçon cherchant des réponses », MorMor l’évoque d’ailleurs à chacune de ses interviews. Pour une simple raison : c’est ce titre qui a changé sa vie. Celui qui lui a permis de toucher le cœur de plus de deux millions d’auditeurs sur YouTube, celui qui a attisé la curiosité des labels et lui a permis de se consacrer entièrement à la musique ces derniers mois. Celui qui, enfin, a imposé en cinq minutes et trente-six secondes la vision musicale d’un artiste bien décidé à ne pas entrer dans les diktats de l’industrie.
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Il ne lui faut d’ailleurs que quelques minutes pour nous le confesser en interview, lui qui se dit « frustré par une industrie qui pense tellement à l’argent et à la rentabilité des projets qu’elle finance qu’elle en oublie parfois la notion de créativité ». Et d’enchainer : « Moi, je me fiche de catégoriser ma musique, je veux qu’elle soit en perpétuelle évolution, qu’elle absorbe tout et que, demain, elle soit différente de ce qu’elle est aujourd’hui ».
Seth Nyquist (son vrai nom) n’est pourtant pas de ces cols rouges partis en croisade contre un système. Pour son entourage, il reste ce jeune qui a grandi en banlieue de Toronto et qui a fait des études pour faire plaisir à sa mère, enseignante et forcément un peu inquiète à l’idée de savoir son fils tenter de gagner sa vie en grattant sa guitare. À l’entendre, il est surtout un artiste passionné depuis toujours par la musique, un bidouilleur de sons dont la vie semble avoir basculé à ses 18 ans lorsque sa grand-mère lui achète son tout premier ordinateur : « Depuis gamin, j’essayais de tuer le temps en faisant de la musique, voire un peu de sport de temps à autres. Pour moi, c’était une façon de m’évader. Alors, quand j’ai enfin eu mon ordinateur, j’enregistrais de la musique en permanence, même quand j’étais classe. Les logiciels, la programmation, Pro Tools, tout ça me passionnait ».
Le cas, Seth
Dans ses compositions, pourtant, rien de foncièrement nouveau : des riffs piochés dans l’indie-rock des années 2000, une petite touche électronique pour les amoureux des synthés, un peu de groove et d’orchestration à cordes pour les adeptes de la soul, voire une inclinaison pour le songwriting fragile. Mais dans cette moisson de références, celles d’un jeune homme ayant grandi en écoutant aussi bien les Beatles et Bob Dylan que la musique classique et le Wu-Tang, MorMor parvient à faire entendre sa propre singularité, comme sur ce Heaven’s Only Wishful (on y revient toujours !) où le Canadien, visiblement peu pudique, s’est amusé à bricoler ses idées (l’intro originale est finalement placée en conclusion du morceau, les paroles sont ouvertement improvisées…) et à exposer ses failles pour mieux toucher à l’universel (« Heaven’s a wish / Paradise is lost to me »).
Sans qu’il en soit pour autant pleinement conscience : « J’aime tellement passer de temps tout seul que je ne me rends pas forcément compte de ce que ma musique peut représenter. Tout ce que je peux dire, même si ça peut paraître cliché à entendre, c’est que j’essaye de la rendre la plus honnête possible. Ce n’est pas forcément facile à réaliser, mais j’essaye d’y retransmettre tous les sentiments que je peux éprouver ».
Démarche thérapeutique
Depuis sa chambre, où il a mis au point son premier EP avant de le finaliser à Los Angeles, ce proche de BadBadNotGood et Charlotte Day Wilson a donc mis en son cinq morceaux ouvertement introspectifs, presque vulnérables parfois. « L’EP a été enregistré à un moment difficile pour moi, mais sans que cela soit réellement réfléchi, dit-il d’une voix qui ne souffre aucune contradiction. J’essaye constamment de m’exprimer sans chercher à trop analyser mes paroles. Parce que si je tombe dans ce piège, c’est le meilleur moyen de me censurer, de ne pas oser chanter tel ou tel mot. Là, je vois davantage mes morceaux, voire ma façon de consommer la musique en règle générale, comme une thérapie ».
Rien de plombant pour autant : de Lost à Find Colour, en passant par l’imparable Waiting On The Warmth, les cinq titres réunis sur Heaven’s Only Wishful sont avant tout des célébrations légères, innocentes et entêtantes du petit chaos intime de leur auteur. Elles sont aussi un moyen pour MorMor d’expérimenter les formats pop. De les élargir et de les dévier tout en composant de vraies chansons, à siffler sous la douche, à séduire les masses et à marquer suffisamment les esprits pour que l’on puisse en reparler d’ici quelques années avec des trémolos dans la voix.
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