A nouveau réunis, Ty Segall et White Fence sortent « Joy », un album d’une folle inventivité où le duo a laissé toute sa place à l’expérimentation.
Comme dans la chanson de William Sheller, il y a chez Ty Segall et Tim Presley (aka White Fence), quand ils vous parlent d’eux, quelque chose qui vous éloigne un peu. Débarquer au milieu d’une conversation entre deux des plus éminents représentants de l’aristocratie fuzz californienne ressemble à un rite de passage. On n’a pas tous les codes, alors on s’adapte.
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Une amitié solide
Il faut dire que Ty et Tim se connaissent mieux que personne : quand l’un se la joue branlos, l’autre se marre. Et vice versa. Comme des kids turbulents qui, pris dans des pièces séparées, passeraient pour des Chanteurs à la croix de bois. La marque d’une amitié aussi solide que les roches brûlantes du quartier de Eagle Rock, à Los Angeles. La moindre des choses après des années de collaboration artistique aussi prolifiques que riches en textures, digressions stylistiques et inventivité sonique. Ce genre d’association de malfaiteurs qui donne à entendre un beau jour des objets discographiques du type de Joy, deuxième épisode complètement branque d’un duo ad hoc plus libre que jamais, faisant suite au très court mais indispensable Hair, sorti en 2012 : “Je crois qu’on a gardé le même état d’esprit qu’à l’époque”, lâche Tim. “Ouais, on a toujours eu la même vibe, poursuit Ty. Mais je pense que cette fois, on a creusé le sillon un peu plus loin. On était plus ouverts encore. Plus libres.”
Nous sommes au mitan de l’année 2018 et le kid de Laguna Beach a déjà sorti Freedom’s Goblin, un album d’émancipation artistique totale pour lequel il a bouleversé ses habitudes de travail, quittant sa zone de confort pour aller enregistrer certaines parties dans plusieurs villes des Etats-Unis, aux côtés de différents producteurs. Il a même défendu ce disque en tournée, accompagné du Freedom Band, donnant au Bataclan il y a quelques semaines un concert d’anthologie, qu’il a interrompu quelques minutes, après avoir perdu sa bague de fiançailles en sautant dans le public. Il n’en revient d’ailleurs toujours pas que quelqu’un ait pu la retrouver si vite : “Ça n’a duré que huit secondes, mais j’ai l’impression que c’était plus long.”
Un pétage de plombs contrôlé
De son côté, Tim Presley a sorti Hippo Lite, le deuxième album de Drinks, duo qu’il forme avec la chanteuse et productrice galloise Cate Le Bon. Là encore, le processus de création est chamboulé : les deux s’exilent un temps dans une vieille bâtisse d’un bled paumé des Cévennes, faisant du moindre craquement de plancher et du plus petit bruissement de nature la matière première d’un disque DIY et bricolo, aux teintes surréalistes et impressionnistes.
Enregistré en quelques semaines seulement à l’automne dernier, Joy est l’illustration parfaite d’un pétage de plombs contrôlé, de la part de deux infatigables artistes à part entière ayant repoussé à chaque fois un peu plus les limites de leur créativité, comme s’il fallait à tout prix sortir de la matrice : “Tu sais, on n’avait aucune idée de ce que l’on voulait faire quand on a commencé à enregistrer le disque. Ce n’est pas parce qu’il y a des éléments free sur certains morceaux qu’on s’est dit qu’on allait faire du free-jazz, par exemple”, nous raconte Ty. “C’était comme une réunion de famille, se marre Tim. On voulait juste faire de la musique qui nous donne envie de nous réunir.”
Changement de tempo
En plein milieu de l’album, il y a ce Hey Joel, Where You Going with That?, dont le nom évoque le Careful with That Axe, Eugene de Pink Floyd, qui avec son caractère improvisé et ses digressions free constitue le tournant de l’album. Avec Please Don’t Leave This Town ou Room Connector, Joy semblait pourtant s’inscrire dans une certaine forme de continuité rythmique, cinq ans après la première collaboration des sales gosses. Tu parles. Après un tunnel de pièces courtes, une fois bruitiste (Prettiest Dog), une autre fois débile (Rock Flute), Ty et Tim filent sur des territoires kraut encore peu explorés par les Californiens. Et dans ces expérimentations qui lorgnent vers l’Europe, She Is Gold fascine autant qu’elle évoque le Can de Ege Bamyasi.
Ce changement de tempo jette un voile mystique sur ce disque traçant une nouvelle tangente dans ce grand bordel discographique : “Mystique ? Je sais pas, mec. Je ne peux pas avoir ce recul sur un album dans lequel j’ai été autant impliqué, reconnaît Ty. Le seul truc que je sais, c’est que je prends beaucoup de plaisir à chaque fois que je l’écoute.” Alors tant mieux.
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