Un rapport de l’ONU publié ce mercredi 18 juillet dénonce un nombre de nouvelles infections encore trop élevé pour pouvoir endiguer la pandémie.
Déficit de prévention, manque de financement, ralentissement des avancées… Le nombre d’infections du VIH reste encore beaucoup trop élevé. En 2017, 36,9 millions de personnes vivaient avec le VIH dans le monde. Et l’Onusida a publié, ce mercredi 18 juillet, un rapport alarmant. Intitulé « Un long chemin reste à parcourir », l’étude affirme que « la riposte mondiale du sida se trouve dans une situation particulièrement préoccupante : les succès, certes remarquables – mais encore limités – que nous avons connus en termes de vies sauvées et d’arrêt de nouvelles infections par le VIH sont en train d’ouvrir dangereusement la voie à une certaine forme de complaisance. A mi-chemin des objectifs à atteindre d’ici 2020, le rythme des progrès est encore loin d’être à la mesure de l’ambition affichée. » Un constat que partage Aurélien Beaucamp, président de l’association Aides.
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Comment expliquez-vous cette crise de la prévention ?
Aurélien Beaucamp – Le terme est peut être un peu fort, tout dépend d’où on parle. Quand on parle des pays occidentaux, notamment la France, on n’a jamais eu autant de possibilités de parler prévention. Il y a énormément d’outils : le préservatif, le dépistage, une personne sous traitement ne transmet plus le VIH puisqu’il y a un médicament qui est efficace aujourd’hui, la Prep. De façon plus globale on est dans des endroits où l’on un accès aux soins assez faciles, un accès à la prévention assez simple… La difficulté dans nos pays c’est la marginalisation, la précarité, et puis tout ce qui va concerner les problématiques liées à la contamination sur les populations les plus fragilisées. Je parle des hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes, des usagers de drogues, les travailleur.es.s du sexe…
Là où on va parler de crise de la prévention ça va être pour les pays où on a une épidémie qui a clairement explosé, c’est le cas de l’Afrique centrale, l’Europe de l’Est et l’Asie centrale où effectivement la prévention ne va pas assez vite. Parce que l’objectif pour 2020 c’était de mettre à peu près 30 millions de personnes sous traitement sur les 37 millions au total, et aujourd’hui on arrive péniblement à un peu plus de 22 millions. Donc on a pris énormément de retard dans les objectifs fixés. Et c’est là que le directeur exécutif de l’Onusida, parle de « crise de la prévention ». On n’a pas eu une augmentation à l’échelle aussi importante que ce que l’on aurait dû avoir dans les objectifs que l’on s’était fixé il y a 5 ans.
Dans ce contexte, les objectifs de 2020 peuvent-ils être atteignables ?
Ils ne pourront pas être atteints, sauf s’il l’on a une forme d’accélération cette année, c’est-à-dire davantage de moyens financiers. Les associations de lutte contre le VIH du monde entier ce sont mises ensemble, et estiment qu’il y a besoin de 26 milliards d’euros en termes de besoin financiers pour répondre à ces objectifs en 2020 dans la lutte contre le VIH. Mais lorsque l’on traite de la question du VIH, il faut aussi traiter celle de la tuberculose et du paludisme. Et là, il faudra 46 milliards d’euros. Aujourd’hui, il nous manque à peu près 7 milliards, et ça, c’est l’objectif de la prochaine conférence de reconstitution du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme qui se tiendra à Paris en 2019. Ce fonds est l’un des outils qui permet d’améliorer de façon considérable le financement et l’efficacité des traitements de la prévention de part le monde et dans les pays qui en ont le plus besoin. Et donc l’on espère qu’il y aura une véritable accélération, parce qu’il faut récupérer 7 milliards supplémentaires au total. Il faudrait donc que l’on ait entre 14 et 18 milliards pour cette période là.
Dans le rapport de l’Onusida, il est indiqué que « les succès […] sont en train d’ouvrir dangereusement la voie à une certaine forme de complaisance ». Pensez-vous aussi qu’il y a une forme de banalisation du VIH aujourd’hui ?
Pendant des années, lorsque l’on avait pas de traitement contre le VIH, on parlait d’une situation de silence. Et au début des années 2000, l’un des slogans des associations de lutte contre le VIH c’était de dire : « Break the silence », parce que les pays ne voulaient pas parler de VIH, faisaient la sourde oreille. L’Afrique du Sud, qui est le pays où il y a le plus de contaminations, le plus de personnes qui meurent du Sida. Au milieu des années 1990, ils avaient 90 personnes sous traitement pour des millions de personnes infectées. Aujourd’hui, c’est quasiment 10 millions de personnes contaminées, pour 5,5 millions de personnes qui vivent sous traitement.
On est dans une forme de complaisance aujourd’hui parce que, finalement, les Etats riches arrivent à dire : « On a tellement donné pour le VIH qu’il faut arrêter aujourd’hui », et l’on donne beaucoup plus que les pays qui ont des revenus faibles ou intermédiaires. Sauf que ça n’est pas vrai puisque ces dernières années lorsque l’on voit l’augmentation des efforts mondiaux en termes de santé, plus particulièrement sur les questions du VIH, du paludisme et de tuberculose, on se rend compte que les systèmes de santé dans les pays à revenus faibles et à revenus intermédiaires ont augmenté beaucoup plus vite que pour les pays riches. Les pays riches sont restés toujours au même niveau. L’idée c’est de se dire : aujourd’hui, il faut que les Etats riches arrêtent avec ces idées reçues et augmentent leur contribution financière pour les mutualiser dans le fonds mondial.
Il y a un espèce de cynisme politique actuel. Donald Trump a récemment déclaré vouloir couper dans les financements du VIH, ou alors prendre cet argent et le mettre sur la gestion des migrants qui franchissent la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. On arrive à des situations complètement paradoxales où l’on oppose les luttes sur des sujets qui n’ont rien à voir. Le problème ce n’est pas que l’on a trop donné au VIH, on a fait ce qu’il fallait, mais on ne l’a pas fait assez rapidement, et aujourd’hui, si on ne continue pas à le faire, l’épidémie risque de reprendre. Parce que si on ne met pas les gens sous traitement, l’épidémie va repartir avec de nouvelles inflexions. On est passé de 7 millions de personnes sous traitement à plus de 22 millions. Alors ce n’est pas assez mais on a quand même des objectifs qui sont là.
Quelle est l’urgence aujourd’hui ?
Nous possédons tous les outils techniques et scientifiques pour mettre fin à l’épidémie de VIH : le dépistage, la prévention combinée avec la Prep. Ce qui nous manque aujourd’hui c’est une volonté politique, un leadership des leaders politiques nationaux et internationaux. Et cela passe forcément par des financements, et par la lutte contre les discriminations d’un pan des populations. Cela peut être des hommes qui ont des relations avec d’autres hommes, des personnes précarisées, des usagers de drogues…Parce que ces personnes, quand elles sont discriminées, voire même criminalisées, dans leur pays, elles vont se cacher, elles ne vont pas aller dans les centres de dépistage ou de santé parce que de toute façon elles seront mal accueillies. Dans les chiffres du rapport de l’Onusida on voit bien que toutes les zones où l’on n’arrive pas à avoir un impact sur l’épidémie, où au contraire les chiffres explosent, ce sont les pays où les droits humains ne sont pas respectés. La Russie cette année est par exemple devenue le troisième pays où le nombre de personnes contaminées non-traitées est le plus important, donc ça veut dire qu’il y a une explosion des nouvelles infections. En plus de cela, ces personnes ne sont pas traitées parce qu’elles se cachent et que bien souvent elles font partie d’une minorité. Et c’est la même chose pour l’Asie centrale.
Propos recueillis par Fanny Marlier
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