Chaque mois, des milliers d’Africains pénètrent illégalement en Israël. Sans l’obtention du statut de réfugiés, ils sont confrontés à la précarité et aux vexations diverses. Celles qu’ils fuyaient déjà.
Début d’après-midi, à deux pas de la gare centrale de Tel-Aviv. Allongés par terre dans l’herbe pelée, ou assis en petits groupes au milieu des détritus, des immigrés soudanais, érythréens et nigériens. Depuis plusieurs mois, le parc Lewinsky est devenu leur unique abri. Sans travail, sans argent, sans visa, ils n’ont nulle part ailleurs où aller.
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« Comme Israël ne nous donne pas le statut de réfugié mais un simple asile temporaire, on n’a pas le droit de travailler légalement. Résultat, on traîne ici en attendant de se faire embaucher pour la journée sur un chantier », explique Mussie, 27 ans, venu d’Érythrée.
Sous le soleil de plomb de Tel-Aviv, les journées s’étirent lentement, indifféremment : « On attend le soir. C’est à ce moment-là que les associations humanitaires viennent nous apporter à manger. C’est la Lewinsky soup », précise Daniel, un Soudanais de 41 ans.
Immigration en constante hausse
Pourtant, malgré la précarité et le dénuement, l’immigration ne cesse d’augmenter. Selon les autorités israéliennes, les migrants africains seraient aujourd’hui 60 000 sur 7,5 millions d’habitants. La majorité d’entre eux vit dans le sud de Tel-Aviv ou dans sa périphérie. Cette affluence s’explique par la situation géographique particulière d’Israël, facilement accessible par voie terrestre via le Sinaï. « C’est assez simple. On paie des passeurs, des bédouins qui connaissent bien le désert. On traverse le Sinaï jusqu’à la frontière et on entre dans le pays », lance, d’un ton neutre, Mussie. La porosité de cette frontière permet à deux à trois mille migrants de passer chaque mois.
À quelques pas du parc Lewinsky, une rue piétonne dans le quartier de Neve Shanaan. Les échoppes de produits bon marché se suivent et se ressemblent. Près d’un camion, un petit groupe d’immigrés se masse pour acheter des jeans à 30 shekels (environ 6 euros). Parmi eux, Keita, 26 ans. Il vient du Sénégal. Casquette sur la tête, baskets Nike et croix en or, il ne connaît pas la même réalité que ceux qui vivent au parc Lewinsky. Installé depuis cinq ans, il travaille comme cuisinier dans un des grands hôtels de la ville. Comme beaucoup de migrants de longue date, il observe une lente dégradation des relations avec la population locale :
« Il y a quelques années, les Israéliens étaient très sympas avec nous, on vivait en bonne intelligence. Cela fait environ un an que la situation est devenue intenable. »
En mai dernier, une manifestation contre les clandestins a dégénéré en émeute. Sous la pression de la droite dure, le gouvernement a organisé une opération de rapatriements « volontaires » d’Africains, baptisée « Retour à la maison ». Débutée en juin, elle a conduit à l’expulsion de centaines de Soudanais du Sud.
Tensions croissantes
Entre pillages, manifs et règlements de comptes dans la rue, la tension ne cesse de croître entre les deux communautés. Vexations et humiliations sont devenues monnaie courante. « L’autre jour, des enfants m’ont jeté des pierres au visage, qu’est-ce que je peux faire contre ça ? », demande Simon, 34 ans, Nigérien, propriétaire d’un petit magasin.
Si certains s’opposent violemment à toute tentative de conciliation, d’autres essaient de venir en aide aux clandestins. C’est le cas d’Alusine Swaray. Arrivé il y a vingt ans, ce Sierra-Léonais a créé l’African Workers Union in Israel (l’Union des travailleurs africains en Israël) : « J’ai fondé l’association en 2009 pour défendre les droits des immigrés africains. J’ai été reçu à la Knesset (le Parlement israélien – ndlr) et j’ai pu soumettre des mesures afin d’améliorer notre vie quotidienne. Ils ont retenu plusieurs de mes propositions. » Désormais, grâce à Alusine, il leur est possible d’ouvrir un compte en banque, d’avoir une assurance santé et de se faire soigner pour presque rien dans des dispensaires.
Parmi eux, deux Libériens sans papiers, Joseph et Musu. Ils ont rendez-vous avec le pasteur Ignatius qui officie depuis près de dix-huit ans au Living Faith Ministry International, une église logée au quatrième étage d’un immeuble délabré près du périphérique. Ils suivent Alusine jusqu’à l’appartement anonyme transformé en lieu de culte. Assis en rond autour du pasteur, les trois hommes écoutent religieusement. Pour eux, il n’y a qu’une seule explication au fait qu’ils n’aient pas encore été chassés malgré l’opération « Retour à la maison », initiée en juin, et au durcissement des mesures anti-immigrés : « Dieu nous protège », avance Joseph avec ferveur. Tout le monde acquiesce.
En attendant un véritable miracle, les Africains de Tel-Aviv continuent de prier pour l’État hébreu, « car après tout, c’est la maison de Dieu », sourit le pasteur.
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