La saison culturelle d’été ne manque pas cette année de richesses et d’originalité. Pour ne rien en manquer, pour s’émerveiller, s’évader ou s’ancrer, les pieds (parfois) dans l’eau et les yeux en éveil : suivez le guide !
Difficile que de faire le choix d’une exposition plutôt qu’une autre tant les propositions pour un été arty sont nombreuses. Ce panel subjectif en presque cinq indicatifs quadrille la France et retient le meilleur, du plus enchanteur au plus dérangeant, de la création contemporaine exposée cette saison. Nous vous souhaitons donc un très beau voyage !
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+ 01 : ÎLE DE FRANCE
Laure Prouvost, plutôt deux fois qu’une
La bonne nouvelle est double, et elle vient de tomber. Lors de la prochaine de Biennale de Venise à l’été 2019, ce sera Laure Prouvost qui se chargera de représenter la France, apportant une touche fantaisiste et féminine à un pavillon qui en manquait jusqu’alors cruellement. Succédant à Annette Messager et Sophie Calle, Laure Prouvost sera la troisième femme (seulement !) à y intervenir et ce depuis l’inauguration du pavillon français en 1912. Originaire de Lille mais installée à Londres, les vidéos et installations de la quarantenaire passent de la poésie à l’absurde en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « Swallow ». Swallow, c’est-à-dire le titre de la vidéo qui lui vaudra il y a cinq ans de remporter le prestigieux Turner Prize anglais. Pour la traduction, on hésite entre « avaler » ou « hirondelle », tant son univers se construit en jouant sur des contre-sens et polysémies nous entraînant dans un tourbillon aussi délirant que jouissif. La deuxième bonne nouvelle donc, c’est que l’on pourra dès ce mois-ci la découvrir au Palais de Tokyo, qui a eu le flair de lui consacrer une exposition solo au sein de sa nouvelle saison Enfance. On y retrouve un dédale immersif mêlant vidéos et installations autour du réchauffement climatique – et déjà star d’Instagram, une fontaine de seins nourriciers, car après tout précise-t-elle, les expositions d’été doivent aussi être légères et sensuelles !
Laure Prouvost à la Biennale de Venise 2019 et Ring, Sing and Drink for Trespassing au Palais de Tokyo, à Paris, jusqu’au 9 septembre
Des images, encore et encore
A l’heure d’Internet et de ses représentations saturées, une énième prolifération d’images ne serait-elle pas susceptible de nous achever ? L’artiste suisse Batia Suter parvient à nous convaincre du contraire, dans une démonstration savamment orchestrée au BAL, qui s’ouvre dès le début de l’impasse de la Défense (soyez attentifs aux murs !). Le BAL accueille en effet cet été une installation in situ de l’artiste, composée autour de l’image et de sa résurgence. Orchestré en deux temps, ce dispositif de plus en plus immersif nous plonge dans les affres de représentations qui nous semblent aujourd’hui si familières qu’on ne les questionne plus. Le rez-de-chaussée permet d’abord de pénétrer l’univers de l’artiste, en pleine lumière, imagerie proliférante peuplée de références diverses, et glanées au fil d’une collection qui rassemble autant livres d’art que catalogues promotionnels ou banque de photographies scientifiques. Plongé dans l’obscurité, l’étage inférieur dévoile un peu plus de cette grammaire radiale, obsédante, qui se déploie sous forme immobile – imprimée sur les murs – et mouvante, un montage patiemment composé par l’artiste. Entre archiviste scientifique et collectionneuse boulimique, Batia Suter organise son système circulaire de l’image et de l’objet en rapprochant les thèmes, les formes et les échelles. Elle nous propose d’en appeler à notre vision et à nos souvenirs pour chatouiller la mémoire des représentations. Et semer le trouble, réactiver bien des interrogations.
Batia Suter, Radial Grammar au BAL, place de Clichy, jusqu’au 26 août
Décollage imminent
Pour son dernier été avant fermeture de la Fondation, la Maison Rouge signe son envol avec une exposition collective aussi aérienne que son titre, qui ne manque cependant pas de gravité. La proposition, pour tenter de s’arracher quelques secondes au sol, est multiple et tourbillonnante. L’exposition réunit peintures, installations, vidéos, masques ou encore objets de collection de toutes époques et de toutes mouvances artistiques. On se réjouira donc autant de l’installation angélique (et ailée) d’Ilya et Emilia Kabakov que des masques africains de la collection d’Antoine de Galbert, des photographies en apesanteur de Philippe Ramette que des inlassables tentatives filmées de Gino de Dominicis pour devenir oiseau. Cet ultime voyage proposé par la Fondation traduit fort bien cette quête humaine inespérée vers l’envol, ce désir de s’élever ou de décoller pour défier les lois de la gravité autant que les contingences d’un monde dépoétisé. Pour quelques instants alors, les pieds ne touchent plus terre et le pari est empoché haut la main. Plus rude est la chute, cette mélancolie qui accompagne les atterrissages, l’incapacité de l’homme à se voir pousser des ailes. Ne manquez donc pas ce dernier vol !
L’envol ou le rêve de voler, exposition finale de la Maison Rouge, fondation Antoine de Galbert, jusqu’au 28 octobre
Décoloniser l’institution, désenclaver les corps
La reconnaissance aura été tardive par l’institution française. Consécration ou réparation, Kader Attia bénéficiait au printemps de deux expositions majeures qui prolongeaient la première reconnaissance que fut sa victoire au Prix Marcel Duchamp en 2016. L’artiste né en 1970 inaugurait à la fin de l’hiver la proposition L’Un et l’Autre, conçue avec son ami de longue date Jean-Jacques Lebel au Palais de Tokyo. A cet assemblage d’œuvres et d’artefacts rejouant la logique impérialiste sous-tendant toute démarche muséale s’adjoignait mi-avril un volet solo beaucoup plus intimiste. Au MAC VAL à Vitry-sur-Seine l’exposition Les racines poussent aussi dans le béton offrait à l’enfant de Garges-lès-Gonesses un retour en terrain familier, cette proche banlieue parisienne qui le vit grandir. L’artiste imagine alors un parcours initiatique en forme de longue déambulation rejouant les logiques de contrainte et d’entrave des corps dans les architectures périurbaines de l’après-guerre. Une manière d’aborder un sujet encore tabou, à savoir le corps des populations immigrées et de leurs descendants, corps contraints par le travail physique et par l’encadrement urbain des utopies ratées post-corbuséennes. Où se dessine surtout un manifeste d’auto-défense poétique et abrasif, montrant les techniques et les ruses qu’inventent ces corps pour s’approprier le bâti et reconquérir malgré tout mobilité et visibilité.
Kader Attia, Les racines poussent aussi dans le béton au MAC VAL à Vitry-sur-Seine, jusqu’au 16 septembre
+ 02 : NORD-OUEST
Voyage désaxé au cœur de Nantes
Nantes cet été ne finira pas de vous étonner, envahie des créations protéiformes d’artistes qui peuplent la 7ème édition de ce Voyage à Nantes. Placée sous le signe du pas de côté, le parcours sillonne la ville en toutes occasions, instillant une forme de désordre, un dysfonctionnement vertueux à travers ses lieux culturels dédiés (galeries, musées, atelier), espaces publics (parcs, passages, places) ou monuments patrimoniaux et historiques. Cette déambulation nantaise, faisant dialoguer œuvres contemporaines et patrimoine urbain, travaille nos perceptions et appréhensions quotidiennes, normées, pour y insuffler un vent de douce rébellion. Ça commence, comme il se doit, place de Bouffay, avec l’Eloge du pas de côté de Philippe Ramette, maître de cette cérémonie désobéissante à taille urbaine où les éloges (à l’adaptation, à la transgression…) le disputent aux contre-propositions borders, un peu divergentes d’artistes sculpteurs, performeurs ou architectes. Il faut alors se plonger dans les atmosphères obscures de James Tirell ou Thierry Kuntzel, prêter l’oreille aux dissonances oiselières de Céleste Boursier-Mougenot ou explorer au Temple du Goût les espaces et les objets de Michel Blazy, colonisés par une végétation reprenant ses droits. Autant d’échantillons d’un ensemble impétueux, transgressif et poétique qui fera germer les graines d’une pensée autre, de l’à côté.
Voyage à Nantes, Eloge du pas de côté, parcours dans la ville de Nantes, jusqu’au 26 août
More and more Moore
Henry Moore est un sculpteur qui n’a pas choisi son camp, si tant est qu’il le faille, entre surréalisme et abstraction. Son œuvre très peu souvent exposée en France fait (enfin) l’objet d’une rétrospective au Fonds Hélène et Edouard Leclerc de Landernau, proposant un dialogue entre ses dessins et ses sculptures. L’occasion est précieuse et permet, en vertu d’une approche chronologique, de mieux cerner cet artiste se jouant des catégories et des échelles, passant du plus petit dessin à la plus monumentale des pièces sculptées. Le parcours s’emploie à nous familiariser aux motifs dont la résurgence fait la signature du sculpteur, comme cette figure couchée, depuis la maquette en plâtre peint de 1951 jusqu’à sa version monumentale en bois d’orme, façonnée de 1967 à 1978. Pour ce sculpteur légendaire travaillant tous matériaux, l’interrogation sur la forme est bien sûr déterminante. La tension formelle sine qua none au refus de Moore de cloisonner sa pratique dans un courant artistique se donne également à voir dans cette exposition. Pour se délecter de ces silhouettes élancées ou de ces ovoïdes polissés, on ne prendra donc pas le risque d’attendre la prochaine rétrospective française de ce sculpteur inclassable.
Henri Moore au Fonds Hélène & Edouard Leclerc pour la Culture, à Landernau jusqu’au 4 novembre
De l’art pour rester debout
Dans cette interjection – « Debout ! » – on aurait tort de voir la sommation brutale, l’ordre impérieux que ce point d’exclamation laisse à penser. S’il s’agit d’un acte franc, la position debout ici réfléchie autour de la collection Pinault procède davantage de la résilience, de cette capacité humaine à ne pas ployer face aux horreurs du monde. Au sein du couvent des Jacobins de Rennes, les œuvres puisées dans la collection, qui trouvera bientôt son écrin à la Bourse du Commerce à Paris, nous plongent donc du côté obscur de l’humanité, où les vices et la violence font rage et sont prompts, si l’on n’y prend garde, à nous terrasser. La position debout serait avant tout tenue par les artistes, nous avertissant par leurs créations des menaces à éviter, des pièges à contourner pour devancer le chaos et, nous-mêmes, rester debout. Interpellation bienveillante plus qu’injonction, cette position large permet à l’exposition de réunir des œuvres diverses attestant autant des misères actées (le nazisme pour Maurizio Cattelan, la guerre du Vietnam chez Adel Abdessemed) que des errements désespérés en germes dans les esprits d’un univers en quête de rédemption (la créature hybride post-Fukushima de Pierre Huyghe). Le pouvoir salvateur de l’art, pour rester débout ? La collection Pinault nous en réserve l’expérience.
Debout !, l’exposition de la collection Pinault au Couvent des Jacobins à Rennes, jusqu’au 9 septembre
Songe d’une après-midi d’été
Sculpter, ce n’est pas seulement s’attaquer au burin à un bloc de marbre. Ce n’est d’ailleurs même pas forcément y engager son corps ou ses mains. Comment en effet qualifier autrement que de sculpteurs toute cette nouvelle génération d’artistes qui assemblent, inventent et façonnent de nouvelles matières, à mi-chemin entre l’organique et le synthétique ? Néo-alchimistes autant que sculpteurs à part entière, ils sont nombreux à faire de l’odeur et du parfum leur médium de prédilection. Parmi eux, Anicka Yi exposée l’an passé au Guggenheim à New York ou Pamela Rosenkranz qui représentait la Suisse à Venise, et désormais aussi Morgan Courtois. Avec sa première exposition solo au centre d’art Passerelle à Brest, le jeune artiste de trente ans installe sous la verrière une installation sensuelle comme une sieste dans la touffeur d’une après-midi d’été. De grands vases en plâtre, résine et fruits répondent aux tableaux mouchetés évoquant le soleil perçu au travers de paupières closes, tandis qu’un hermaphrodite se prélasse au sol. Surtout, c’est donc cette odeur, composée à partir de poèmes écrits par l’artiste, qui se charge de faire basculer l’exposition dans un autre registre. Celui d’une sensualité pure qui brouille la perception rétinienne et entraîne dans une dérive capiteuse. Une exposition d’été dans le meilleur sens du terme, qui voisine avec la proposition collective Les deux sens du décoratif explorant quant à elle l’appétence des jeunes artistes pour le craf et les arts déco.
Morgan Courtois, It’s All Tied Up in a Rainbow, au Centre d’art contemporain à Brest jusqu’au 18 août
+ 03 : NORD-EST
Amour de l’art, art de l’amour
Du culte du génie à l’élite artiste, la création est auréolée du halo d’une solitude tourmentée et nécessaire. Et s’il était temps de repenser cette création comme la rencontre de deux destins, le résultat d’une alchimie duale ? L’exposition fleuve du Centre Pompidou Metz ambitionne de relire la modernité artistique, en photographie, en design ou encore en peinture, par le biais du couple, dans un rapport réciproque d’influences entre les deux partenaires. Les femmes – Maria Martins, Sonia Delaunay ou Emilie Flöge, pour ne citer qu’elles – ne sont plus cantonnées à la position bien hiérarchique de muse, mais considérées pour leur participation active à la création, annonçant autant que prolongeant le geste artistique. Si insondable que soit ce rapport entre amour et art, la prégnance du sentiment amoureux et ses diverses circonvolutions infuse ce panorama aux accents binaires, dessinant les contours d’une modernité qui s’est construite à deux.
Couples modernes, à voir au Centre Pompidou de Metz, jusqu’au 20 août
Prendre la clé des champs
De Nan Goldin, on connait surtout la Ballade de la dépendance sexuelle, série fleuve des années 80 dressant un portrait générationnel du New York underground. Nan Goldin nous a habitué à une photographie urbaine, violente, et volontairement crade, comme l’étaient les nuits de tout son entourage, brûlant ses ailes au soleil des plaisirs charnels et artificiels. Rescapée de l’horreur, Nan Goldin a continué à photographier proches et rencontres, objets et tableaux dans une démarche qui semblait toujours vouloir retenir, par-delà la nuit, la vie. Exposées au Centre culturel de l’entente cordiale, à Condette, les photographies de paysage de Nan Goldin nous révèlent une toute autre facette de la personnalité et de la patte de cette New Yorkaise survivante. A moins que l’apparente tranquillité et le hiératisme des forêts ne cachent quelque chose de plus insoupçonné, une inquiétude sourde qui trahirait les traumas d’une vie trop brutale pour s’effacer dans la douceur de la nature. Pansant ses plaies à travers les champs d’Italie, d’Angleterre ou d’Amériques, Nan Goldin nous offre, à nouveau, une sublime ballade.
Nan Goldin, Fata Morgana au Chateau d’Hardelot, Centre culturel de l’entente cordiale à Condette, jusqu’au 11 novembre
+04 : SUD-EST
Esprits (du Japon), êtes-vous là ?
Dans le cadre du programme Japonismes 2018, le musée des Confluences consacre une riche exposition sur le thème de la spiritualité japonaise, mettant en dialogue création contemporaine et fonds patrimoniaux. Aux murs, les tirages en couleurs aux formats alternés nous font découvrir un Japon ritualisé et costumé, capturé par l’objectif du photographe français Charles Fréger. Ces clichés performés côtoient, dans une complémentarité volontairement décalée pour éviter toute redondance, les objets de la collection du musée des Confluences, provenant notamment de la collection d’Emile Guimet. La mise en perspective des deux époques, outre la richesse et la flamboyance des objets et rituels qu’on y découvre, est passionnante en ce qu’elle permet de saisir d’une pratique rituelle en constante re-formation. Elle autorise également, en toute finesse, une réflexion sur nos visions occidentales avant tout culturelles, qui peinent parfois à appréhender une spiritualité, finalement bien étrangère, sans en déformer les contours.
Yokainoshima, esprits du Japon, au musée des Confluences à Lyon, jusqu’au 25 août 2019
Saint-Etienne célébrée par ses artistes
Qu’ont en commun Valérie Jouve, photographe travaillant la relation des corps à l’espace urbain, et Jean-Michel Othoniel, artiste sculpteur qui a fait du verre sa marotte ? A priori par grand-chose, si ce n’est leur date de naissance (1964) et leur origine. Pour cela, ces deux Stéphanois ont investi le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne Métropole, qui célèbre cette année son trentième anniversaire. Les deux artistes bénéficient d’un espace d’exposition propre, où chacun a pu dérouler le fil d’une création stéphano-centrée, explorant respectivement la spécificité de son propre médium. Pour l’un comme pour l’autre, se dessine la réflexion de l’héritage, où comment un territoire et un vécu imprègnent les consciences des artistes et façonnent les œuvres. L’installation des photographies de Valérie Jouve joue de ses questionnements, en mêlant séries passées et présentes, volontairement non légendées. La carte blanche d’Othoniel, emplissant la grande salle centrale du musée de sa Big Wave, témoigne d’un rapport de perceptions à la ville et son histoire, celle de l’extraction houillère et des poussières de charbon. Une belle mise en perspective de l’identité de la ville.
Valérie Jouve, Formes de vie et Jean-Michel Othoniel, Face à l’obscurité, au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne, jusqu’au 16 septembre
Où va le monde ?
Inauguré le 14 février sur le thème de l’amour – l’amour tout court et l’amour de l’art – MP 2018 (Quel Amour !) réitère sa proposition culturelle d’ampleur durant toute une saison, avec une programmation multiple associant musées, théâtres, festivals et centres culturels de Provence. C’est dans ce cadre qu’est présentée l’exposition de l’artiste thaïlandais Korakrit Arunanondchai au J1 de Marseille, à l’invitation de Charlotte Cosson et Emmanuelle Luciani. Les petits cœurs et autres baisers rouges ne sont pourtant pas les protagonistes de cette installation plurielle mêlant vidéo et sculpture, s’inquiétant de l’état d’un monde en saturation technologique et humaine, en quête de mémoire. A son image, cette installation composite entremêle les réflexions d’ordre spirituel, sociétal ou politique, et dresse finalement un portrait en demi-teinte, entre résilience et désespoir, de nos univers contemporains. Pour se départir de la toxicité d’un environnement nocif ou l’imprimer dans sa mémoire, il faut d’abord s’immerger.
Korakrit Arunanondchai, With History in a room filled with people with funny names 4, au J1 de Marseille, jusqu’au 29 juillet
D’état en état
S’il fallait trouver un seul lien pour mettre bout à bout les expositions du cycle estival du FRAC PACA, il s’agirait du passage, de la translation d’un état à un autre. Une sorte de frontière, parfois indicible et déroulée dans toutes ses ramifications : entre les âges, entre les êtres, entre les pays et entre les choses. Chez Claude Lévêque comme chez Laura Henno, malgré la distance thématique et esthétique qui sépare les deux propositions, c’est le passage à l’âge adulte qui est en jeu, le devenir homme peut-être bien trop tôt : un saut dans le vide qui ravit les délices de l’enfance pour les ténèbres du monde adulte. Monde adulte, ce monde hostile où les migrations anesthésient plus qu’elles ne réveillent notre vivre ensemble. Bruno Serralongue a immortalisé cet état à la frontière de l’humanité à Calais, où le passage, le basculement d’une condition à une autre ranime la ritournelle du cauchemar qui affleurait déjà dans les œuvres de Lévêque et Henno. Du cauchemar il n’est pas question dans l’exposition Synonymie ambiante, réjouissante mise en perspective autour de l’écriture, du livre d’artiste et de la poésie visuelle. Mais le passage est bien présent : de la parole à l’objet, du mot au support. Une série complète de passages qui laissent aussi songeurs qu’admiratifs.
Les expositions de Bruno Serralongue, Laura Henno, Claude Lévêque et Synonymie ambiante sont à voir au FRAC PACA, à Marseille, respectivement jusqu’au 19 août, 23 septembre et 14 octobre
Art au naturel
Des bestiaires du Moyen Age au romantisme allemand dans sa plus pure tradition, la nature a toujours inspiré les artistes, qui s’attelaient dans un élan copiste à la reproduire au mieux, en représenter les composantes. La nature, merveille de la création, est au centre de cette exposition du Musée d’art moderne et d’art contemporain de Nice, non plus dans la tentative d’artistes de la représenter mais bien de l’intégrer au processus créatif : la comprendre, en saisir des bribes, jouer avec ses éléments et ses rythmes, la préserver ou l’honorer. A travers un ensemble d’œuvres allant du Land Art (Andy Goldsworthy) à la performance écolo-féministe (Gina Pane), l’exposition retrace l’histoire d’interactions sensibles entre les artistes et l’environnement naturel. La nature, intégrée comme partie prenante des œuvres, est autant terre vertueuse et nourricière que creuset d’éléments déchaînés, de forces cosmiques. Les propositions sont nombreuses, éphémères, poétiques et nécessaires, à l’image de la matrice inspirante que représente cette nature, par trop menacée.
Cosmogonies, au gré des éléments est à voir au Musée d’art moderne et d’art contemporain de Nice, jusqu’au 16 septembre
Au commencement, elle était Judy. L’artiste californienne Judy Chicago, au début de sa pratique dans les années 60, n’était encore « que » Judy Gerowitz, œuvrant à Los Angeles sur un territoire qui infusa son œuvre. Le parti pris de la Villa Arson pour cette exposition est d’ancrer le propos dans cette Californie des années 60, pour dévoiler des œuvres de l’artiste féministe que sa renommée, à compter des années 70, a éclipsé. Ainsi, l’angle monographique flirte avec le collectif, les pièces de jeunesse de Judy Chicago étant présentées aux côtés de celles d’artistes californiens de la cool school, comme Robert Morris ou John McCraken. L’ambition est en effet de révéler une facette de la personnalité créative de Judy Chicago – à travers des œuvres déjà préoccupées de corps, de normes et de motifs suggestifs – mais également de la replacer dans une histoire de l’art américain, ici profondément façonné par la culture de l’Etat californien. Du vinyle et du plastique aux plumes, Judy Chicago avant l’heure.
Los Angeles, les années cool/ Judy Chicago, à voir à la Villa Arson de Nice, jusqu’au 4 novembre
Ligne, forme, couleur
Pour l’été et la rentrée, la collection Lambert en Avignon met en perspective les œuvres de la collection, célébrées par un nouvel accrochage, et la peinture de l’américain Ellsworth Kelly, décédé en 2015. A l’occasion de la donation exceptionnelle de 54 estampes à la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’Art par le Studio Kelly, l’exposition des dessins, estampes et peintures d’Ellsworth Kelly nous offre le privilège de (re)découvrir l’œuvre d’un artiste peu exposé en France. Communément associée au minimalisme, l’œuvre de Kelly recèle pourtant de recherches sur la forme et la couleur qui témoignent de bien d’autres richesses. Car la matrice Kelly se calque sur la réalité pour la dépouiller de toute figuration, en extraire une réduction formidable de lignes et de couleurs dans la plus pure des abstractions. Une géométrie coloriste systématisée qui inspirera les plus fameux, de Sol LeWitt à Robert Ryman.
Ligne Forme Couleur, Ellsworth Kelly dans les collections françaises, à la collection Lambert en Avignon, jusqu’au 4 novembre
Voyage, voyage
Rendez-vous immanquable avec la photographie contemporaine, la 49ème édition des Rencontres d’Arles se place sous le signe d’une actualité poignante enrichie au prisme de l’Histoire, celle immortalisée à la pellicule plusieurs décennies plus tôt. A l’instar du pont dressé entre les pierres centenaires de la ville et les œuvres qui les investissent, les Rencontres proposent un voyage dans un autre espace-temps, celui des utopies ([Le projet Auroville] de Drager & Holzfeind), des translations rêvées (Les Pyramides imaginaires de René Burri) ou des destins figés de l’Histoire, demeurés intacts par l’action du médium (The Train, le dernier voyage de Robert F. Kennedy ou encore Yo Soy Fidel). Quand, au contraire, le temps se rapproche et se fait présent, la photographie nous dévoile un monde qui nous est proche mais bien nébuleux, où la folie ordinaire – celle de Messies réincarnés (Le Dernier Testament de Jonas Bendiksen) ou des adeptes du transhumanisme (H+ de Matthieu Gafsou) – le dispute à une absurdité qui laisse tantôt hilares (The Hobbyist, en quête de passion), tantôt songeurs (La joie de la conformité d’Yingguang Guo). Si tout n’est pas excellent dans cet aller-retour transfrontières et époques, ne boudons pas ce plaisir estival, trop rare à faire la photographie Reine.
49ème édition des Rencontres de la photographie, à voir dans toute la ville d’Arles et en lieux associés (Marseille, Nîmes), jusqu’au 23 septembre
Les fake-news en image
« Qu’est-ce qui est différent ? » Derrière cette phrase servant de titre au nouveau livre de Wolfgang Tillmans se cache une inquiétude bien précise. Comment expliquer qu’une partie grandissante de la population ait cessé de faire confiance aux faits ? Depuis deux ans, le photographe allemand s’est lancé dans une enquête visant à mettre au jour les mécanismes psychologiques du « backfire effect » (l’effet rebond), le phénomène psychologique qui explique que l’on puisse croire aux fake-news. Un an après ses grandes expositions monographiques à la Tate Modern à Londres et à la Fondation Beyeler à Bâle, c’est au tour du Carré d’Art à Nîmes de lui consacrer une ambitieuse présentation solo. Comme souvent avec Wolfgang Tillmans, la manière d’arranger et de recombiner les différentes images est aussi importante que chacune des photos individuelles. Ici, la nouvelle série sert de matrice et réorganise l’ensemble de son œuvre. Au moyen d’un scanner en fin de vie trouvé en bas de son atelier, l’artiste reproduit différents documents textuels relatifs au « backfire effect« . Ces images sans caméra donnent alors l’occasion de découvrir également ses toutes premières œuvres des années 1987-88, des scans de photos et de coupures de presse qu’il réalise alors qu’il a à peine vingt ans et n’est pas encore l’iconique photographe du quotidien de la jeunesse 90s. A l’occasion de l’exposition, le livre Qu’est-ce qui est différent ? a été traduit en version française.
Wolfgang Tillmans, Qu’est-ce qui est différent ? au Carré d’Art à Nîmes, jusqu’au 16 septembre
Rendre les histoires visibles
Le monde est un théâtre mais certains théâtres sont plus invisibles que d’autres. Lorsque Lubaina Himid, 63 ans, empoche le Turner Prize l’an passé, beaucoup ouvrent pour la première fois les yeux sur son travail. Certes, le prestigieux prix britannique récompense en général de jeunes trublions de la scène anglaise (citons Damien Hirst, Wolfgang Tillmans ou Helen Martens) et Lubaina Himid profite de l’abolition de la limite d’âge auparavant de 50 ans. Concédons également que la fausse naïveté de ses personnages peints sur toile ou découpés en 2D n’ont rien perdu de leur verve ni de leur fraîcheur. Mais quand bien même. Depuis les années 1980, l’artiste britannique originaire de Tanzanie a consacré sa vie à lutter pour la visibilité de la diaspora africaine au sein du monde de l’art. Figure historique du Black Art Movement, elle promeut également le travail de jeunes artistes racisés et anime depuis l’Université du Lancashire où elle enseigne le programme de recherche Making Histories Visible (Rendre les Histoires Visibles). Consécration tardive en Angleterre donc, et première exposition en France ce printemps, où Lubaina Himid sera à l’honneur avec une monographie intitulée Gifts to Kings.
Lubaina Himid, Gifts to Kings au Musée Régional d’Art Contemporain (MRAC) de Sérignan, jusqu’au 16 septembre
Mer des désirs, écrin des écrins
Il aura fallu être patient pour voir enfin inaugurée la Fondation Carmignac sur l’île de Porquerolles, au prix de rebondissements administratifs propres à ce chantier dantesque. Mais c’est chose faite : la collection d’Edouard Carmignac est désormais offerte à la vue des visiteurs dans 2000 m² d’espace, dégagé au niveau du sous-sol de ce parc national et site classé qu’abrite la villa et son jardin. A l’instar de ses camarades, mais de façon ici encore plus spectaculaire, parce que formant un écosystème complet et insulaire, la Fondation Carmignac est une vitrine pour la collection mais bien davantage. La découverte ne s’arrête pas aux œuvres : elle se déploie de la plus petite tuile de ce mas provençal recomposé (Atelier Barani et Agence GMAA) au plus petit brin de lavande d’Hyères du « non jardin » de Louis Benech. Sea of Desire est le titre de l’exposition inaugurale de la Fondation, offrant une première sélection parmi les œuvres d’une collection hétéroclite, réunissant autant Boticelli que Warhol, Nauman ou encore Rondinone. D’un désir d’art à l’autre, il faut se laisser glisser dans cette déambulation exceptionnelle où la beauté des lieux et des œuvres se suffit peut-être à elle-même. Un environnement préservé, le plus beau des écrins.
Sea of Desire à la Fondation Carmignac, île de Porquerolles, jusqu’au 4 novembre
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