En 1997, dans une petite ville industrielle au nord-ouest de la Chine, une série de meurtres sont commis. Ils visent à chaque fois de jeunes ouvrières dont les corps nus sont retrouvés lacérés. La police piétine tandis que Yu Guowei, aspirant détective cantonné à son emploi de chef de la sécurité d’une usine décrépie, pense pouvoir démasquer le meurtrier grâce à l’instinct qui lui sert à épingler les employés chapardeurs.
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Premier long métrage du réalisateur chinois de 41 ans Dong Yue, jusque-là chef opérateur, Une pluie sans fin se présente d’abord sous la forme d’un thriller aux canevas narratif et esthétique assez identifiés. Son univers composé d’une pluie en effet infinie, d’un décor ferreux, humide et rouillé, d’une atmosphère glauque et d’une crasse indélébile fait du film une sorte de Seven (1996) en pleine Chine prolétaire. La maîtrise de ces ingrédients impressionne mais le véritable intérêt du film est ailleurs.
Une étrangeté toute hitchcockienne
Car si l’esthétique de Dong Yue penche du côté de David Fincher, il fait également preuve d’un goût pour une étrangeté toute hitchcockienne et d’un propos politique qui n’est pas sans rappeler le cinéma de son compatriote Jia Zhangke.
Du réalisateur de Vertigo, on retrouve l’utilisation du MacGuffin (ce prétexte au développement du scénario) et l’obsessive mélancolie pour les femmes disparues tandis que, comme Jia Zhangke, il critique les mutations socio-économiques de son pays.
Mais quand Zhangke a recours à la poésie lyrique pour attaquer son régime politique, Dong Yue s’autorise un registre plus farcesque et frontal. En témoigne cette scène assez sublime où le personnage principal vient chercher un prix de meilleur ouvrier sur scène, face à un public de travailleurs mis en scène comme un troupeau de moutons. Subitement, le temps se suspend, le discours si bien cadenassé de la propagande communiste déraille, l’assemblée se met à rire et des flocons de neige tombent du plafond.
Un récit à cheval entre les années 1990 et les années 2000
A cet effondrement de la parole politique répond plus loin celui des usines. Il a lieu devant le même public d’ouvriers contraint à la docilité, à un rapport au temps basé sur l’oubli. Avec son récit à cheval entre les années 1990 et les années 2000, Dong Yue propose une déclinaison de ce motif du cinéma contemporain qu’est la dialectique entre les deux derniers siècles, motif ici configuré autour de la question de la difficile invention du présent d’une classe ouvrière chinoise privée de sa mémoire.
La force du film est de lier cette question avec l’intrigue criminelle. Car plus qu’un désir de justice, la résolution des meurtres devient le moyen de reconstituer le lien brisé entre passé et présent.
Une pluie sans fin de Dong Yue, avec Duan Yihong, Jiang Yiyan et Du Yuan (Chi., 2018, 1 h 59)
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