Philippe Faucon tente de relater la véritable histoire de Pauline Dubuisson, loin du drame rocambolesque d’Henri-Georges Clouzot et de la prestation de Brigitte Bardot dans La Vérité, mais signe un film d’un académisme froid.
Faucon est de ceux dont le métier de réalisateur se double d’une responsabilité éthique, se donnant pour mission de rendre justice à leur sujet par sa mise en image. Parmi ses plus belles réussites, on compte Fatima, long-métrage avec lequel il remportait le César du meilleur film en 2016, qui décrivait la dure réalité d’une mère immigrée en France. Aujourd’hui, avec son habituelle sobriété, il s’empare du jugement de Pauline Dubuisson, retracé méticuleusement dans l’enquête de Philippe Jaenada publiée en 2015, La Petite Femelle.
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Dans les années 1950, un fait divers est sur toutes les lèvres : une jeune étudiante en médecine a assassiné un ancien amant avant de tenter de se suicider. Le procès, particulièrement cruel, révèle les fractures d’une société en pleine mutation. La vieille France conservatrice d’après-guerre supporte mal les mœurs légères de ses enfants, et en particulier de ses filles. Alors qu’elle vient de purger une peine de sept ans de prison, Pauline Dubuisson est libérée. Cherchant le repos de l’anonymat, elle voit pourtant sa vie transposée sur grand écran. Elle possède désormais les formes de la sulfureuse Brigitte Bardot, filmée par l’un des plus réputés réalisateurs de l’époque, Henri-Georges Clouzot.
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Chronique d’un scandale
La Vérité sort en 1960 et vient enterrer les idées puritaines de la dernière génération, faisant de la dévergondée BB la martyre emblématique d’un jeune Paris furieusement bohème. Clouzot élève la nouvelle pin-up en héroïne tragique, décomplexée jusqu’à la moelle et clouée au pilori par une gent masculine à l’hypocrisie particulièrement détestable (Paul Meurisse, en avocat impitoyable, s’en donne à cœur joie). Le tout est orchestré d’une main de maître – le cinéaste invente même une sœur rivale pour brouiller les pistes – et signe un franc succès au box-office.
Seulement voilà, la véritable tragédie se poursuit dans l’ombre et en silence. Pauline Dubuisson n’est pas blonde, pas plus que paresseuse ou égoïste. Elle a fait de sa carrière de médecin une priorité toute sa vie et décide de fuir au Maroc pour se faire oublier. Désespérée par un passé qui ne cesse de la rattraper, elle se donnera la mort trois ans plus tard à l’âge de 36 ans. C’est cette triste vérité que s’efforce de rétablir le téléfilm de Philippe Faucon, loin du drame flamboyant de son aîné. Par une approche minimaliste, il retrace le parcours d’une femme brisée, par une société décidément toujours en retard sur son temps.
Rétablir la vérité
Point de pathos donc, ou de grands discours. Lucie Lucas (révélée par la série Clem) incarne le rôle dans la plus grande retenue. Le contexte historique est soigneusement reconstitué : Pauline fait partie des « femmes tondues » d’après-guerre, humiliées avec acharnement pour avoir été courtisée par des Allemands. « Libre » elle ne l’a jamais vraiment été, pas plus que volage, ses amants se comptant sur les doigts d’une main. Le cinéaste révèle tous les travers d’une société misogyne, dirigée d’une main ferme par les pères, face à des mères impuissantes ou dociles. Seule la présence d’une femme dans le jury épargne d’ailleurs à Pauline la guillotine.
Si Clouzot construisait un jeu de piste, Faucon le désamorce avec précision. Mais à quel prix ? L’économie de moyens est telle que les sentiments se font eux aussi plus rares. L’histoire d’amour, loin de celle orageuse entre Bardot et Sami Frey, paraît ici bien fade entre Lucie Lucas et Lorenzo Lefebvre (pourtant très bon en Félix Bailly). Tout est esquissé à très gros traits, les images subissant une économie de rendement. Il faut aller à l’essentiel : trois femmes aperçues dans un café deviennent en quelques secondes le futur MLF.
Le processus devient réellement regrettable lorsque le film est censé représenter la dépression d’une jeune femme – Pauline fait plusieurs tentatives de suicide ratées – qu’une seule courte scène de larmes est bien loin de figurer. Le film de Faucon est comme pris en étau par un devoir d’efficacité constant. En résulte une suite de scènes « utiles » et quelque peu désincarnées.
Un portrait flou
Pauline, toujours confrontée aux autres mais rarement approchée de près, inspire finalement peu d’empathie. Le final sur quelques notes de Schubert achève un portrait flou. Si cette femme a été jugée si cruellement, c’est parce qu’elle a toujours refusé de demander pardon. Mue par une pulsion de mort certaine – sa première tentative de suicide remontant au traumatisme de la Libération et à un potentiel viol passé sous silence – elle se dit prête à mourir pour l’homme qu’elle a aimé.
L’histoire est sûrement moins théâtrale que l’on se l’imagine mais elle n’aurait pas dû en devenir commune pour autant. Qu’elle soit finalement Bardot ou Lucas, Pauline Dubuisson nous reste encore difficilement accessible. Plus réaliste certes, La Petite Femelle reste néanmoins trop à distance de son sujet pour en embrasser toute la complexité.
La Petite Femelle de Philippe Faucon, avec Lucie Lucas, Lorenzo Lefebvre (FR, 2021, 1h30) Sur France TV replay jusqu’au 3 mars.
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