Contre la fermeture des lieux de culture, trente artistes ont accroché leurs œuvres aux grilles du Musée Picasso à Paris, pour se faire entendre, échanger et créer ensemble.
Dimanche après-midi, en plein cœur du Marais à Paris, le soleil darde ses rayons. Les passant·es flânent par petits groupes, ils lézardent, s’arrêtent ici et là, emplissant l’air du brouhaha des premiers jours ensoleillés. Tout semble normal ou presque, aux alentours du Jardin de l’Hôtel-Salé, un square de la rue Vieille-du-Temple qui jouxte le musée Picasso.
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La situation pesante, on la croirait dissolue par quelques grammes de vitamine D, et pourtant, dans ce quartier, dévolu aux galeries et aux musées, impossible d’oublier qu’à présent, cela fait cent jours que les musées sont clos, et un an que la culture vivote tant bien que mal, ses acteurs suspendus aux annonces distillées au compte-gouttes, tenaillés par l’incertitude tout en étant sommés de s’adapter, de tenir bon, de redoubler d’efforts pour tenir immergé à bout de bras l’édifice artistique qui prend l’eau.
Trente artistes à « ciel ouvert »
Mais ce dimanche , dans un square du Marais, il s’est passé quelque chose. Un « happening », selon le terme employé par Carla Pecquerie, ou encore un « Musée à ciel ouvert« , invitant une trentaine de jeunes étudiant·es en école d’art ou artistes à venir accrocher leurs œuvres en plein air, le long de la grille intérieure, visibles dès lors à tous depuis la rue et le parc.
Etudiante en classe préparatoire artistique aux Ateliers de Sèvres, Carla Pecquerie est à l’initiative de la pétition L’art est contagieux, rouvrons les musées lancée sur Change.org. « Musée à ciel ouvert » co-organisée avec Martin Boucomont est une initiative comme une démonstration par l’absurde de la situation actuelle. C’est aussi une occasion concrète pour les passant·es de voir en vrai des œuvres, et pour les artistes, de rencontrer un public, d’autres paires d’yeux, et d’autres avis que le leur.
Pour la plupart, les artistes participant·es – contacté·es par les organisateur·rices sur Instagram – entament à peine leurs études : ils et elles sont en prépa, ou alors en première année des Beaux-Arts. Venu·es accrocher leurs œuvres, certain·es sont également resté·es peindre ou dessiner sur place, l’après-midi.
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Dans les écoles d’art, des ateliers ouverts selon des jauges
« Nous avons encore de la chance, car la peinture est une pratique assez solitaire, mais nous avons besoin de retours et d’échanges réels », estiment Louis Barbe et Elias Loudiyi, tous deux peintres et étudiants en première année aux Beaux-Arts de Paris, respectivement dans les ateliers François Boiron et Tim Eitel. « L’intégration a été compliquée« , précisent-ils encore, malgré des cours en présentiel maintenus, et un accès aux ateliers aménagé tant bien que mal par l’école.
Yann Fonseca Rodriguez, étudiant en première année aux Beaux-Arts dans l’atelier Hélène Delprat, appuie à son tour l’importance de « l’ambiance de l’atelier où chacun regarde le travail des autres« , alors qu’un système de jauge et de préinscription a dû être mis en place pour pallier les mesures.
Lavinia Foliot , quant à elle, est en classe préparatoire artistique. Elle peint, d’après photographie principalement, traquant les personnages atypiques au fil d’images d’archive. Tout en s’estimant heureuse d’avoir pu suivre ses cours « sans grands changements« , elle s’inquiète néanmoins de la fermeture des musées alors qu’elle prépare les examens d’entrée aux Beaux-arts.
Le virtuel, tout au plus une porte d’entrée vers l’expérience réelle
Il y a encore, s’affairant sur place, Emmanuelle Dahl, qui après un an passé aux Ateliers de Sèvres a préféré opter pour une pratique menée en parallèle, autonome et hors de l’école, depuis un squat à Ivry-sur-Seine. Elle insiste sur la perception primordiale de l’œuvre dans l’espace réel : « On ne va pas créer un monde parallèle, pour bien voir de l’art, il faut pouvoir le voir en mouvement« .
Pour Louis Barbe, la digitalisation ne peut constituer qu’un « teasing« , une manière d’attirer l’attention, d’ouvrir une porte, de poser les jalons qui mèneront ensuite à l’échange, à la transmission et au regard du spectateur·rice dans l’espace.
Alors que le Musée Picasso attenant reste clos, les échanges vont bon train dans le parc. Certains galeristes passent jeter un œil bienveillant. « Le musée à ciel ouvert » n’aura duré que quelques heures, mais le besoin d’agir, même modestement, et de s’organiser, à petite échelle, aura permis aux étudiant·es et aux jeunes artistes, sans doute les plus invisibilisé·es, de se grouper pour sortir de l’ombre.
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