Des démos, déjà très élaborées en amont, font l’objet d’une compilation captivante.
Les absents ont toujours tort. Les morts également. Décédé en avril 2016, Prince menait une rude bataille contre les plateformes de streaming et avait décidé de retirer sa musique de leurs catalogues. Mais son corps encore chaud, ses morceaux ont repeuplé Spotify, Deezer et consorts. Ainsi va l’industrie. Alors, quand quinze inédits du chanteur paraissent chez l’un des mastodontes du genre, Tidal, on n’est même plus surpris.
Cependant, ces Originals captivent. Prince, prolifique à l’extrême, on le sait, composait beaucoup de chansons pour certains de ses protégés : Sheila E., Vanity 6, Jill Jones, Martika, The Bangles… Beaucoup de femmes au chant, d’ailleurs. Il enregistrait des démos qu’il leur envoyait, qui pouvait alors soit servir de base de master, soit être complètement réenregistrées ou réécrites. Ces premières versions ont, souvent, une saveur supplémentaire. Ce sont elles qui sont ici répertoriées.
Prince a écrit bien des tubes pour ces musiciens. Il y a le Manic Monday (1985) des Bangles, qu’on découvre moins mièvre, plus lent. On entend la forte influence hip-hop de la version d’origine de Holly Rock, écrit pour Sheila E., ou encore celle de l’épileptique Make Up de Vanity 6, qui sonne encore plus industriel. Ces inédits, qui pour la plupart étaient déjà sortis sur des bootlegs compilés par des fans, traduisent surtout une manière de travailler : on sent d’emblée cette capacité à se baser en premier lieu sur le rythme, sur le son des boîtes à rythmes, notamment les LinnDrum, omniprésentes après 1982. On l’entend poser le châssis pour pouvoir ensuite fignoler la carrosserie.
Il est aussi très plaisant, mais finalement peu surprenant, de l’entendre transformer complètement sa voix afin de se plonger dans la peau, dans la tessiture de l’artiste pour lequel il compose. C’est notamment le cas sur Love… Thy Will Be Done, enregistré pour l’actrice star Martika en 1991, où il féminise son grain, rendant les indications bien plus claires. Passionnant aussi de voir que le hasard fait parfois bien les choses, comme lorsqu’il enregistre You’re My Love en 1982, prenant une voix bien plus grave qu’à l’accoutumée, qui sera finalement chantée quatre années plus tard par Kenny Rodgers, lui aussi dans le registre grave. Pour le moment, Tidal détient l’exclusivité de cette compilation, et ce jusqu’au 21 juin. Elle sera ensuite disponible sur toutes les plateformes, exactement comme Prince ne le souhaitait pas. On l’a dit, les absents ont toujours tort, mais il aurait été dommage de se priver d’une part supplémentaire du génie de cet absent-là.
Originals (Warner Music)