Le père du Nouveau Journalisme signait en 1968 une épopée de la défonce, parfait précipité d’une génération rebelle.
Les Appalaches, une descente en épingles à cheveux, un bus bariolé de mandalas fluo, des haut-parleurs crachant les chansons des Beatles. Mais pas de freins, car ainsi en a décidé le pilote, un certain Neal Cassady, héros du Sur la route de Kerouac et rebaptisé “Speed Limit” par ses copains du jour – un surnom idéal, Neal défiant en matière de conduite et de consommation d’amphétamines les préconisations de la sécurité routière autant que celles de la médecine.
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Laquelle fit en 1959 l’erreur de tester les effets du LSD sur un écrivain nommé Ken Kesey ; cinq ans plus tard, l’auteur de Vol au-dessus d’un nid de coucou trône sur le toit du bus, histoire de ne rater aucune des sensations que peut occasionner une plongée à cent à l’heure, la tête pleine de rock’n’roll et autres psychotropes.
San Francisco/New York aller et retour, via le Sud profond et le Midwest
Le périple initiatique – San Francisco/New York aller et retour, via le Sud profond et les plaines du Midwest – de Kesey et ses Merry Pranksters va donner naissance à un slogan et à un grand livre. Au premier – “Soit tu es à bord du bus… soit tu restes en rade” – l’Amérique sixties est redevable d’une hantise, celle de rater le coche.
Au second, elle doit la découverte d’une drogue en vente dans toutes les bonnes librairies : avec la publication de The ElectricKool-Aid Acid Test (en VF, Acid Test), Tom Wolfe devient en août 1968 le dealer préféré des amateurs de prose qui déménage. Car si Kerouac est ici “la vieille étoile” et Kesey “la nouvelle comète sauvage venue de l’ouest” – (et en route pour la prison, législation sur les stupéfiants oblige), c’est à la plume de Wolfe que la littérature américaine doit de s’ouvrir au journalisme.
A moins que ce ne soit l’inverse, le “Nouveau Journalisme” des sixties mariant la rigueur de l’enquête par immersion à la fantaisie du roman. Avec un zeste de cartoon en plus. Subjectivité débridée, inventivité lexicale, acrobaties rythmiques à gogo : en un feu d’artifice de beat, de swing et de flow, Wolfe devient – sans avoir lui-même pris part à l’expédition de Kesey – une superstar de la presse magazine.
Il signe simultanément une épopée de la défonce et un requiem pour l’Amérique illuminée, au terme duquel Cassady s’éteint sur une voie ferrée mexicaine tandis que le bus baptisé Furthur – “plus loin”, vers le futur de préférence – prend la rouille sous la pluie de l’Oregon.
Acid Test (Points), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Daniel Mauroc, 552 p., 8,40 €
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