Sacré numéro un de notre top 10 des meilleurs albums de rap français (pour « Première consultation »), le Doc nous a accordé un entretien fleuve. Au menu : hip-hop, Sarko et Wong Kar Waï.
On l’avait presque oublié. Doc Gynéco a traversé les dernières années comme un fantôme, traînant son engagement auprès du candidat Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle de 2007 comme un triste boulet. Mis au banc par le milieu hip-hop qui ne lui pardonne pas d’avoir pactisé avec le diable, placardé par les médias qui semblent s’être lassés de ses postures vaporeuses, le Doc est comme ostracisé dans son cabinet.
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À l’aube de la quarantaine, alors que sa carrière semble aujourd’hui derrière lui, il est peut-être temps pour le rappeur de Paris-Nord de faire un premier bilan. Calmement, en se remémorant chaque instant. Le bilan d’un parcours dont les derniers jalons frappés du sceau de la polémique ne sauraient pour autant jeter un voile sur le génie du bonhomme dont le premier album, Première consultation (numéro 1 de notre top 10 des meilleurs albums de rap français), se pose comme un classique intemporel et absolu du rap français. Et puis au final, ce parcours, fait d’envolées géniales et d’embardées infernales, ne résumerait-il pas la personnalité de cet homme plein d’incohérences, capables de passer du coq à l’âne juste par instinct ? De ce point de vue, Doc ne serait-il pas le rappeur le plus authentique du hip-hop ?
Cela fait maintenant quelques temps que l’on n’entend plus parler de toi. Mais où étais-tu passé ?
Doc Gynéco : Bah, ce moment, je suis un peu puni. Ma punition, c’est que l’on ne me voit plus. Les médias ont décidé de ne plus me parler, et pour des raisons qui ne sont pas forcément claires en plus. Je suis puni, je ne peux pas descendre jouer avec les autres dans la cour de récréation. Et ça commence a durer ; disons que cette punition est de longue durée, comme une double peine. Mais ce n’est pas une traversée du désert pour autant. Je suis simplement là où mon coeur a décidé de m’emmener.
Pourquoi dis-tu que les médias t’ont puni ? Pour avoir soutenu Sarkozy en 2007 ?
Si moi, j’ai fait un album comme Première consultation, c’est parce que je suis un fou. Si à chaque fois, je fais ce que je fais, c’est pareil : c’est parce que je suis fou. Pour Sarkozy aussi. Pendant longtemps, on m’a suivi dans ma folie, il n’y a qu’à voir le succès de mes débuts. Le souci, c’est que lorsque j’ai commencé à m’intéresser aux questions politiques, cette fois, les médias n’ont pas voulu me suivre. Les mecs n’ont pas considéré que mon soutien à Sarkozy pouvait être un délire artistique. Pourtant ils me connaissent, les médias, ils savent très bien qui je suis ! Mais bon, ils ont décidé de prendre ça au sérieux…
Mais il n’y avait aucun engagement militant derrière ce soutien à Sarkozy ? Tu ne t’es pas engagé à droite parce que c’est de ce côté que tu te retrouvais le plus à ce moment-là ?
Jamais. Moi, je ne réfléchis pas comme ça. C’est comme lorsque j’ai décidé de m’appeler Doc Gynéco : quand j’ai annoncé mon nom de scène à ma maison de disques, au début de ma carrière, les mecs m’ont regardé, éberlués. En fait, je n’ai jamais réfléchi aux choses que je fais et aux décisions que je prends. Je n’essaye pas d’anticiper les réactions que je peux provoquer. Par contre, pleins de gens ont réfléchi à ma place en 2007. Je me souviens qu’ils disaient que je soutenais Sarkozy parce que j’avais un problème avec les impôts… Ca me rappelle ces types qui me demandent si je fait de la musique pour gagner de l’argent… Mais moi, je suis tout sauf un consommateur ! Dans ma carrière, j’ai consommé des femmes, c’est tout ! Je suis loin des Ferrari, loin des Roll’s, je ne connais pas une marque de champagne en particulier… Je ne suis pas quelqu’un qui calcule pour trouver de l’argent. Et pour Sarkozy, disons que j’avais envie de m’amuser. Il faut prendre des risques dans la vie.
Cela dit, en 2007, tu n’hésitais pas non plus à déballer un argumentaire détaillé quand on te demandais de justifier ton engagement auprès de Sarkozy. Tu disais notamment que tu faisais ça pour secouer le rap français…
Quand j’étais numéro un, j’ai tout fait pour qu’on ouvre le rap, pour qu’on le fasse connaître aux gens, que l’on se rapproche d’autres musiques et d’autres groupes comme les Rita Mitsouko. J’ai tout fait pour aider le rap. Mais en 2007, le rap tel quel ne marchait plus. En fait, les mecs qui sont arrivés après moi ont fait l’inverse de ce que je faisais : ils ont débarqué façon « Doc, laisse-nous tout casser, laisse-nous tout pourrir. » C’est effectivement pour ça que je suis parti du côté de Sarkozy : j’ai joué le type de droite qui remonte les bretelles à tout le monde. En passant de l’autre côté, je voulais signifier aux rappeurs mon désaccord avec ce qu’ils étaient en train de faire de ma musique. Ils en faisaient une musique d’imbéciles qui veulent tout kiffer et tout niquer, les milliards comme les pures ; une musique de club, de désespérés, un genre de « Desesperate House Rap » horrible, une musique de gens tristes qui n’avait rien à voir avec mon travail. Moi, je voulais que cette musique s’ouvre et les autres ont voulu qu’elle reste une musique de Noirs, une sorte d' »art naïf » comme ils disent là. Mais ça ne servait à rien ! Le souci, c’est que personne ne voulait entendre ce que j’avais à dire… Quand on pense à ce qu’ils ont fait de ma musique…
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Rétrospectivement, ton engagement avec l’UMP a-t-il vraiment servi à quelque chose ?
Il y a eu un effet mais c’est intellectuel, ça n’est pas palpable pour l’instant. Dans le peu d’intelligence qu’il y a dans cette musique, je crois que ça a créé quelque chose. Je vais finir par réussir à parler avec certains groupes. Mais le reste, ce n’est que de la violence. Ça ne change pas. Voilà qu’il y en a un qui fait une chanson pour insulter l’autre et puis vice versa, ça parle mal dans tous les sens. Untel dit qu’il va tirer sur l’autre, et machin, et truc… Mais ces mecs-là sont des fillettes ! Ils ne sont pas de ma catégorie !
Ta mise au placard te file des regrets ?
Non, je n’ai pas de regrets parce que je crois que je n’ai pas fait d’erreurs. Et je ne peux pas payer pour les erreurs des autres, ceux qui ont fait du rap ce qu’il est aujourd’hui. Ces gens ne sont pas responsables de leurs propres idéaux. Enfin, dans mes prochaines chansons, je vais peut-être reconnaître des erreurs que j’ai pu faire alors qu’elles n’en furent pas vraiment. C’est comme le produit de ma vie, c’est fou. Les gens me disent d’être sérieux et de sortir un album pour maigrir, mais pourquoi donc ?
Ces dernières années, à part tes accointances avec Sarkozy, il y a une chose qui t’a causé du tracas : tu t’es fait viré de ta maison de disque – EMI – en 2008. Que s’est-il passé exactement ?
Et ben les mecs ont dit que c’était de notre faute à nous les artistes si les disques ne se vendaient plus. Et ils ont renvoyé tout le monde : moi comme des artistes hyper connus avec cinquante ans de carrière à côté desquels je ne suis qu’un petit rien du tout. Le trucs, c’est que lorsqu’ils m’ont viré, ils ne m’ont pas prévenu ; ils ont juste fermé boutique et ils sont partis. Mais bon, ça allait pour moi, heureusement que j’avais fait Première consultation avant que leur comptable ne fasse les calculs !
Il éclate de rire et s’abandonne dans une marrade qui dure une bonne dizaine de secondes. Tout seul.
Du coup, aujourd’hui, comment fais-tu pour gérer et poursuivre ta carrière sans maison de disques ?
Moi, je ne deale pas et je ne vole pas. Et puis, de toute façon, si j’ai fait de la musique, c’est justement pour ne pas voler, ne pas dealer et ne pas aller en prison. Et le comble, c’est que quand je me suis retrouvé sans maison de disques, au quartier, tous les mecs qui dealaient et faisaient les voyous m’ont dis qu’ils préparaient un album !
Bon, moi, j’ai pris mon mal en patience et j’ai attendu que ce truc de fou passe. Je suis resté chez moi et j’ai mangé beaucoup de pâtes : des spaghetti, des penne et parfois, sans sauce ! (énorme rires) J’étais même assez serein, j’arrive de trop loin pour avoir peur des choses existentielles.
Au final, quel regard portes-tu sur cette période un peu trouble de ta vie pendant laquelle on t’a aussi accusé de fraude fiscale et beaucoup glosé sur ta relation avec l’écrivain Christine Angot ?
Ah, je me suis beaucoup amusé. Et surtout, il n’y a jamais eu aucun calcul. Christine Angot, je n’avais jamais lu un livre d’elle avant de la rencontrer ; je ne pouvais vraiment pas savoir qu’elle était connue et réputée dans son milieu. Et puis franchement, qui connaît Christine Angot à part vous les mecs? Faut se réveiller hein ! Dans mon univers à moi, on ne connaît pas ça. Même quand je cherche au plus profond des contacts de mes dix portables, jusqu’à la lettre « z », personne ne connaît Christine Angot ! Sans lui manquer de respect, bien sûr.
Il respire un grand coup.
En repensant à tout ça, je crois que je me suis fait beaucoup avoir. Sûrement parce que je ne connais pas les jeux d’images. Allez plutôt demander à Sarkozy pourquoi ça s’est passé comme ça, allez plutôt demander à Ruquier pourquoi ça s’est passé comme ça, allez demander aux autres pourquoi ça s’est passé comme ça avec moi. Moi j’ai rien voulu des gens. Ils m’ont appelé, je suis allé les voir. Comme ça. Ce n’est pas moi qui ai pris mon téléphone, « Allo, c’est Doc, je veux vous voir, j’ai un truc à vous proposer« . Jamais de ma vie ! Moi, je marche, je fais mon chemin… et mon coeur m’emmène. Et pour ce qui est de ma tête, je sais déjà que je suis fou, j’essaye pas de réfléchir, je fais comme je peux.
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Retournons en arrière, il y a plus de quinze ans, quand tu faisais tes premiers freestyles porte de la Chapelle à Paris. Comment es-tu né à la musique et au rap ?
Pour moi, la musique n’avait pas d’histoire, je n’avais pas de souvenirs du concert d’untel ou d’untel, je ne connaissais rien à la tradition du sample. Et j’ai toujours pensé que la musique ne se faisait qu’avec des musiciens. Moi, j’aime la musique du coeur, je suis pas un type « GPS et électronique » qui aiment les techniques qui te disent de tourner à gauche ou à droite pour faire de la musique. Je me suis engueulé avec les mecs du hip-hop pour cette différence.
Quand j’étais jeune, j’avais des choses à dire mais je ne savais pas comment les dire. Là où j’ai grandi, personne ne connaissait d’éditeur, alors je me suis mis à la chanson. J’ai commencé à raconter les choses en chanson. Je voyais beaucoup de folie autour de moi et l’écriture de texte était comme une sorte de thérapie. Les gens qui m’écoutaient, au début, ils pensaient que je parlais d’eux dans mes textes. Ils se reconnaissaient et ils trouvaient du sens et un message dans ce que je rappais. En fait, je crois que j’avais capté l’ère du temps. Mais je ne pensais pas faire un disque et tout et, d’ailleurs, personne ne pensait que mes textes pouvaient sortir du quartier.
Tu aspirais à quoi ?
J’ai demandé à ma mère de me laisser faire ce que je voulais, c’est-à-dire de la musique, pendant un an ou deux. Et ça a marché tout de suite. J’ai rencontré les mecs du Ministère A.M.E.R. et j’ai rapidement commencé à squatter leur studio avec Mariano Beuve (le producteur, aujourd’hui décédé, qui découvert le ministère A.M.E.R – ndlr). J’ai appris toutes les techniques d’enregistrement, les machines, les consoles : le Moog et le mini Moog, les claviers à lampes. Le soir, quand le ministère A.M.E.R. finissait d’enregistrer, je prenais leur place dans le studio et je rappais. Eux, ils faisaient les racistes et moi, ça m’amusait. Ils étaient super sérieux, ils faisaient genre « les Noirs, les Blancs, la bagarre« . Moi, je m’en foutais ; je voulais juste faire mon truc à moi. Et au bout d’un moment, j’ai commencé à faire des maquettes de Première consultation.
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