« L’Innocence des musulmans », le fameux nanar « anti-islam », est au cœur des controverses dans cette ville où les communautés cohabitent.
15 heures à Jérusalem-Est. L’après-midi s’étire paisiblement sur la petite place qui jouxte la porte de Damas. Les arabes israéliens du quartier vaquent tranquillement à leurs occupations. Allongé sous un arbre, un homme fait une sieste, un autre répond à l’appel du muezzin et se retire discrètement sur un coin de parking pour prier tranquille. Près du stand de fallafels, un groupe de jeunes discute à bâtons rompus, en fumant cigarette sur cigarette. Casquettes sur la tête et tee-shirt colorés, ils sont loin de ressembler à des religieux. Pourtant, à l’évocation du film anti islam L’Innocence des musulmans, leur malaise semble profond.
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« Toute cette histoire me dégoûte, lâche Amine, 24 ans. Ce film est une véritable insulte, une provocation gratuite dirigée contre tous les musulmans. Alors, évidemment, nous sommes très en colère ! », s’exclame le jeune homme en jetant sa cigarette.
Ses copains hochent la tête avec enthousiasme. « On a aussi entendu parler des caricatures de Mahomet publiées par un journal français », lance Ahmed, le vendeur de fallafels, venu se mêler à la conversation. « Pourquoi vouloir encore nous humilier, se moquer de notre prophète, de notre foi ? Quel est le but à part ajouter de l’huile sur le feu ? », s’insurge-t-il. Comme dans de nombreuses villes du monde arabe, les Palestiniens sont nombreux à avoir manifesté pour faire entendre leur colère et leur indignation. Le 14 et le 15 septembre dernier, des centaines d’arabes israéliens ont manifesté à Jérusalem-Est et des milliers de Palestiniens sont descendus dans la rue à Gaza. Lundi dernier, ils étaient des centaines à Ramallah. Le ministre palestinien des affaires religieuses, Mahmoud al Habache, a également appelé les Etats-Unis à présenter leurs excuses.
« La preuve ultime d’une rupture de dialogue »
A la lisière de la vieille ville, dans ces rues qui semblent tacitement dévolues aux magasins de téléphones portables, Aref attend patiemment son tour pour acheter une carte prépayée. Cet étudiant calme de 26 ans voit L’Innocence des Musulmans comme le symbole d’une crispation toujours croissante entre le monde musulman et les pays occidentaux.
« C’est la preuve ultime d’une rupture totale de dialogue entre nos deux cultures. Il semble qu’on ne puisse plus se comprendre du tout », se désole le jeune homme. « Pour moi, le film ne doit pas être réduit à sa dimension blasphématoire. C’est surtout une manière politique de rabaisser le monde arabe et de le réduire à quelques clichés », détaille-t-il.
Malgré son indignation, il condamne avec fermeté les débordements et le meurtre de l’ambassadeur américain en Libye. « Les personnes qui se livrent à ces exactions au Pakistan ou en Libye donnent une image catastrophique des musulmans. Je ne les soutiens absolument pas. Ils ne se rendent pas compte qu’ils font le jeu de nos ennemis », conclut tristement Aref.
A quelques encablures, dans les ruelles sinueuses de la vieille ville, entre les vendeurs de bonbons et les boutiques de souvenirs, on se croise mais on ne se regarde pas, on se frôle souvent mais on ne se parle pas. Entre musulmans et juifs, les contacts sont volontairement réduits au minimum. Dans cette ville où la religion est omniprésente, comment est ressenti l’outrage fait aux musulmans ? Les tensions communautaires s’effacent-elles au profit d’une solidarité inter-religieuse ? Assis devant son échoppe, une tasse de café à la main, Mustapha, la cinquantaine, a une petite idée sur la question :
« A Jérusalem plus qu’ailleurs, la question religieuse est source de conflits. C’est comme ça depuis toujours », souligne-t-il avec détachement. « Malgré tout, je ne crois pas que les juifs et les chrétiens se réjouissent de ce qui nous arrive. Ils doivent aussi être choqués par ce blasphème. Après tout, ce sont des religieux eux aussi », ajoute-t-il doctement.
Une analyse que ne partage pas Yosef, un religieux d’une quarantaine d’années venu se recueillir au mur des Lamentations. Air jovial et kippa sur la tête, il a une opinion tranchée sur L’Innocence des musulmans. Pour lui, les réactions des musulmans sont excessives. « Toutes ces manifestations, ces meurtres, cette violence, ce n’est quand même pas normal ! », proteste-t-il. « Bien sûr, on peut comprendre leur ressentiment, mais en réagissant comme ça ils renforcent la défiance de certains et donnent une mauvaise image d’eux-mêmes. On devrait quand même pouvoir accepter la critique sans mettre des villes entières à feu et à sang ! », martèle-t-il.
« C’est bien une des rares fois où je suis d’accord avec des musulmans »
Quatre stations de tram plus loin, le changement d’atmosphère est radical. Très bruyant, le grand marché couvert Mahane Yehuda est en ébullition. On se bouscule, on se presse pour faire de bonnes affaires. Ici, les juifs orthodoxes sont nombreux à venir faire leurs courses. Comme Gilad, venu aujourd’hui acheter des légumes. Pour ce père de famille, pas question de toucher à la religion.
« C’est une affaire sérieuse, sacrée, affirme-t-il en choisissant des tomates. Je ne conçois pas qu’on la tourne en dérision. C’est de mauvais goût. Je comprends parfaitement la colère des musulmans et leurs réactions. D’ailleurs, c’est bien une des rares fois où je suis d’accord avec eux ! » ajoute-t-il en riant.
Dans la ville trois fois sainte, la religion semble être le terreau fertile de toutes les indignations. Malgré les divisions et les désaccords, pas question pour les juifs et les musulmans de toucher au symbole de la foi, dénominateur commun qui les lie.
Leslie Rezzoug
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