La filmographie de Yann Dedet est l’une des plus singulières du cinéma français. Dans un échange passionnant, il revient sur son parcours et dessine un double portrait, le sien et celui des cinéastes qu’il a côtoyés, de Truffaut à Pialat.
“En revivant tout ça, j’ai souvent l’impression d’être encore en montage, que rien n’est fini”, confesse Yann Dedet dans les dernières pages du livre d’entretiens qu’il a réalisé avec Julien Suaudeau. Guidé par la vivacité d’une mémoire intacte et volubile, rembobinant et agençant les moments d’une vie comme les plans d’un film, l’ouvrage est captivant. D’abord parce qu’il retrace l’itinéraire de l’un des monteurs les plus singuliers du cinéma français.
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Dedet y partage avec passion la vision de son métier, “gardien de la vérité émotionnelle du film”, sculpteur chargé d’en capturer son image rêvée. Mais aussi parce qu’à travers cet échange, ce sont les portraits des cinéastes qu’il a côtoyés qui s’esquissent dans un mélange d’anecdotes et d’expertises souvent très fines sur leur travail respectif.
Dans cette profusion de récits, on retient l’extrême concentration de Claire Denis sur le montage de Nénette et Boni, son silence intimidant ; l’analyse très juste et émouvante du cinéma de Garrel, cinéaste-peintre dessinant chaque plan à la faveur d’“un trait de pinceau” pour ne raconter qu’une chose : “sa vie, et (…) dans la vie il n’y a qu’une seule prise” ; ou encore cette longue évocation de François Truffaut, “homme pressé” dont Dedet évoque “le goût pudique de l’accélérateur” qui consiste à couper les silences pour éviter que la pensée ne se brise et que l’ennui ne gagne le spectateur.
“Sous le soleil de Satan”, un chemin de croix
Enfin, il y a cette rencontre, non moins fameuse, avec Maurice Pialat, qui savait orchestrer ses apparitions : “Dis donc, toi qui montes les films du petit gris (aka Truffaut – ndlr), tu pourrais peut-être monter mes merdes ?”
Avec déférence et amusement, Yann Dedet se souvient de leur travail commun, des célèbres frasques du cinéaste, de son goût pour les “accidents qui enrichissent la chair du film”, de la “grâce” et de sa quête, intransigeante, douloureuse, comme elle le fut sur Sous le soleil de Satan, récompensé en 1987 de la Palme d’or mais qui se révéla comme un véritable chemin de croix pour son auteur qui n’en voyait que les erreurs.
Le Spectateur zéro – Conversation sur le montage de Julien Suaudeau et Yann Dedet (P.O.L), 352 p., 22 €
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