Avec ses copains gandins de Zoot Woman, Jacques Lu-Cont le trublion azimuté des Rythmes Digitales s’amuse avec la new-wave synthétique des années 80. Facétieux, habile et étonnamment frais, leur premier album Living in a magazine fuit l’exercice de style grâce à une écriture racée et fédératrice. Attention, disque universel. Lorsque nous avions découvert, […]
Avec ses copains gandins de Zoot Woman, Jacques Lu-Cont le trublion azimuté des Rythmes Digitales s’amuse avec la new-wave synthétique des années 80. Facétieux, habile et étonnamment frais, leur premier album Living in a magazine fuit l’exercice de style grâce à une écriture racée et fédératrice. Attention, disque universel.
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Lorsque nous avions découvert, il y a quelques années, ce groupe au nom étrange Les Rythmes Digitales , nous étions tombés comme des bleusailles dans le panneau grossier monté par le groupe et son label, l’usine à groove facétieuse de Wall Of Sound. En pleine hystérie anglo-anglaise pour la French touch, ces gros menteurs nous faisaient croire que le groupe était de chez nous et que son leader, Jacques Lu-Cont, était non seulement français, mais aussi sévèrement fracassé, ne sortant en liberté qu’avec camisole et infirmier psychiatrique. Les cons. On apprit ensuite que Jacques Lu-Cont était né à Reading, ce qui vaut bien Vierzon, et qu’il ne connaissait des années 80 (que son faux groupe forçait régulièrement à danser) que ses premiers hochets et ses souvenirs émoustillés du Top of the Pops.
Avec ses copains d’enfance, les frangins Adam et Johnny Blake, il forme aujourd’hui Zoot Woman, tribute-band à la pop des eighties. Adam, comme dans Adam & The Ants. Et Johnny comme dans Johnny & The Self Abusers, ce groupe de new-wave robotique qui préfigura les Simple Minds. On joue avec les mots, juste histoire d’installer le décor : fluo, néoromantico, ringardo, rigolo. Quand on ajoute, pour finir sur une rime riche, « rétro », on met le groupe en pétardo, les godelureaux discoïdaux tout dingos du quiproquo. Ils s’offusquent même à l’idée qu’on puisse croire leur musique passéiste, trouvent infamant qu’on les imagine comme une sorte de groupe de baloche ayant au répertoire de leur synthé d’origine DX7 les plus grands tubes de la décennie 80. Car l’idée de Zoot Woman, c’est d’utiliser des instruments certifiés années 80 et de tracer avec des perspectives nouvelles. D’exploiter à fond en 2001 ce qui, à l’époque de ces gadgets et instruments, apparaissait comme avant-gardiste. On appelle ça le rétrofuturisme et c’est la pire insulte dans le vocabulaire Daft Punk.
Mais chez Zoot Woman, les cuisiniers de ces madeleines nostalgiques s’appellent des « ultramodernistes ». Stuart Price : « On utilise nous-mêmes le terme « ultramoderniste » pour nous désigner parce qu’on est complètement obsédés par le présent et par la soif de jouer une musique fraîche, nouvelle. On ne veut pas être Ultravox ou Human League, ça ne nous intéresse pas de faire une musique que d’autres ont déjà faite. Etre « ultramoderne », c’est avoir l’obsession d’être déjà demain, de faire partie du futur. On a utilisé un son eighties sur l’album parce que le son des années 80 était déjà un son futuriste et la période était très ouverte, large d’esprit. L’idée, c’est de fusionner différentes sources de son, comme des vieux synthés dont le son est très années 80, avec une production moderne. »
C’est Stuart Price qui parle désormais, pas Jacques Lu-Cont : car en 2001, Jacques Lu-Cont a décidé de revenir en phase avec l’état civil et reprend ses vieilles frusques de naissance. Le surmoi se fait donc botter le cul (avec des mocassins italiens) par le moi et Jacques Lu-Cont abandonne à Stuart Price le contrôle. Pourtant, nous qui nous sommes déjà fait avoir par ces jeux de masques, on arrête de croire à ces simagrées, à ces effets de manche. Car là, on le sait, on le sent, on nous ment : la première version des faits était juste, Jacques Lu-Cont est parisien et Zoot Woman ne peut être que français.
Souvenons-nous qu’à une époque, la France n’était pas un pays très cool musicalement, qu’il y eut un chef d’Etat du nom de Valéry Giscard d’Estaing. Et aussi, heureusement, une rue Pierre-Sarrazin, dans laquelle se tenait la boutique New Rose. Où le jeune Français Jacques Lu-Cont, donc, se mit à acheter ces disques Human League : Mirror man (82). Simple Minds : I Travel (82). Pete Shelley : Homosapien (81). Soft Cell : Say hello wave goodbye (82). Blancmange : Sad day (81). Depeche Mode : Photographic (81). Duran Duran : Planet earth (81). New Order : Blue monday (83). The The : Uncertain smile (82). Kraftwerk : The Model (82, ici grandiosement repris). B-Movie : Remembrance day (81). Et aussi, pour les boums, Madonna : Holidays (83) ou Howard Jones : What is love (83).
A cette époque, fatalement, Jacques Lu-Cont fréquentait le Palace et le Rose Bonbon, discuta même une fois avec le chroniqueur mondain Jean-Eric Perrin de la rubrique « Frenchy but chic » de Rock & Folk, dans laquelle il picorait les nouvelles de tous les groupes qui influençaient sa propre musique : Taxi Girl, bien sûr, mais aussi les Civils, Joli Garçon, Edith Nylon, Mathématiques Modernes… Puis il disparut, devint agent de change et oublia la musique jusqu’à ce qu’un label anglais, en 2001, lui fasse croire que la new-wave française était à la mode, que Phoenix gagnait sa vie avec et qu’il lui fallait publier ses maquettes de l’époque. On aurait beaucoup perdu dans l’affaire (genre : le chaînon manquant dans l’histoire de France entre Taxi Girl et Daft Punk), mais heureusement son disque sort finalement presque vingt ans après son enregistrement. D’ailleurs, un signe ne trompe pas : cet évident fan de Like a virgin ou Material girl vient d’être recruté par Madonna pour faire joli dans le groupe qui portera sa tournée estivale. Et on sait que, de Mirwais à Mondino, la Ciccone ne recrute désormais que dans les héros français des années 80.
La boucle est bouclée, mais sur l’album, les boucles ne sont heureusement pas bâclées. C’est ce soin minutieux qui, sur Living in a magazine, impressionne : car sous leurs allures de gandins flamby, ces trois garçons dissimulent de patients et méticuleux artisans de la pop-song. Le problème est que l’esbroufe et l’ironie plausible de ces trois aspirants héros d’un bouquin de Bret Easton Ellis peuvent repousser « The better you look, the more you see », soit en substance « Plus tu parais à ton avantage, plus tu vois loin », dit le crâneur dans Glamorama. Et effectivement, si le groupe voit loin (surtout derrière), il se voit aussi de loin, avec ses costards Platine 45, ses cravates vieille classe et ses coupes de cheveux Smash Hits. Et même si Stuart Price se décrit humblement comme « le mathématicien » du groupe et l’obsédé original des claviers vintage, même s’il décrit ses comparses comme des artisans (Johnny « le littéraire » et Adam « le polisseur de son, obsessif et prudent »), des dérives de langage nous ramènent ici aux pires dérives eighties de Bret Easton Ellis. Car l’histoire devient nettement moins drôle lorsque Zoot Woman se met à disserter comme un directeur de marketing les 4 « P » (produit, positionnement, prix, promotion), se gargarisant de mots qu’on espérait réservés au Mercator et autres bibles d’école de commerce. On les entend ainsi dire, sans malice : « On a pris beaucoup de temps pour l’image et le packaging, mais on ne l’aurait jamais fait si on n’était pas certain du potentiel de nos chansons, on a un réseau qui travaille pour nous » ou « Elle était la parfaite candidate pour le boulot », en évoquant la réalisatrice de leur dernier clip. Pire encore, on entendra Stuart dire de son collègue Adam « C’est lui qui a créé il y a quelques années le créneau dans lequel est Zoot Woman. »
Mais heureusement pour Zoot Woman, derrière la caricature épaisse des personnages et la farce roublarde des sonorités, il y a là une poignée de chansons tellement attachantes et innocentes qu’on leur accorde plus que le bénéfice du doute et la sympathie, franche, en prime. Exactement comme chez Phoenix, l’éblouissante classe mélodique (le génial Living in a magazine) fait vite ici oublier le deuxième degré (?) du projet, repousse loin les discours moralisateurs (« on a déjà vécu les eighties, ça suffit ») des pisse-vinaigre. Parce qu’au milieu des affirmations clinquantes et des rodomontades débitées machinalement, le fond de ces airs est frais, n’empeste jamais la poussière ou, pire encore, le formol. Et puis, comme on disait à l’époque « Fuck art, let’s dance. » Et hop ! les bras en l’air, la jambe opposée pliée au genou ! vive la new-wave ! vive New Rose ! vive le Rose Bonbon ! vive les garçons modernes ! vive Actuel ! vive la France ! vive Indochine !
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