Daft Punk vient d’annoncer sa séparation. Notre réaction à chaud.
“Like the legend of the phoenix/All ends with beginnings/What keeps the planet spinning/The force from the beginning.” À l’heure où la nouvelle de leur séparation a fait tressaillir la planète, cette phrase liminaire de Get Lucky résonne plus que jamais comme une énigme.
De quoi cette fin pourra bien être le début ? L’oisillon qui, comme dans la légende, prendra corps à partir des cendres du grand aigle brûlé sera-t-il identique ou autre ?
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Dans la famille French Touch, il ne faut pas confondre les phénix. Ainsi, le groupe d’origine versaillaise nommé Phoenix, en dépit de son patronyme, de par la tranquille régularité de sa production depuis plus de vingt ans, a jusqu’ici très peu convoqué la symbolique particulière de cet oiseau mythologique dont l’exceptionnelle longévité tient à des morts cycliques.
Les véritables phénix de la bande sont évidemment les Daft. Et ils sont tellement conscients et imprégnés de cette mythologie qu’ils en ont fait un morceau : Phœnix, cinquième titre de l’album Homework ; puis, moins littéralement, un film : Daft Punk’s Electroma. Mieux : ils ont choisi un extrait de ce film pour annoncer dans une courte vidéo leur séparation.
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Une des caractéristiques du phénix est de choisir le moment où, sentant son organisme péricliter, il met en œuvre, en battant des ailes dans un nid d’aromates et d’encens, sa propre destruction. Il décide du moment où il flambe. Dans cet unique long métrage réalisé dans le désert californien en 2006, l’un des robots (le casque doré) organise l’explosion de l’autre (le casque argent), avant d’œuvrer à sa propre consumation.
Au dernier plan, il avance dans le sable et la nuit tel un feu de joie. Tandis que le robot embrasé traverse le cadre jusqu’à le quitter résonne sur la bande-son une émouvante complainte du chanteur folk sixties Jackson C. Frank. Le morceau s’intitule I Want to Be Alone. I want to be alone ? Peut-être aurait-on dû mieux écouter et entendre l’aveu prémonitoire d’un désir de séparation.
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Dans la mythologie, ce qu’incarne le phénix, c’est évidemment le rêve d’immortalité. En effaçant le corps humain et son obsolescence programmée au profit de l’apparence robotique, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo ont probablement mieux réussi que toute autre pop star avant eux, même les plus endurantes et les plus métamorphes (Bowie, Madonna…), à surfer sur cet imaginaire d’artiste immortel.le.
Aucune marque de vieillissement, de fatigue, d’usure ne point sous les casques. Et les plus fervent.es admirateur.trices pouvaient même rêver de tournées pharaoniques dans vingt, trente ou cinquante ans, avec d’autres corps sous les combinaisons des deux robots à jamais identiques, une infinité de doublures, de nouveaux.elles artistes se relayant sous la panoplie pour prolonger la légende au-delà de toute finitude humaine.
Il faut dire que l’énormité du parcours accompli depuis vingt-huit ans par le tandem nourrissait ce rêve d’éternité. En frappant aussi fort à chacun de leurs comebacks sur une période aussi étendue, en cumulant des tubes foudroyants sur trois décennies, les Daft semblaient immortels, et c’est probablement le congédiement de cette chimère, la confirmation banale que nul n’est immortel, qui a rendu l’humanité si triste le 22 février dernier.
On ne peut pas dire en effet qu’ils ne nous avaient pas prévenu.es. Tout en défiant le passage du temps par leur extraordinaire longévité, les Daft n’ont cessé de doubler leur mythologie robotique d’une vulnérabilité très humaine. Leurs morceaux inoubliables sont ces bouleversantes ballades où le cafard affleure soudain sous les vocodeurs, où les germes de la dépression contaminent l’alliage de logiciels et de métal (exemplairement, le vertige identitaire de Within, et son “Please tell me who I am” susurré en un sanglot synthétique). Même les robots souffrent. Même les machines meurent. Même les androïdes peuvent ne plus se supporter. Human after all.
Peut-être d’ailleurs que, plus encore que l’imaginaire de l’immortalité, c’est celui de l’autodestruction, une autodestruction à la fois violente et savamment concertée, qui a tant fasciné Daft Punk dans la figure du phénix. Dans Le Testament d’Orphée, Jean Cocteau trouve un néologisme : la phénixologie. “C’est la science qui permet de mourir un grand nombre de fois pour renaître”, nous dit-il, et c’est, selon lui, la quintessence de la pratique poétique. “Like the legend of the phoenix”, les Daft vont-ils à nouveau renaître ? “Hélas, on ne ressuscite pas toujours ce qu’on aime”, entend-on aussi dans Le Testament d’Orphée.
Jean-Marc Lalanne
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