Dans le sillage de « Super Mario Odyssey », le hérisson star de Sega est lui aussi de retour en cette fin d’année. Si, sur le plan ludique, sa dernière aventure est très loin de valoir celle de la mascotte de Nintendo, « Sonic Forces » possède pourtant quelques atouts qui donnent envie de s’y arrêter.
A première vue, c’est une drôle d’idée. Pourquoi consacrer du temps à la énième aventure à moitié bancale du hérisson en perpétuelle crise d’adolescence de Sega quand vient de sortir ce qui pourrait bien être le plus grand jeu de plateforme de tous les temps ? Pourquoi jouer à Sonic Forces quand on pourrait continuer à savourer les plaisir de Super Mario Odyssey (qui, après plus de 25 heures de courses, sauts et lancers de chapeau, paraissent toujours inépuisables) ? Ce n’est pourtant pas forcément si absurde que ça car, même aujourd’hui, même après toutes ces années, Mario et Sonic ont encore des choses à se dire et, par la même occasion, à nous révéler sur le jeu vidéo, l’époque et, par la même occasion, nous-même.
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Sonic se transforme
Cette fois, c’est Mario qui a commencé. En découvrant le niveau urbain « réaliste » (tout est relatif) et inspiré de New York de Super Mario Odyssey, comment ne pas penser au monde de Sonic Adventure ? Dans le style graphique, le rapport visuel entre nos héros aux formes rondes et les humains étirés qu’ils rencontrent et même dans l’atmosphère un rien flottante, quelque chose circule, à dix-neuf ans d’intervalle, entre le premier jeu en 3D de Sonic et le dernier en date de Mario. Mais c’est un élément a priori très secondaire qui à la fois rapproche et distingue les deux jeux de 2017 : le goût des costumes.
Du côté de Super Mario Odyssey, l’une des motivations du joueur est là : trouver suffisamment de pièces dans les différents décors pour pouvoir acheter de nouvelles tenues à notre aventurier moustachu et le transformer en cow-boy, médecin, plongeur, footballeur américain… Dans Sonic Forces aussi, la garde-robe dont dispose le joueur se développe au fil de sa progression mais, cette fois, c’est à son propre personnage, oiseau, ours, chien ou lapin créé selon ses envies du moment, que les chaussures, bonnets, lunettes et petits hauts sont destinés. A travers cet avatar, le joueur lui-même se déguise. Et ça change tout.
Il y a quelque chose de fascinant et de monstrueux dans l’évolution de Sonic
La logique de Sonic Forces est celle du cosplay, du karaoké et du jeu (ultra-scénarisé) d’enfants. Qu’importe si l’on ne croit pas une seconde à son intrigue quasi militaire qui oppose les armées de Sonic à celles de son éternel adversaire, le Docteur Robotnik. Porté par les dialogues qui, en fond sonore, accompagnent nos virées speedées alternativement en 2D et en 3D (voire passant brusquement de l’une à l’autre à l’image de ce qu’offrait déjà Sonic Generations), l’essentiel est de faire comme si. Comme si c’était vraiment la guerre, comme si on était vraiment un copain de Sonic, comme si le level design avait du sens (ce qui est rarement le cas, même si on éprouve de l’affection pour certains niveaux – le 22e, Death Egg, par exemple), comme si on contrôlait vraiment ce qui se passe à l’écran, comme si on n’avait pas 45 ans depuis l’été dernier.
Il y a quelque chose de fascinant et de monstrueux à la fois dans l’évolution de Sonic, dans la banalisation de son esthétique et ses tentatives quasi désespérées de distinguer chaque jeu du précédent (avec de nouveaux personnages, un récit toujours plus aberrant…), dans ses titres même (« Sonic » suivi d’à peu près n’importe quel mot : « Colours« , « Forces », même « Boom ») ou dans son incapacité à choisir entre rejouer son passé et regarder vers l’avant – un dilemme que Mario, lui, dépasse justement avec une folle élégance dans Super Mario Odyssey avec ses niveaux rétro quasi expérimentaux. Jeu-hommage à l’âge d’or du hérisson pressé (le début des années 1990, donc) en forme de remix inspiré conçu par des fans, le récent Sonic Mania aurait pu (aurait dû) préparer le terrain à un nouveau départ pour la série. Sonic Forces vient pourtant montrer que, sur le terrain des tiraillements identitaires, rien n’a vraiment été réglé. Le paradoxe est que son côté instable, confus et inachevé est aussi la meilleure raison de l’aimer.
Sonic a besoin de nous
Mario est un maître qui tutoie la perfection et nous entraîne dans sa féerie en nous prenant par la main. Sonic, lui, s’élance, accélère, trébuche, se prend un mur et repart sans rien changer à sa trajectoire hasardeuse. Il a besoin de nous, de notre croyance, de notre conviction, de notre engagement. Se lancer dans sa dernière aventure, c’est comme se rendre à une convention Sonic : on va faire le point, partager des souvenirs, se déguiser en lui et collectionner les goodies. A travers notre avatar, nous voilà sur la route à ses côtés et, même, invité d’honneur des cinématiques. « La recrue« , ici, c’est nous, explicitement. Nous sans qui rien ne serait possible, sans qui l’histoire ne finirait jamais bien, sans qui Sonic tournerait vraiment, définitivement en rond. Un jeu qui assume tout ça, qui s’en nourrit, c’est pas mal, aussi. Ça vaut bien une petite place à l’ombre de Super Mario Odyssey.
Sonic Forces (Sega), sur PS4, Xbox One, Switch et PC, environ 40€
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