L’édition 2021 du Cinéma du Réel débute ce vendredi 12 mars et s’achèvera le 21 mars. Au programme des séances, toutes en ligne en raison de la pandémie de Covid-19 : les beaux films d’Alice Diop et de Virgil Vernier, un mystérieux hacker, des mains dansantes mais aussi une rétrospective Pierre Creton et un film de Jonas Mekas.
Kindertotenlieder de Virgil Vernier
C’est à la célèbre séquence de Lettre de Sibérie de Chris Marker que l’on pense devant Kindertotenlieder, le nouveau film de Virgil Vernier. En quelques minutes, Marker, utilisant à trois reprises les mêmes images mais changeant à chaque relecture le commentaire et la musique qui les accompagnent, y faisait la géniale et implacable démonstration de leur malléabilité et de leur impossible objectivité. En composant entièrement son nouveau film d’images issues des journaux télévisés de TF1, diffusés entre le 27 octobre et le 17 novembre 2005, Virgil Vernier poursuit cette réflexion mais par une voie nouvelle, comme prise dans l’autre sens.
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Dénuées de voix off explicatives et de sentences journalistiques, les images sont ici rendues à leur pur état documentaire. Ce qui nous guide, les lie entre elles, ce ne sont donc plus les commentaires inquiets mais le montage qui ainsi fabrique le récit. Nous sommes en 2005, à Clichy-sous-Bois et deux adolescents, Zyed et Bouna, viennent de trouver la mort dans un poste électrique après avoir été pourchassés par des policiers. Le film débute sur ce drame et en retrace la généalogie jusqu’aux révoltes, donnant la parole aux habitant·es, les laissant exprimer leur peur, leur colère, leur désarroi, le tout entrecoupé des réactions d’une classe politique sourde et belliqueuse. Kindertotenlieder est un chant funeste – son titre fait référence au recueil de poèmes de Friedrich Rückert, écrit après la mort de ses deux enfants. Un chant funeste et mélancolique qui, par son ingénieux dispositif, ne vise pas tellement à rétablir une vérité mais d’avantage à restaurer son régime de représentation pour préserver la mémoire des deux garçons mais aussi celle d’une ville et d’une vie de quartier. Cinéaste-archéologue, Virgil Vernier a souvent su trouver dans le présent des traces d’un temps ancien. C’est ici l’inverse qui s’opère. A la fin du film, les images d’une voiture brûlée puis plus loin celle d’un hélicoptère tournoyant autour des tours allumées apparaissent. Elles crépitent dans le silence, elles sont d’hier mais pourraient être d’aujourd’hui.
A voir : samedi 13 mars à 18h ; dimanche 14 mars à 13h
Random Patrol de Yohan Guignard
Auteur de plusieurs films documentaires tournant notamment autour du rugby, Yohan Guignard réalise ici un huis clos américain avec pour “acteur” principal Matt, policier de la banlieue d’Oklahoma City dont l’imposante carrure en ferait certainement un parfait deuxième ligne. Ce qui se joue dans cette voiture, comme certainement sur un terrain de sport, a tout à voir avec une certaine idée de la force, de la virilité et du masculin. Mais s’il en a tous les atours, Matt est loin d’être un cow-boy sanguinaire. C’est un homme effrayé, pétri d’angoisses à l’idée de faire une simple ronde quotidienne, prêt à dégainer à n’importe quel moment, comme quand un passant s’approche de sa voiture pour lui demander conseil. Chaque jour est pour lui son dernier, il s’y prépare et poursuit ses rondes – une activité à l’image de sa vie, sans point d’ancrage mais avec un mouvement de rotation infini.
Pendant vingt minutes, Yohan Guignard filme le visage impassible de cet homme droit et aimant, la moitié du temps planqué derrière une paire de lunettes. Vingt minutes qui grimpent en intensité et font émerger le portrait d’un être hanté par la mort et bientôt pris en face-à-face avec elle. Dans ce portrait sensible, c’est aussi un certain état (dépressif) de l’Amérique qui se profile, toujours en quête de quelque chose mais comme vidé de son sens. Rien d’étonnant alors à ce que le film s’achève sur ce plan d’une route inondée par un lac qu’il faudra pourtant traverser.
A voir : lundi 15 mars à 18h ; mardi 16 mars à 16h30
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Dear Hacker d’Alice Lenay
Avec Dear Hacker, son premier film, l’artiste-chercheuse Alice Lenay prend à rebours les idées reçues autour du cyberharcèlement, de la récupération des données ou encore de l’état de surveillance permanent dans lequel chacun de nos appareils électroniques, ordinateurs, téléphones et tablettes nous contraindraient à vivre. Elle préfère y voir le signe d’une présence, physique ou métaphysique, parasite, fantôme ou ange gardien qu’importe, l’envisageant alors plutôt comme une fabrique à histoires, un créateur de romanesque.
Tout commence le jour où le voyant de la web-cam d’Alice s’allume sans qu’elle ne l’ait demandé. A partir de cet évènement insignifiant, la cinéaste décide de mener une enquête pour tenter de démasquer ce qu’elle se plaît à envisager, amusée, comme un admirateur secret qui, planqué derrière son écran, aurait infiltré le sien, à elle, pour l’épier. Depuis son ordi, elle multiplie les Zoom, Skype et autres moyens de communication pour discuter avec des proches et moins proches, connaisseurs dans le domaine, et tenter d’y voir plus clair. Bien sûr, le jeu est aussi un bon prétexte pour ouvrir plus largement la réflexion autour de l’hyper-connection. Les écrans, les ordinateurs, les connections ont-ils appauvri nos relations, notre langage ou, au contraire, ont-ils permis d’accéder à un monde nouveau, nourri un système de croyance neuf (voir de l’autre côté du miroir) ? “Ce qui est cool avec la surveillance, c’est qu’il y a toujours quelqu’un qui tient à nous”, dit l’un des “intervenants”, mi-ironique, mi-sérieux. C’est ce à quoi ressemble Dear Hacker, une sorte d’évocation poétique autour du vivre ensemble, de la solitude et du rapport à l’autre.
A voir : lundi 15 mars à 16h ; mardi 16 mars à 20h
Flowers blooming in our throats d’Eva Giolo
Flowers blooming in our throats est un court poème visuel, dans lequel des mains autonomes, comme détachées de leurs corps, se bagarrent et s’étreignent, découpent frénétiquement des fleurs ou s’apaisent des caresses d’une autre, lavent des assiettes, des verres, pétrissent de la pâte… En un peu moins de dix minutes, c’est à une sorte de ballet de gestes que nous invite Eva Giolo, artiste audiovisuelle belge – danse qui n’est pas sans rappeler celle orchestrée par Guy Gilles dans sa somptueuse Chanson de Gestes.
Derrière cette chorégraphie domestique, c’est une délicate histoire du quotidien qui s’écrit, celle de ces mouvements imperceptibles, quasi-invisibles à l’œil nu qui se dorlotent ici dans les teintes pastel de l’image, son format carré, sa texture cotonneuse. Mais comme dans toute routine, le dérèglement n’est jamais loin : en quelques secondes le rythme du film se grippe, un filtre rouge sang apparaît et alors la douceur du quotidien (dont le film nous fait aussi entendre toutes les délicates sonorités) bifurque vers une inquiétude. Les gestes se font plus rapides, les jeux et les impacts de deux mains qui se rencontrent plus violents. Peut-être la restitution idéale d’un état d’attente, celui de mois confinés et de nos corps bloqués, rejouant inlassablement les mêmes gestes.
A voir : mercredi 17 mars à 16h30 ; jeudi 18 mars à 20h
Nous d’Alice Diop
Nous, le nouveau long métrage d’Alice Diop, récompensé début mars à la Berlinale, est un film dans lequel on entre sans trop savoir ce que l’on va trouver. Un film dont on aurait presque l’impression qu’il se construit sous nos yeux, pièce par pièce, comme les détails d’un tableau, pour qu’à la fin, vertige d’une vue d’ensemble, il en révèle sa toute-puissance, si délicate. Il nous amène d’abord à la rencontre d’un homme, immigré malien. C’est ensuite vers la quête intime de la cinéaste, qui nous parle à la première personne et part à la pêche aux souvenirs, qu’il nous guide avant de nous conduire auprès de sa sœur, aide à domicile pour personnes âgées, pour finir par bifurquer vers d’autres chemins (des jeunes garçons et des jeunes filles, un mémorial de la Shoah, une chasse à courre…).
Dans cette mosaïque de visages familiers ou inconnus, c’est l’idée d’une humanité qui s’incarne, plurielle, différente, contradictoire. Alice Diop filme ces hommes et ces femmes comme des comètes éparses mais connectées de loin ou de près, comme viennent le figurer ces plans de trains de nuit ou de trajectoires de vies. Nous est un film de territoire avec la ligne du RER B comme guide, c’est un film qui prend le temps du voyage avant de parvenir à la rencontre. Cela pourrait paraître simple, naïf, évident, comme s’il suffisait de braquer son objectif pour enregistrer et capturer un peu de cette substance humaine, mais cela demande une qualité de regard et un sens inouï du montage. En creux de cette fausse divagation qu’est Nous, c’est aussi le projet de la cinéaste qui se dévoile en filigrane, celui qui consiste à écrire l’histoire de celles et ceux que l’on voit peu, relayés aux marges (urbaines, sociales). Vers la tendresse est le titre d’un très beau court métrage d’Alice Diop. Devant Nous, on se dit qu’il pourrait être aussi son mantra de cinéaste.
A voir : dimanche 21 mars à 14h30
Mais aussi…
Cette année le festival Cinéma du Réel rend hommage à Pierre Creton, cinéaste, plasticien mais aussi agriculteur, dessinateur et jardinier originaire de Vattetot-sur-Mer, village normand depuis lequel il a confectionné la plupart de ses films. L’occasion de plonger dans une filmographie d’une richesse infinie et d’une profonde humanité, de ses premiers films (le court métrage Le Vicinal en 1994) à son dernier Bel Eté, sorti en 2019.
Autre séance à ne pas manquer : “Cinéaste en son jardin”, dédiée aux cinéastes qui dédient eux-mêmes leur vie “au jardin” et “au cinéma” et “s’occupent à vivre, à être vivant”. L’occasion de (re) voir le bouleversant Et maintenant ? de Joaquim Pinto, récit de contamination, de survie et d’amour mais aussi As I Was Moving Ahead, Occasionally I Saw Brief Glimpses of Beauty, fresque monde de Jonas Mekas datant de 2000 qu’il définissait comme “un poème d’amour dédié à New York, ses étés, ses hivers, ses rues, ses parcs”.
Toutes les infos à retrouver ici.
>> A lire aussi : Rencontre avec le cinéaste et ouvrier agricole Pierre Creton
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