Suivant les pas de Bob Dylan, le Francilien signe un premier EP qui sent bon l’air iodé. Contemplatif et minimaliste, « Point sur la Mer” vient tout juste de paraître chez Les Disques Français.
Si vous êtes à sec pour partir en road trip et que le roulis des vagues vous manque terriblement, pas de panique, voici le cadeau de Noël qu’il vous faut : le premier EP de Cipierre. Bien garni en coquillages mais aussi en sable du Grand Ouest, ce songwriter francilien retranscrit, à 24 ans et avec simplicité, des balades tissées à partir de souvenirs respirés et fantasmés gamin.
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“On s’est pris une nuit pour enregistrer le disque : j’ai fait 3- 4 prises de chaque chanson. J’en suis content, car même si il y a des défauts, des petites fausses notes ou des accidents, je trouve que c’est charmant. C’est précisément comme cela que je les avais joué pendant trois ans dans mon studio parisien.”
https://www.youtube.com/watch?v=5md2ZxT-hz4
Enregistré presque entièrement en live, en guitare voix et sur bandes analogiques – à la manière de ses idoles classiques (José Gonzales, Bob Dylan, Robert Johnson) et plus modernes (Aldous Harding, Lomelda, The Milk Carton Kids) – le premier EP de Cipierre est un contre pied assez couillu à la tendance actuelle. Par timidité mais aussi par volonté de rester minimaliste, il respecte ainsi la formule “Less is More”.
“Vers 13/14 ans, j’ai fait une fixation sur Bob Dylan et puis j’e suis remonté jusqu’aux racines, ses influences comme Robert Johnson. De la country, tout ce monde là que j’adore.”
Sans tomber dans le pastiche folk, Tom Vessier (pour l’état civil) tente de tisser un ouvrage sincère, s’aidant d’un langage simple, mais non moins poétique, fuyant le style littéraire enflammé ou ampoulé. Ses textes contemplatifs laissent à chacun plusieurs degrés de lecture, et appellent le plus souvent à la réflexion et au calme intérieur. Mélo qui s’assume, Cipierre se dispense cependant de tout spleen et lourdeur : “j’aime bien être direct, et ça donne des images dans la tête comme un bouquin”.
Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Cipierre choisit d’évoquer la mer (et de prendre comme patronyme le nom de jeune fille de sa mère). Derrière cette métaphore filée de l’océan, il nous confie voir une époque importante de son enfance, marquée par la séparation de ses parents et la solitude. Ses chansons remontent à la surface son enfance et ses envies d’évasion :
“Je trouve que la mer est un thème qui permet de dire pas mal de choses toute en se cachant via des métaphores. A l’époque, j’y allais souvent avec mon père, et c’était un peu particulier comme relation. Je me suis retrouvé souvent seul sur la plage. Ces chansons me ramènent donc précisément à mes pensées de l’époque, face à l’océan.”
De cette mise en scène épurée au possible, on devine facilement un amour sans limite pour ses aïeux folk d’Amérique. La country et le blues américain, font également partis de ses plus lointains souvenirs et obsessions musicales. Quant au choix d’écrire en français, il lui est hérité de ses parents, fans de chanson et de variété.
Un fan d’ethnomusicologie et de chants de marins
Pour construire son personnage, ce grand aventurier des platines cultive depuis l’adolescence, une âme de collectionneur, accumulant des vinyles chinés à prix d’or, et confessant des après-midis passées à chercher “le bon pressage du bon album de Nick Drake”. Autre passion cachée, et prévisible, pour cet amoureux du Grand Bleu : les chants de marins.
“Je les commande sur internet via Smithsonian Folkways Recordings [éditeur américain spécialisé dans les musiques traditionnelles et folkloriques]. Et j’écoute souvent ces chants de marin dans la voiture quand je pars en weekend, je mets ça à fond la caisse, ce qui n’est pas forcément du goût de ma copine (rires). Ce qui est dingue c’est que tu retrouves ça dans la musique folk de Dylan. Ça me fascine. “
https://www.youtube.com/watch?v=VFaJWSkuix0
Et quand ce ne sont pas les marins, c’est l’ethnomusicologie et sa fascination pour les bouquins historiques de la période blues, qui prennent le dessus, comme les travaux du superbe Alan Lomax, auteur de “Le pays où naquit le blues :
“Alan Lomax partait avec son père en reportage pour enregistrer des blues men dans des champs de coton. Et il a sorti des compilations de toute la musique rurale américaine. Extraordinaire.”
Au fond, pas étonnant que ses balades soient chantonnées plus que chantées, et proches du storytelling. Elles s’inspirent de ce bagage musical mais aussi de bouquins qu’ils l’ont forgé. Sur le morceau Rock Island (nom d’une ligne de chemin de fer mythique), on reconnaît aisément son amour pour les épopées américaines, de Saint-Exupéry à John Fanté. Et bien entendu Kerouac, à qui il rend hommage sur le morceau Big Sur. Reprenant ainsi le titre d’un de ses ouvrages, il évoque cette côte sauvage californienne, où l’ambassadeur de la beat génération se retira en ermite. Cipierre emprunte même ses quelques paroles : “I’ll never never never be alone” pour un refrain qui colle à son état d’esprit : “j’aime bien cette idée : avec la poésie, avec la musique, on n’est jamais seul. “
Timide, solitaire, et difficile à faire sortir de son studio (normal pour un ingénieur son de formation), Cipierre ne compte aujourd’hui que 5 ou 6 concerts à son actif. Espérons que ce premier EP déloge le jeune oiseau de sa cage.
EP Le point sur la Mer (Les Disques Français). Disponible sur Apple Music.
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