Insultes, refus d’accréditation, menaces de procès… Donald Trump n’a eu de cesse, durant la campagne, de s’attaquer aux grands médias américains. Depuis qu’il est élu, ça empire. Enquête.
Cincinnati, Ohio, 1er décembre. Ils sont quelques-uns, quelques journalistes qui couvrent le “tour des remerciements” du président élu. Donald Trump va à la rencontre de ses électeurs. Soudain il se tourne vers eux : “Vous là-bas, les journalistes malhonnêtes, sachez qu’il n’y a pas d’avenir pour vous en 2017 ! ” Hurlements de la foule.
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L’incident est presque passé inaperçu, tant il est devenu monnaie courante outre-Atlantique. Si certains espéraient du nouveau président qu’il changerait d’attitude après son élection, c’est avec une verve et une hostilité renouvelées que Trump est reparti en guerre depuis le 9 novembre contre le quatrième pouvoir. Ces derniers jours, il s’en est ainsi pris au New York Times, via son outil de prédilection, son compte Twitter, a convoqué deux douzaines de responsables de chaînes de télévision pour les sermonner sur leur couverture des élections, traitant notamment CNN de “chaîne de menteurs”.
Ses sympathisants ont aussi déchaîné leur haine contre une journaliste vedette de Fox News Némésis anti-Trump, Megyn Kelly, en inondant la page Amazon de son nouveau livre de critiques virulentes.Trump avait auparavant menacé Kelly de “lâcher mon magnifique compte Twitter contre toi” tandis que son conseiller Michael Cohen retwittait un message spéculant : “on va l’étriper”.
https://www.youtube.com/watch?v=fnibTaKx4P4
Une stratégie anti-média
C’est une véritable stratégie que Donald Trump a mise au point pour discréditer la presse, estime sur son blog Robert B. Reich, ancien secrétaire au Travail. Désormais professeur de sciences politiques à l’université Berkeley, Reich déconstruit en sept étapes cette stratégie :
1. Admonester la presse.
2. Blacklister les journalistes critiques. Durant sa campagne, Trump a notamment refusé d’accréditer le Washington Post.
3. Monter l’opinion publique contre les médias. Les journalistes sont “des salauds”, “des ordures”, ne cesse de marteler le président élu.
4. Condamner toute critique à son égard, quitte à tomber dans les théories de la conspiration. “Le conglomérat de la presse s’est organisé contre moi” a déclaré Trump. De même, il accuse le propriétaire du Washington Post de s’opposer à lui “par peur que je lui colle une loi antitrust”, Jeff Bezos étant également le boss d’Amazon.
5. Menacer directement les médias. “Je vais changer les lois sur la diffamation, a déclaré le président élu, afin que quand des journalistes écrivent des choses négatives et fausses, nous puissions les attaquer et gagner plein d’argent”.
6. Limiter l’accès des médias à ses faits et gestes. Les usages font qu’il y a toujours, aux Etats-Unis, un groupe de journalistes accompagnant le Président, en cas d’événement majeur. Trump s’y refuse déjà, de même qu’il n’a toujours pas donné de conférence de presse. Sa récente conversation avec Poutine n’a pas été mentionnée par ses équipes mais par le Kremlin.
7. Contourner les médias pour s’adresser directement aux citoyens. C’est la petite révolution qu’a initiée le président élu avec son compte Twitter, véritable arme de propagande dont il ne peut se passer. Il twitte sans hésiter des fake news, ces fausses infos qui pullulent désormais sur les réseaux sociaux, décrédibilisant les journalistes professionnels. C’est sur @realDonaldTrump, qu’il divulgue aussi ses informations majeures, nominations et décisions, quand ce n’est pas dans les meetings avec ses sympathisants. Exit les traditionnelles conférences et communiqués de presse.
“Donald Trump représente une menace inédite pour la liberté de la presse dans ce pays”, confirme par email Warren Olney de National Public Radio (NPR).
Attaques ad hominem
“Les présidents américains ont toujours utilisé leur pouvoir pour limiter ou contrôler l’information, tempère-t-il, ainsi Obama avec les lanceurs d’alerte. Mais avec Trump on peut s’attendre au pire, à l’inconcevable.”
“Les médias sont pour lui une institution biaisée, qui représente les intérêts d’une élite, explique au téléphone Joel Simon, directeur exécutif du Committee to Protect Journalists, ONG de référence basée à New York. Il ne comprend pas le Premier Amendement, ne tolère pas les critiques. C’est pourtant le rôle de la presse face au président. On court donc à la catastrophe”
Simon a écrit au vice-président Mike Pence pour lui faire part de ses inquiétudes :
“Nous aimerions vous rappeler le danger que représente le harcèlement de la presse aux Etats-Unis, qui pourrait être utilisé comme prétexte pour des leaders autocrates de part le monde comme un prétexte pour leurs persécutions.”
De fait, la rhétorique anti-média de Trump fait penser aux discours d’autocrates comme Erdogan, Chavez, Poutine. Au risque de voir s’installer le même climat toxique vis-à-vis de la presse Outre-Atlantique.
“Les journalistes sont de plus en plus souvent victimes d’attaques ad hominem par des quidams”, regrette Simon, qui cite de nombreux messages à caractères antisémites. Journaliste français installé à Los Angeles, chroniqueur au New Yorker, Emmanuel Saadia nous confiait avoir reçu deux menaces de mort par la poste, à son domicile, à la suite d’un article critique publié dans le Washington Post: “Il y a une liste des journalistes ‘juifs’ qui circule dans le cercles alt-rights, avec les adresses personnelles”. Ainsi, même si Trump changeait radicalement d’attitude, le mal est en quelque sorte déjà fait.
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