Avec ses références à la pandémie et son intrigue grivoise, Bad Luck Banging or Loony Porn est un champion un peu trop évident pour un palmarès qui a su viser juste par ailleurs.
C’est au terme d’une cérémonie de clôture en ligne deutsche qualität, très sobre et presque expéditive (ni remise de prix ni participation des lauréats : un simple Facetime des jurés motivant leurs choix en quinze minutes), que cette 71e Berlinale s’est achevée ce midi sur l’ours d’or remis à Bad Luck Banging or Loony Porn de Radu Jude – l’histoire d’une prof traînée dans la boue suite à la diffusion d’une sextape, et le film qui aura sûrement le plus fait parler de lui de la semaine, avec ses personnages masqués, ses scènes de sexe explicites (dont une intro assez corsée avec pipe en gros plan et dirty talk) et son habit de grande pantalonnade de son temps.
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https://www.youtube.com/watch?v=fOdjwaxaY5Q
Que retenir de cette édition entièrement virtuelle (avant une reprise publique en plein air prévue au mois de juin) ? Au terme de ces cinq jours, on aimerait pouvoir répondre quelque chose qui n’aurait à voir qu’avec les films eux-mêmes, et en aucun cas avec la pandémie, les masques, ou la vie confinée devant son écran.
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Pré-covid ou post-covid ?
Or justement on ne pourra pas, car les films se sont plutôt employés à nous y renvoyer obsessionnellement, à se greffer au maximum à l’époque, ses sujets, ses symboles, ses motifs, non sans instituer une panoplie de gimmicks et de thèmes à la mode. Faut-il s’inquiéter d’être devenu désormais intuitivement capable de deviner en un clin d’œil, dans un jeu mental devenu très familier, si un film a été tourné pré-Covid (scènes de bar, de fête, impression de permanence tranquille d’une vie communautaire) ou post-Covid (décors extérieurs légèrement déserts, sentiment vague d’un désastre passé ou à venir, réclusion des personnages).
Le jeu a tourné à plein régime cette semaine, devant des films s’emparant de façon plus ou moins opportuniste – et plus ou moins inspirée – de la pandémie à travers différents biais : le genre post-apocalyptique ou épidémique (l’iranien District Terminal et son Téhéran en quarantaine sous le coup d’un virus mortel, sans grand intérêt), le documentaire d’auteur (A River Runs, Turns, Erases, Replaces, portrait “avant et après” de la ville de Wuhan par la réalisatrice Shengze Zhu, à la fois très beau et sans immense surprise), le court-métrage à bonne idée (tout bête mais irrésistible International Chorus Day : une réunion zoom entre oiseaux filmés et enregistrés aux quatre coins du monde).
On ressort tout de même de cette semaine avec l’impression d’avoir vu un peu trop de films de leur temps, produits certes de leur époque, mais de pas toujours grand chose de plus, avec un exemple parfait dans le cas de l’ours d’or remis à Bad Luck Banging or Loony Porn. La farce est moins légère qu’elle ne le prétend (le film délivre notamment dans toute sa parenthèse centrale un sentencieux abécédaire mêlant sexe, religion, crise climatique…), et si elle s’est rapidement imposée en candidat sérieux à la récompense suprême (peut-être aussi parce que son auteur, régulier du festival, est “oursable” depuis belle lurette), en emportant semble-t-il beaucoup de monde (dont le jury) dans son grand chambardement satirique, elle a aussi laissé à d’autres (dont nous) un goût désagréable de bouffonnerie très moraliste, de pamphlet fourre-tout contre l’obscénité de tout bord.
On se consolera avec quelques autres sésames, comme le prix Encounters remis à Nous d’Alice diop, et surtout le grand prix du jury remis à Wheel of Fortune and Fantasy de Ryusuke Hamaguchi, le plus beau film de cette 71e sélection, et l’un des rares à ne pas nous avoir rappelé une seule seconde à notre temps (bien qu’il effleure très brièvement le sujet décidément très à la mode du leak intime, en l’occurrence un mail envoyé au mauvais destinataire) : une collection de trois histoires pensée comme un hommage aux Contes moraux d’Eric Rohmer. On en retrouve certains ingrédients (convocations facétieuses du hasard, art de la combinatoire amoureuse, longues prises dialoguées sans filet…), mais sous une forme plus grise, moins ligne claire, capable de s’aventurer habilement dans l’indécence (savoureuse scène de lecture érotique dans le bureau du professeur vénérable). La troisième est ce que nous avons vu de plus émouvant cette semaine : les retrouvailles en double quiproquo de deux femmes qui se prennent mutuellement pour la mauvaise, et vont malgré tout réinventer à partir de leur méprise une rencontre scintillante.
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Le Palmarès complet :
Ours d’or du meilleur film : Bad Luck Banging or Loony Porn de Radu Jude
Ours d’argent du grand prix du jury : Wheel of Fortune and Fantasy de Ryusuke Hamaguchi
Ours d’argent du prix du jury : Mr Bachmann and his class de Maria Speth
Ours d’argent de la meilleure réalisation : Natural Light de Dénes Nagy
Ours d’argent du meilleur premier rôle : Maren Eggert pour I’m Your Man
Ours d’argent du meilleur second rôle : Lilla Kizlinger pour Forest – I see you every
Ours d’argent du meilleur scénario : Introduction de Hong Sang-soo
Ours d’argent de la meilleure contribution artistique (montage) : Yibran Asuad pour A Cop Movie
Encounters :
Meilleur film : Nous d’Alice Diop
Meilleure réalisation : Hygiène Sociale de Denis Coté ex aequo avec The Girl and the Spider de Ramon Zürcher et Silvan Zürcher
Prix spécial du jury : Taste de Lê Bào
Mention spéciale : Rock Bottom Riser de Fern Silva
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