Stimulé par des vignerons et vigneronnes audacieux, le champagne aussi est en train de changer. Rencontre avec une vraie passionnée, la sommelière du Comice, Etheliya Hananova.
Il n’y a pas si longtemps, il arrivait que les vignes champenoises soient arrosées, par hélicoptère, de substances chimiques censées les rendre plus belles et plus fortes, une pratique assez judicieuse pour le rendement mais catastrophique pour la beauté du vin. Ce type d’épandage a été interdit récemment, dénotant une prise de conscience dans le vignoble star où sont produits depuis des siècles les adjuvants majeurs de nos excès fêtards.
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Le champagne change, dans les pas d’une génération davantage consciente que les chiffres d’exportation ne font pas tout. Le champagne est un véritable vin, pensé et réalisé comme tel par des producteurs et productrices aux méthodes raisonnées et passionnées. Sommelière de haut vol au restaurant Comice à Paris, Etheliya Hananova décrypte cette évolution, un mois avant les agapes annuelles forcées qu’on peut espérer plus fines que d’habitude.
En Champagne, il se passe quoi aujourd’hui ?
Etheliya Hananova — Il se passe beaucoup de choses depuis une vingtaine d’années ! Des pionniers ont commencé à renoncer à l’attirail chimique de culture du raisin et de fabrication du vin, comme Bertrand Gautherot (Domaine Vouette et Sorbée), Pascal Doquet ou Vincent Laval. C’est impressionnant de visiter les vignes de ce dernier par rapport à celles du domaine voisin. D’un côté, tout est gris, avec un sol tassé et sec, alors que les vignes de Laval sont éblouissantes. Dans sa cave, il a accroché sur les murs deux racines de vigne pour que les visiteurs comprennent.
“Les racines sont bien plus profondes dans la version bio, car les vignes cherchent les nutriments plus bas, dans la richesse du sol”
L’une est nourrie par des engrais, une autre vient de chez lui, en bio. Les racines sont bien plus profondes dans la version bio, moins étalées et pointées vers la surface, car ses vignes cherchent les nutriments plus bas, dans la richesse du sol. Ces vignerons en Champagne qui défendent une culture raisonnée, on a l’impression que c’est une nouveauté, parce que la perception générale est différente. Il y a un désir pour ces bouteilles-là et une génération de vigneronnes et vignerons. Dans notre restaurant gastronomique (Etheliya Hananova a ouvert le Comice avec le chef Noam Gedalof dans le XVIe arrondissement – ndlr), nous avons pris la décision de ne pas proposer de champagne de grandes maisons traditionnelles, mais seulement de vignerons.
Pourquoi ce choix d’ignorer les cadors historiques ?
Des clients sont surpris de ne pas trouver sur ma carte Dom Pérignon ou Billecart-Salmon. Mais les histoires de vignerons identifiables sont plus fascinantes. Souvent, les grandes maisons assemblent des raisins différents pour façonner un goût qui sera le même d’année en année. Je préfère mettre en avant des bouteilles de terroir, comme je le ferais avec un bourgogne. C’est intéressant de présenter le champagne comme un vrai vin, avec une forte personnalité et un caractère. On peut accompagner tout un repas avec.
“Les consommateurs deviennent plus exigeants grâce aux sites et aux cavistes”
Les grandes maisons semblent se réveiller et communiquent sur de nouvelles pratiques plus vertueuses.
Roederer (fondée en 1776 – ndlr) s’affiche en conversion bio, les grandes maisons bougent un peu, c’est vrai, car c’est devenu une mode. Tant mieux. Les sommeliers qui cherchent à ne plus se laisser imposer une standardisation du goût et de la manière d’aimer le vin sont aussi en première ligne. Les consommateurs deviennent plus exigeants grâce aux sites et aux cavistes… Je vois se multiplier les salons consacrés aux champagnes de petits producteurs. Certains jeunes reprennent le domaine familial et refusent de vendre leur récolte aux grandes maisons comme c’était la tradition. Moi qui suis passionnée, je ne connais pas tous les nouveaux noms !
L’image d’un vin de fête prévisible est en train d’évoluer en profondeur ?
Ce pays aime pas trop le changement, donc nous verrons bien sur la durée. Mais en ce moment, grâce à un travail de la terre moins productiviste – et hélas aussi au réchauffement climatique –, les vignerons obtiennent des maturités de raisin raisonnables, qui limitent le dosage. Avant, on essayait de diminuer l’acidité en ajoutant du sucre. Aujourd’hui, même si les vignes bien traitées restent une minorité, on ne cherche plus à faire pousser des raisins n’importe comment en se disant qu’on ajoutera quelque chose pour donner du goût. J’ai vu sur Facebook des photos de vignerons nature qui participaient à une dégustation chez Dom Pérignon. Les deux mondes se parlent. Mais il reste du boulot pour que le champagne ne soit plus le vin de papy à Noël.
Restaurant Comice 31, avenue de Versailles, Paris XVIe
Sélection : 3 champagnes nature qui déboîtent
BAM !, Domaine Tarlant,env. 100 €, tarlant.com
Trois cépages autochtones champenois (Pinot blanc, Arbanne et Petit Meslier) sont assemblés dans ce breuvage exceptionnel, élevé sept ans sur lie, pour un rendu à la fois tranchant, frais et ample. BAM ! a été élaboré par Benoît et Mélanie Tarlant, dans un domaine familial orienté en biodynamie. “On essaie d’être connectés à la terre et à l’histoire champenoises”, dit l’intéressée. Un parfait champagne de gastronomie dont il ne sort que 800 bouteilles par an.
Fidèle, Domaine Vouetteet Sorbée, env. 50 €, vouette-et-sorbee.com
Pionniers d’un champagne nature d’une finesse rare, Hélène et Bertrand Gautherot produisent des bouteilles respectées par les plus grands œnologues et cuisiniers, dont cette cuvée Fidèle (100 % Pinot noir) d’une éclatante minéralité. Difficile à trouver, cet alter-champagne mérite grandement le détour et nettoie joyeusement le palais de trop d’agressions surtarifées.
Cuvée Colas Robin, Domaine Piollot, environ 30 €, piollot.fr
Ce 100% Pinot noir parcellaire est façonné par Roland Piollot, du village de Polisot, qui a converti au bio les 8,5 hectares d’un domaine ancestral à la fin des années 2000. “Ses vignes sont parmi les plus jolies que j’aie vues, explique Etheliya Hananova. Son attention à la viticulture est extraordinaire, mais il se concentre aussi sur la vinification. Cette cuvée est équilibrée, vibrante et expressive. C’est vraiment quelqu’un à suivre, avec des prix raisonnables.”
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