La semaine dernière se tenait à la Porte de Versailles le Rapid & Resto Show, le salon de la restauration rapide et de la vente à emporter. L’occasion d’aller fourrer son nez dans les nouvelles tendances des échoppes modernes et de pouvoir enfin percer les mystères de la sauce samouraï – chef !
Hall 6 du salon des expositions, les professionnels du secteur se sont donné rendez-vous pour parler burgers, pizzas, sandwichs, bentō et café. Un patchwork d’exposants, de la grande enseigne de distribution au fabriquant de matériel professionnel, du jeune artisan au sérieux costume trois pièces. Les plus gros ont souvent le plus petit emplacement, voire sont quasiment absents (comme McDonald’s ou Quick), tandis que d’autres, à l’instar d’Alloresto, ont carrément sorti leur caisse façon salon de l’auto. Les visiteurs déambulent mollement en ce matin de la mi-septembre, ils sont là pour le business, pas pour se goinfrer – d’ailleurs il n’y a pas grand chose à béqueter et tout le monde prend d’assaut les stands dédiés au café.
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Les barons du secteur du cacao se sont approprié sans problème le quart de la surface dédiée aux exposants, les plus beaux stands, les plus belles filles – difficile ainsi de résister à l’appel de la caféine. Contrairement aux autres emplacements plutôt passifs, quand vous entrez dans le radar d’un dealeur de café, il vous saute dessus avec un grand sourire – “on peut vous proposer un café ?”, “mais bien sûr”. La fille qui a dit ça était vraiment pas mal, je lui en ai demandé un bien serré histoire de me réveiller, elle m’a amené avec un grand sourire un “100 % indien” que j’ai bu sans sucre pour l’impressionner pendant qu’elle scannait mon badge, en espérant qu’elle m’enverrait un mail. Puis elle est repartie, et j’ai décollé rejoindre Voyager 1 tellement son café était chargé. Les dents qui claquaient comme en pleine montée, je suis allé me poser pour écouter les conférenciers.
« No Junk. Just Funk »
La restauration rapide est en perpétuel renouvellement, et ce ne sont pas les boissons à l’eau de coco au goût désaltérant mais suspect – n’en déplaise à son égérie Rihanna – ou ces foutues canettes de thé détox pour rassurer les gens, qui allaient m’impressionner. J’étais venu pour voir surgir le futur et entendre parler de ce qui nous anime à l’heure de grailler, pas traîner salon de la diététique. En témoigne cette enseigne dont l’accroche était “No Junk. Just Funk” (funk voulant dire “sale”, le concepteur rédacteur était probablement saoul…), la tendance était clairement au bien-être, ou au marketing douteux. Mais passons cette étape un peu triste de dégustation de thé dans des mini-gobelets pour malades pour tâter les vraies tendances, la came, les nouveaux concepts venus d’Amérique, la Mecque de le restauration rapide, selon les propres mots des professionnels.
Effectivement, c’est chez Oncle Sam que tous les regards se tournent, là-bas le marketing est roi et le produit est travaillé selon la typologie de la clientèle ; il est mis en scène, théâtralisé, son prix s’adapte selon les besoins. Il ne suffit plus d’avoir un bon emplacement pour percer, il y a une véritable stratégie à déployer car malgré un marché en croissance, la restauration rapide n’est plus cet ancien eldorado. Face à un auditoire sérieux et attentif, un type balance des slides, mon ventre se tord devant les dernières innovations de la rôtisserie chic, du burger, du poulet, du café ou de la boulangerie. Mais, même en plissant les yeux, pas l’ombre d’un kebab, ni sur scène, ni sur le salon.
Pas un turc ni un grec à l’horizon
Je regarde attentivement la carte mise à disposition, rien, pas un turc, ni un grec à l’horizon, à moins qu’ils nous attendent à la sortie en aiguisant leur grand couteau devant leur totem de viande. J’arpente de long en large le salon un peu nerveux, je tombe sur du hot-dog américain produit dans l’Allier, des crêpes pour ceux qui ne savent pas faire des crêpes, un amoncellement très coloré de conserves, un type qui fait des sandwichs à partir de plats préparés (un truc qui vous fume le cerveau), des sandwichs bio, mais rien d’un trio salade-tomates-oignons. Un peu triste, je retourne voir la conférence “tendances 2012-2013”, pour sentir le futur approcher.
L’agence Bento a sorti cette année un cahier de tendances sous forme d’abécédaire, ils ont fait le tour du monde pour ramener ce qui sera le futur de nos mains grasses – pas mal comme job. Tout d’abord pour rassurer les fanatiques d’Instagram, la burgermania qui envahit l’Occident depuis 10 ans (et la France depuis 2-3 ans) n’est pas prête de s’arrêter, qu’il soit haut de gamme, traditionnel, gourmet, customisable ou servi depuis un camion (le food truck), le burger est une tendance lourde et durable.
Fast food et fétichisme
L’innovation continue, et la sympathique conférencière envoie calmement une bombe en parlant d’Umami Burger. L’umami est appelée la ‘cinquième saveur’, celle qu’on retrouve dans les bouillons japonais ou dans le bacon, c’est une saveur addictive, que l’industrie agro-alimentaire utilise pour rendre accro ses clients. Une chaîne de restaurants venait officiellement de passer le burger au level umami, j’ai logiquement tourné de l’oeil, nageant dans des litres de graisse et de bacon, la langue pendue à laver le sol du hall 6 du salon des expositions.
Elle avait lâché le concept de la bouffe impulsive, le règne de la food porn, le fast food élevé au rang de fétichisme, on était là pour ça, pour transformer notre cerveau en petite hélice. Des concepts novateurs dans ce style, elle en a montré pendant une heure, faisant régner l’amour dans l’assistance qui noircissait fiévreusement son papier dans un silence religieux : pizzas signées par des chefs, culte du pain dans le monde entier, tendance post-Starbucks avec des producteurs indé, la mise en scène du produit comme ce bar à esquimaux qui ferait un très beau fond d’écran, ou bien les tendances asiatiques et les actifs stars (Omega 3, anti-oxydants et leurs potes). Les plats défilaient vite dans ma tête, une ronde qui faisait le tour de la Terre pour délivrer un message de paix.
Attristé par la fin de la conf qui reçut des applaudissements appuyés et mérités, la tête encore emplie de ces visions d’avenir radieux, je déambulais entre les emplacements à la recherche des tendances dans les döner kebab, ce grand absent du salon. Malgré une truffe affinée pour la sauce blanche, pas une trace, même cachée derrière un poteau d’un petit bonhomme plongeant ses frites dans l’huile bouillante. Mes “chef ! chef !” se perdaient dans les distributeurs de boissons, j’avais beau chercher sous les barquettes micro-ondables en bois recyclable, dans le coffre de la voiture d’Alloresto ou sous les caisses enregistreuses, absolument rien.
Pas un mot pour le kebab
Le business du kebab en France, c’est tout de même 250 millions d’unités vendues en 2009, plus de 10 000 restaurants pour plus d’un milliard de chiffre d’affaire. Des citernes de sauces, des tonnes de frites, et des millions de ventres apaisés mais pas de place au Rapid & Resto Show. Il est vrai que les produits déjà implantés avaient peu de place sur le salon, en témoigne le ridicule emplacement de Coca-Cola (et sa soporifique intervention) ou l’ennui flamboyant de la pauvre démonstratrice des frigos à soda. Le kebab n’a pas tellement évolué depuis sa création en 1971 par Mehmet Aygun, mais malheureusement pas un mot pour lui. Omission étonnante, et tristesse sur mes doigts trop propres. La harissa était en berne.
Posé devant une démonstration poussive de velouté de potiron par un duo improbable de chefs, du genre Laurel & Hardy sauce Queer, à feuilleter la description des exposants où la tendance est nettement au marketing de la santé et de la diététique, je rêvais de gras assumé, et d’honnêteté culinaire. De kebabs qui se prenaient la main autour de burgers dégoulinants de cheddar fondu, de pizzas chaudes et de bagels bien remplis, du concret.
Je quittai alors le salon, un peu frustré mais heureux. L’industrie de la restauration rapide ne veut pas voir de kebabs mais pense quand même à nous, elle est aux petits soins, on compte sur elle pour remplir nos bides en pensant à notre santé. La bouffe plaisir et fonctionnelle, l’alimentation comme divertissement à part entière.
Stephen des Aulnois
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