Le dernier film Netflix se donne des airs de thriller virtuose mais vire très vite à l’usine à gaz complètement déboussolée.
Quelque chose ne tourne pas bien rond, dès les premières minutes de ce « dark comedy thriller » apparemment résolu à faire un peu tout et n’importe quoi de son histoire, à commencer par son héroïne : businesswoman sans scrupules à la tête d’une arnaque odieuse (elle fait fortune en s’octroyant la tutelle de personnes âgées, frauduleusement diagnostiquées séniles et internées dans des mouroirs milieu de gamme), prêcheuse individualisto-néolibérale (sa voix off nous dispense ses théories éculées sur les forts, les faibles, les loups et les agneaux – zzzz) et pourquoi pas modèle d’empowerment féministe (« ça fait mal parce que tu t’es fait battre par quelqu’un doté d’un vagin ?« , lâche-t-elle au pauvre bougre qu’elle vient d’humilier au tribunal).
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Marla (Rosamund Pike) prospère donc tranquillement en siphonnant les économies des petits vieux, épaulée d’une assistante qui est aussi sa petite amie, jusqu’au jour où sa nouvelle victime s’avère secrètement connectée à la pègre russe. La voilà soudainement engagée dans un bras de fer l’opposant à de dangereux individus, menés par Peter Dinklage en caricature all-inclusive de méchant de cartoon – interrogatoires sadiques, alternance de calme olympien et de colères dévastatrices, improbable péché mignon pâtissier.
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Un lointain ersatz de Guy Ritchie
Inutile de s’infliger des migraines en se demandant quelle issue voudrait nous faire espérer ce lointain ersatz de Guy Ritchie sis dans l’Amérique suburban (qui aurait pu s’appeler “Arnaques, crimes et gérontoculture”), ni auquel de ses personnages il accorde une quelconque empathie : le film n’en a aucune. Rien n’importe vraiment à I Care a Lot, sinon l’étalage tapageur de sa virtuosité : jamais chevillé émotionnellement au moindre de ses pions, il semble aspiré dans un vortex de combines et de twists enchevêtrés, comme accro à la dopamine censément produite par les plans qui se déroulent sans accrocs, les guet-apens de génie et les personnages « badass » (combien de temps devra-t-on encore supporter ce cliché ?) qui savent parfaitement ce qu’ils font.
Le premier problème, c’est que cette supposée virtuosité fuit par tous les tuyaux : le visionnage du film vire assez rapidement à un jeu apocalyptique de colmatage mental tant l’intrigue multiplie les failles et les incohérences. Faut-il voir dans le casting de Rosamund Pike en actrice principale une tentative de se positionner en petit cousin du thriller justement le plus virtuose de la décennie ? Si c’est le cas, c’est un très mauvais choix : on pense beaucoup trop à Gone Girl devant I Care a Lot, qui n’en donne que d’autant plus cruellement l’impression d’avoir commandé une contrefaçon du film de David Fincher sur Wish, avec ses stratagèmes aberrants (gag des tentatives de meurtre toutes plus inutilement sophistiquées les unes que les autres, limite Bip Bip et Coyote) et ses gigantesques trous dans la raquette (on passe son temps à pousser des « mais attends, comment c’est possible que …? »).
Du « contenu » inconsistant
Le second problème, et au fond le plus grave, c’est que le film exécute ses acrobaties dans un désert total de sens. I Care a Lot fait l’effet d’un film pour rien, d’une espèce de thriller résiduel, aléatoire, sans enjeux, sans morale, sans sentiments, sans volonté, où tout se passe simplement parce qu’il faut bien qu’il se passe quelque chose. Si l’humanité disparaissait et qu’une intelligence artificielle continuait de fabriquer du « contenu » en solo à Hollywood, voilà probablement ce à quoi cela ressemblerait. Le film échoue à, ou plutôt n’essaie jamais de nous donner la moindre manière de nous sentir concernés et habités par ce qu’il nous raconte ; son itinéraire de croisière consiste plutôt à arpenter fiévreusement l’imaginaire dans le but de correspondre à tous les genres, ou à tous les hashtags Netflix à la fois : comédie, polar, thriller, farce fataliste, parabole féministoïde… Tout se superpose, et s’évapore instantanément : ne reste à la fin que sa prestidigitation, et son inconsistance.
I Care A Lot de J Blakeson, disponible sur Netflix.
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