A travers le parcours de trois amis, tous pianistes virtuoses, Jean-François Sivadier tisse une fresque romanesque où, dans un jeu d’équilibre délicat, chacun évoque sa conception du monde.
La folie règne entre les murs de la MC93, à Bobigny… Peut-être qu’à force de monter des spectacles sans jamais pouvoir les montrer au public, les artistes sont en train de devenir complètement dingues.
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Mercredi 13 janvier. Il est 14 h 30. Lorsque l’on arrive par une petite porte dérobée afin d’assister aux répétitions de Sentinelles, le dernier spectacle écrit et mis en scène par Jean-François Sivadier, une sonate de Schubert, jouée à mille deux cents décibels, retentit.
Sur scène, trois acteurs semblent s’échauffer pour un décathlon – l’un fait des étirements, l’autre, des tractions, le troisième, des pompes. Tandis que, seul dans les gradins, les cheveux en pétard, le corps de Jean-François Sivadier ondule sur les accords du maître autrichien.
Quelques minutes plus tard, fin de la récréation. Deux des comédiens ont pris place sur des chaises en bois.
A mille lieues des mises en scène de classiques
Devant le metteur en scène, ils incarnent des anciens amis qui se retrouvent devant un parterre d’étudiant·es. L’un est devenu une star mondiale du piano – personnage très inspiré par le virtuose Glenn Gould. L’autre, un simple directeur d’école de musique.
Ensemble, ils évoqueront leur troisième compère, disparu. Ils vont tout raconter et tout (re)jouer – leur parcours de soliste, leur initiation, leurs études, leur camaraderie, leurs jalousies, leurs moments de gloire et leurs désillusions – au fil d’un grand spectacle romanesque, à mille lieues des mises en scène de classiques (Molière, Beaumarchais, Shakespeare, Ibsen…) qui ont fait la renommée de Jean-François Sivadier.
Sublimer le monde, le changer ou en créer un autre
“Tout est parti du Naufragé, un roman de Thomas Bernhard, explique-t-il. C’est un texte formidable où il est question d’amitié troublée par la compétition musicale. Sans trop savoir pourquoi, je me suis mis en tête de composer le journal intime de l’un des trois personnages.
“Chaque personnage défend une conception de l’art particulière”
Et j’ai pris un tel plaisir que j’ai écrit à mon tour un roman de plus de mille pages avec autant de rebondissements, différent de celui de Bernhard, où chaque personnage défend une conception de l’art particulière.”
Swan (Samy Zerrouki) pense que les œuvres doivent sublimer le monde, Raphaël (Julien Romelard), le changer, et Mathis (Vincent Guédon), en créer un autre, gouverné par ses propres règles.
“Je suis en permanence partagé entre ces trois points de vue, continue l’auteur. Mais, dernièrement, j’aurais tendance à me ranger du côté de Mathis. Je vieillis peut-être…”
“On a l’équivalent de trois saisons d’une série télé à faire tenir en moins de deux heures de spectacle”
L’heure n’est pas aux considérations métaphysiques ; il faut sélectionner les meilleures scènes, tailler, couper. “On a l’équivalent de trois saisons d’une série télé à faire tenir en moins de deux heures de spectacle”, commente le metteur en scène en regardant sa montre… Autant dire que le couvre-feu n’arrange pas les choses.
Sentinelles, texte et mise en scène Jean-François Sivadier, avec Samy Zerrouki, Julien Romelard et Vincent Guédon. En tournée prochainement
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