[Numéro spécial Gainsbourg] Entre 1977 et 1981, Alain Chamfort fait équipe avec Serge Gainsbourg sur trois albums portés par quelques tubes radiophoniques. Quarante ans après Amour année zéro, le chanteur et musicien se souvient.
Trente ans après la disparition de Serge Gainsbourg, quels sont les premiers souvenirs qui te reviennent en mémoire ?
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Des chansons, d’abord : Le Poinçonneur des Lilas, En relisant ta lettre, la deuxième chanson de Serge qui avait retenu mon attention à l’époque par son humour revanchard et faussement misogyne, La Javanaise, chantée par Juliette Gréco et dont j’ignorais alors qu’il en était l’auteur, Comment te dire adieu par Françoise Hardy, Les Sucettes par France Gall ou encore Les Petits Papiers par Régine. Impossible de faire l’impasse sur Je t’aime… moi non plus et 69 année érotique, bande-son de sa nouvelle liaison fièrement affichée.
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Je citerais aussi son concept album Histoire de Melody Nelson et deux périodes bien distinctes avec lui. D’un côté, le Gainsbourg que j’avais approché pour mon album Rock’n Rose et qui s’est montré à la hauteur de son talent – je le respectais autant que je l’admirais. De l’autre, l’homme qui se cachait derrière Gainsbarre et qui cédait trop souvent à la facilité. Au point que nos rapports se délitèrent pendant la conception d’Amour année zéro. En fonction des jours et de mon humeur, ces deux images contrastées s’entrechoquent. Il m’est difficile de résumer ma relation à Serge aussi simplement. Je lui suis vraiment reconnaissant professionnellement et humainement.
“Il aimait bien débiner les autres chanteurs”
Ensemble, vous avez collaboré sur trois albums de ta discographie au tournant des années 1970-1980.
Oui, Jane était intervenue gentiment auprès de Serge pour le convaincre de travailler avec moi. A l’époque de Rock’n Rose, on se voyait beaucoup, on était partis à Londres pour enregistrer les voix et les cordes du disque – des sessions pleines de complicité. Serge me proposait un tas d’idées originales, comme Baby Lou, qui reste sans doute ma chanson préférée de notre collaboration à quatre mains. Je revois encore ses feuilles manuscrites avec des textes que j’avais parfois du mal à chanter parce que je n’étais pas forcément le meilleur vecteur.
D’autant qu’il était plutôt habitué à écrire pour des interprètes féminines que masculins. C’est d’ailleurs pour moi chanteur qu’il a écrit le plus de titres. Après l’insuccès de Rock’n Rose, Serge était déçu du manque d’implication de mon label, mais il a consenti malgré tout à écrire trois textes de Poses, dont Démodé, que je souhaitais utiliser comme titre de l’album, mais l’idée, jugée trop risquée, a été refusée par CBS. Je me souviens que pendant cette période il attendait la réponse d’un producteur au sujet d’un film qu’il avait commencé d’écrire dont le titre était Black Out, inspiré par une coupure d’électricité intervenue à New York pendant l’enregistrement du disque. Il envisageait d’éclairer l’intégralité des scènes avec les phares d’une voiture… Il me confiait son chagrin d’avoir perdu Jane et d’autres blessures de son enfance.
Te souviens-tu encore de votre première rencontre ?
Bien sûr, c’était chez lui, rue de Verneuil. Auparavant, nous nous étions croisés plusieurs fois sur des plateaux télévisés, comme il accompagnait régulièrement Jane Birkin dans les émissions. Il la surveillait du coin de l’œil tout en faisant son numéro habituel pour mettre les gens dans sa poche. On passait du bon temps ensemble, souvent davantage à rigoler qu’à travailler. Il était assez critique sur le milieu et aimait bien débiner les autres chanteurs. (sourire) J’étais très sensible à sa culture de la musique classique dans laquelle je me retrouvais totalement.
“Serge est mort le jour de mon anniversaire”
Qu’est-ce qui te plaisait le plus chez lui : le parolier ou le compositeur ?
J’étais très friand de sa période anglaise et de morceaux comme Bonnie and Clyde ou Qui est “in”, qui est “out”. Des chanteurs de sa génération, c’est le seul qui passait dans l’émission Salut les copains. Au contraire d’un Brassens ou d’un Ferré, il a réussi à faire le pont entre la chanson rive gauche et les yéyés. Je comprenais son évolution artistique et j’étais impressionné par sa facilité d’écriture. Il était particulièrement prolixe, épaississant son répertoire tout en englobant des anglicismes. Gainsbourg savait capter l’air du temps comme peu d’autres auteurs de l’époque, à part peut-être Jacques Lanzmann avec Dutronc.
Comment expliques-tu que Gainsbourg soit toujours la référence française ultime ?
C’est une icône. Et les plus jeunes apprécient volontiers son attitude rock’n’roll. Par sa capacité à produire des chansons très différentes les unes des autres et par son évolution musicale constante, Gainsbourg a laissé une œuvre considérable. Le couple sulfureux qu’ils formaient avec Jane Birkin a également participé à construire le mythe Gainsbourg. Ses deux concept albums, Histoire de Melody Nelson et L’Homme à tête de chou, ont marqué leur temps. A la réécoute de sa discographie, aucun album n’a pris un coup de vieux. Gainsbourg reste très actuel. C’est rare de traverser ainsi le temps sans savoir rationnellement comment l’expliquer.
Comment as-tu appris sa mort le 2 mars 1991 ?
Serge est mort le jour de mon anniversaire. Ce soir-là, je venais d’enregistrer l’émission des Nuls sur Canal+ au Studio Gabriel. Après un dîner plutôt arrosé pour mon anniversaire, on m’a annoncé brutalement la disparition de Gainsbourg. Même si je savais qu’il était malade, la nouvelle est tombée comme un couperet.
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