Sous le feu des critiques émanant surtout de son camp, qui lui reproche un manque de charisme, le Premier ministre assume son rôle de chef de troupe. Tantôt sévère, tantôt réconfortant.
Dans son bureau de Matignon, le portrait de François Hollande est bien visible. Jean-Marc Ayrault reçoit Les Inrocks. On lui annonce que l’article portera sur lui. « C’est passionnant », lâche-t-il, pince-sans-rire. Chemise bleue, cravate bleue, veste bleue, chaussettes grises, jambes sagement ordonnées. Depuis la rentrée, le Premier ministre est la cible d’un feu nourri de critiques venant aussi bien de la droite que de sa famille politique. Ce qui a contraint François Hollande à venir en défense : « Tout va bien avec Ayrault », répond par SMS le chef de l’État, laconique et précis, quand on lui pose la question. Lors de son intervention sur TF1, le 9 septembre, le Président insiste : « C’est un homme sérieux, c’est un homme respectueux, c’est un homme avec lequel j’ai toujours travaillé en bonne intelligence. C’est tellement agréable. »
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Que reproche-t-on à l’hôte de Matignon ? Son inexpérience ministérielle, son manque d’autorité, son absence de charisme. Le charisme, pour lui, « c’est un peu théorique ». « Les gens ont toujours besoin d’incarnation », poursuit Jean-Marc Ayrault, qui met en avant son expérience d’élu local : « Ma réussite à Nantes est due à ma politique mais aussi à mon incarnation de la ville. » Il ajoute : « Les institutions de la Ve République ne connaissent qu’une incarnation, et c’est le président de la République. Pour le chef du gouvernement, c’est très différent, je ne suis pas élu par tous les Français. » Un partage des rôles souligné par François Hollande sur TF1 : « Je ne me défausserai pas sur le Premier ministre, je serai en première ligne. » Les proches des deux hommes se pressent de répéter la bonne parole. « Le président donne l’impulsion, le Premier ministre conduit la politique gouvernementale », explique un ministre bien en cour à l’Élysée.
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Il n’empêche. La presse résonne d’échos sur ces conseillers de l’Élysée et ces ministres qui s’émeuvent de « l’évanescence » du Premier ministre. Le bal des successeurs a déjà commencé. On parle de Manuel Valls, Pierre Moscovici, Martine Aubry ou Marisol Touraine. Entre autres.
« Le président de la République recommande à ses conseillers de ne pas trop parler et leur réaffirme sans cesse quel est le rôle de chacun. Chacun devrait le comprendre », soupire Jean-Marc Ayrault. « Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Les jeux d’intrigue, les jeux de cour, est-ce que ça n’a pas existé à d’autres époques ? Si, sans doute. Moi, j’ai confiance. »
On évoque alors ces ministres qui jouent à saute-mouton et s’adressent à François Hollande par SMS. Une pratique qui ne choque pas à l’Élysée, où on rappelle que déjà sous Mitterrand certains comme Jack Lang passaient par-dessus Matignon pour faire avancer leurs dossiers. Un brin agacé, Jean-Marc Ayrault se livre à une petite mise au point : « Moi aussi, j’ai gardé mon autre téléphone ! Et j’ai celui de Matignon. Il y a des ministres qui m’envoient des SMS aussi ! » Et de raconter que, pendant le conseil national du Parti socialiste, le 12 septembre, une ministre lui a envoyé un message pour le prévenir qu’il n’y avait « pas assez de sénateurs socialistes » à la réunion. « Avec un smiley », précise-t-il. « C’est agréable de pouvoir avoir ce contact. Et on a envoyé des sénateurs. »
« C’est mon cabinet qui fait tourner la machine gouvernementale »
Plus sérieusement, « s’agissant du travail gouvernemental, cela ne se traite pas par SMS, cela se traite ici, pas à l’Élysée, et le Président le rappelle » à chaque contrevenant, insiste Jean-Marc Ayrault. « C’est clair, il ne faut pas vous mettre des idées en tête comme ça », ajoute-t-il avec le sourire. « Chef d’une équipe », comme il se définit, il en profite pour tacler un peu les insolents :
« Ils ont à faire la preuve de leur efficacité dans leur ministère, ils n’ont pas eu beaucoup de temps pour le prouver. Il faut leur laisser leur chance et je leur laisse leur chance. Je suis là pour les aider. C’est vrai que certains peuvent être bavards mais quand ils ont un gros problème, ils me disent : il faut quand même que je te voie, j’ai besoin de ton aide… Je le fais. » « Ceux-là mêmes qui peuvent se laisser aller en off ne cessent de me demander rendez-vous. Ils ne peuvent pas se passer du chef du gouvernement sinon les arbitrages ne sont pas pris en leur faveur. C’est mon cabinet qui fait tourner la machine gouvernementale », ajoute-t-il en se calant dans son fauteuil, comme rassuré et renforcé par son propre propos.
Puis Jean-Marc Ayrault passe à la polémique concernant la mise en place de la Banque publique d’investissement (BPI) et la guéguerre qui en a résulté entre deux ministres phare à Bercy, Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg. Une étude sur la création de cette banque destinée aux PME a été confiée à la banque Lazard. L’opposition de droite dénonce un possible conflit d’intérêts puisque le mandat a été accordé à Matthieu Pigasse, numéro deux de la banque Lazard et propriétaire des Inrockuptibles, dont la directrice générale est Audrey Pulvar, compagne du ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg. « Il y avait, le 11 septembre, une question de l’UMP à l’Assemblée. J’avais demandé qu’on solde l’affaire parce que cela avait un peu dérapé. Arnaud avait réagi trop affectivement, je le lui ai dit. Et puis j’ai dit à Pierre, qui avait pris les critiques personnellement, que ça allait, qu’il fallait prendre en compte le côté affectif et tourner la page. Moscovici a fait une excellente réponse à l’Assemblée, en étant parfaitement solidaire de Montebourg… J’ai écrit, le lendemain matin, un petit mot à Arnaud : ‘Tu as vu ?’ Il m’a répondu ‘Oui, merci.’ C’est ça mon boulot. Sinon je pourrais faire le malin, les laisser se manger entre eux mais ce n’est pas ma conception d’un gouvernement ! »
Tout à sa pose de protecteur, il ajoute, grand seigneur : « Les ministres, ce sont des personnalités, avec parfois des tâches très lourdes, une grosse pression. » Et glisse qu’il s’apprête une nouvelle fois à jouer les conciliateurs, cette fois entre Christiane Taubira (Justice) et Dominique Bertinotti (Famille), après une bataille de périmètre ministériel à propos du mariage des homosexuels.
« J’ai résisté, je me suis imposé »
L’heure tourne. Le bureau du Premier ministre, qui donne sur les arbres du parc de Matignon, l’un des plus beaux jardins de Paris, est calme. À peine entend-on des rires dans la pièce voisine. Jean-Marc Ayrault a encore plusieurs rendez-vous et prend du retard. Mais il semble s’attacher à défendre ce qu’il est. « Quand j’ai été élu président du groupe socialiste, j’ai subi des critiques : erreur de casting, il n’a pas la carrure. Qu’est-ce qui alimentait ça, pour une grande partie ? Ceux qui voulaient avoir la place ! Sauf qu’ils ne l’ont jamais eue. J’ai tenu bon, j’ai résisté, je me suis imposé. » « Vous êtes testé pour savoir si vous allez être capable de tenir la distance », ajoute-t-il dans un avertissement sévère aux audacieux qui lanceraient déjà leur campagne pour Matignon.
Le Premier ministre, qui emploie systématiquement le « je » pour parler de son action et de celle du gouvernement, ainsi que des verbes très directifs, cherche à dissiper l’impression d’amateurisme et de flottement perçue depuis l’installation de la nouvelle équipe gouvernementale. Au prix d’une certaine immodestie :
« Est-ce qu’en arrivant ici, ça m’impressionne ? Absolument pas. Parce que j’ai l’expérience de l’État, je sais ce que je dois faire. J’arrive là, j’avais l’impression d’avoir déjà fait ça. Matignon, c’est le cœur de la machine de l’État. »
La machine de l’État, il faut tout de même la faire fonctionner en harmonie avec l’Élysée. Aujourd’hui, François Hollande et Jean-Marc Ayrault, en chute dans les sondages, essaient de huiler le fonctionnement de leur duo. « On a échangé tous les jours pendant la petite période de vacances ». À l’Élysée, on précise que « les liens ont été resserrés ». Une réunion a été instaurée tous les vendredis entre le secrétaire général de l’Élysée, ses deux adjoints et le directeur de cabinet du Premier ministre et ses deux adjoints. Jean-Marc Ayrault prend de toute façon plaisir à souligner son lien particulier avec le chef de l’État : « François Hollande et moi étions assis à côté à l’Assemblée pendant quinze ans. On a travaillé ensemble très longtemps. On s’entend bien. »
Il n’empêche, les agendas des deux têtes de l’exécutif s’entrechoquent parfois au risque d’occulter le message du Premier ministre. Qui peine déjà à exister, tant ces cinq dernières années Nicolas Sarkozy l’omniprésident faisait seul la une de l’actualité. « Ce n’est pas la course à l’échalote, ça arrivera d’autres fois… Je ne veux pas dire du mal de François Fillon mais il en faisait quand même peu », ironise Jean-Marc Ayrault.
Le chef du gouvernement semble même confiant sur son avenir : « La perception de l’opinion se fait peu à peu mais on est dans une période où les gens attendent du sérieux. J’ai mon fonctionnement, ma personnalité et je n’ai pas du tout envie de changer. Je revendique ce sérieux. » Jean-Marc Ayrault s’amuse d’une réflexion d’Alain Juppé raillant la présence de « deux calmes à la tête de l’État ». « Est-ce qu’il vaudrait mieux un excité sur deux ? »
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