Jusqu’au 23 avril, le Musée des Arts Décoratifs de Paris présente une colossale rétrospective retraçant l’histoire de la mode à travers les grands scandales qui l’ont rythmé, du XIVe siècle à nos jours.
Perruque haute, chaussures à la poulaine, corset pour homme, smoking pour femme, mini jupe, baggy… A chaque époque sa notion de la bienséance, à chaque époque sa notion du scandale. C’est tout l’objet de Tenue correcte exigée, l’exposition conçue par l’historien et conservateur Denis Bruna et mise en scène par la designer Constance Guisset. Une invitation à plonger au coeur des scandales qui ont présidé les grands tournants de l’histoire de la mode, ou plutôt des modes, comme préfère le dire D. Bruna. Pour cette exposition en effet, ce n’est pas moins de quatre-cents objets qui sont présentés, faisant côtoyer pièces de haute-couture, prêt-à-porter, habits de coure et autres portraits, caricatures ou accessoires.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Articulée autour de trois grandes thématiques (Le vêtement et la règle, Est-ce une fille ou un garçon ? et La provocation des excès), l’exposition met en exergue toute l’importance des codes vestimentaire et de leurs transgressions dans le cours de l’histoire. En se baladant sur les deux étages consacrés à l’exposition, les sens exacerbés par l’obscurité nécessaire à la conservation de certaines pièces rares, on réalise à quel point certaines ruptures stylistiques ont pu modeler les époques.
Des témoins privilégiés des époques
Marqueurs de l’histoire et des rapports de domination qui la traversent, les codes vestimentaires sont appréhendés ici comme des témoins privilégiés des époques et de leurs successions. Les lois au XVIe et XVIIe siècle interdisant aux femmes de porter des chapeaux d’hommes ou des perruques hautes, peuvent par exemple nous apprendre beaucoup sur la prise de conscience des hommes de l’époque vis-à-vis du danger que pouvait représenter l’inversion des rôles et des rapports de domination. « Car en portant des perruques plus grandes, les femmes étaient de fait beaucoup plus grandes et prenaient donc beaucoup plus de place dans l’espace, ce qui était vu comme une grande menace », développe Denis Bruna lors de notre rencontre.
Le combat des femmes pour porter des vêtements d’hommes, largement exploré dans la deuxième partie de l’exposition, a en ce sens une importance toute particulière pour le conservateur.
« Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, ce combat n’était pas mené au nom du plaisir que pouvait représenter le fait de porter un pantalon pour une femme. Il s’agissait essentiellement de tentatives visant à accéder à des domaines qui leur avaient été interdits pendant des siècles, ce que les hommes avaient très bien compris. De la même manière, quand les robes des femmes sont devenues très courtes à partir des années 1920, cela a aussi été vu comme une menace pour le contrôle des corps, qui était l’apanage exclusif des hommes. »
Un vecteur de changement social
Dans bien des cas, le vêtement peut aussi être vu comme un véritable vecteur de changement social. Le développement de l’unisex à la fin des années 1960 est emblématique à cet égard, puisqu’il marque la volonté pour toute une catégorie sociale, en l’occurrence la jeunesse, de ne plus s’habiller de la même manière que les générations passées. « Porter des vêtements amples, nouveaux, comme le blue-jean par exemple, ne plus vouloir distinguer les aspects très sexués de la société, refuser la répartition sexuelle des rôles, installer un trouble dans le genre… » Autant d’éléments qui prouvent que le vêtement a réussi à modeler certaines époques en faisant évoluer les cadres de la pensée et de l’action.
Mais qu’en est-il aujourd’hui, dans une époque où est sans cesse glanée l’idée qu’au nom du confort et de la décontraction, le code vestimentaire n’existe plus ? « C’est une aberration ! » s’exclame Denis Bruna. « Tant qu’on devra s’habiller, tant que la nudité totale sera tabou dans notre société, les codes vestimentaires existeront. Et précisément, il est marquant de voir qu’aujourd’hui les codes vestimentaires sont peut-être plus importants, plus lourds qu’il y a trente ou quarante ans. »
À une différence près peut-être, sur laquelle nous sommes conviés à méditer tout au long de l’exposition: Après les préceptes religieux du Moyen-Âge et les règles de la morale de la modernité, qui aujourd’hui peut encore prétendre faire office de garant des règles de la bienséance ? A partir de quoi considère-t-on qu’il y a scandale aujourd’hui ? Certes, le guide des bonnes manières de Nadine de Rothschild (sobrement intitulé Le bonheur de séduire, l’art de réussir), des rappels du scandale du défilé inspiration clochard de John Galliano ou des extraits de conseils style de Cristina Cordula rythment aussi l’exposition. Mais c’est peut-être pour mieux nous montrer que l’absence de prêtre ne rime pas avec absence de codes, et que l’autocensure régule peut-être plus que jamais nos comportements.
{"type":"Banniere-Basse"}