Dense et compact, La Disparition du paysage de Jean-Philippe Toussaint offre à Aurélien Bory et Denis Podalydès l’occasion d’un dispositif théâtral qui éclaire l’effacement de nos repères dans un réel figé et incertain.
Saisissante s’avère l’étrange corrélation entre la trame du récit de Jean-Philippe Toussaint dans La Disparition du paysage et la situation sanitaire qui nous fait découvrir la mise en scène d’Aurélien Bory dans un Théâtre des Bouffes du Nord vidé de son public, devant une poignée de professionnel·les. Avons-nous un point de vue clair sur l’avenir proche et pouvons-nous imaginer un après à cet engluement dans un présent confiné qui dure depuis un an ? Nullement.
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Or, c’est justement sur cette impossibilité à percer le brouillard de sa conscience et celui qui opacifie la plage d’Ostende qu’il regarde depuis sa chambre, solitaire et arrimé à sa chaise roulante depuis “l’accident”, que porte le monologue intérieur de cet homme. A-t-il été victime d’un attentat ? Est-il amnésique, prisonnier d’un présent étale qui ne lui laisse d’autre occupation que d’“éprouver la monotonie des heures” ? Pourtant, le temps passe bel et bien.
Devant sa fenêtre, des travaux vont bientôt obturer complètement le paysage monochrome, à peine traversé par des mouvements infimes, des corps évanescents, où s’arrime sa conscience. Seule l’imagination lui offre une porte de sortie lorsque son esprit prend le large. Alors, “je parviens à m’abstraire de la réalité où je suis encalminé depuis des mois”.
Notre grande et sourde inquiétude
C’est à Denis Podalydès que l’auteur a fait don de ce texte avant même qu’il soit publié. “S’y manifeste une grande inquiétude, qui est notre commune et sourde inquiétude qui perd son nom, sa forme, son contour, tant elle s’accroît, se diffuse, tout en semblant parfois s’évaporer. […] Comment donner à entendre (à voir ?) ce flux de pensées, de sensations, de réminiscences ? Et comment faire avec la mort, toujours présente, déjà là, ombre et instant ?”, s’interroge l’acteur.
C’est au metteur en scène Aurélien Bory, arpenteur infatigable de l’espace, que Denis Podalydès propose l’aventure. Entre eux, la fusion entre voir et entendre fonctionne à merveille. Au jeu sobre, précis et obstiné de l’acteur, Aurélien Bory associe le déroulement d’une image, celle d’un ciel aux nuages en perpétuelle métamorphose, dont les dimensions varient au gré du récit. Lucarne, verrière, trait lumineux, paroi envahissante ou support aux mouvements des ouvriers construisant le mur qui obture le paysage, l’image, ici, se surimpose aux mots.
En accompagne le ressassement, l’étirement infini d’une perception alourdie par le silence, l’immobilité, l’amenuisement des repères, l’insondable solitude. L’impact du spectacle tient tout entier dans ce partage de l’expérience vécue par le personnage, la disparition progressive du paysage – social et intime – où l’on a eu coutume de vivre et dont on doit se passe ; pour combien de temps encore ?
La Disparition du paysage de Jean-Philippe Toussaint, mise en scène Aurélien Bory, avec Denis Podalydès. Tournée jusqu’en novembre – dates à préciser
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