Revenue d’une enfance en enfer, la Réunionnaise Ann O’Aro danse et chante, soignant le mal par le maloya. Bientôt en concert pour le festival Africolor.
Ann O’Aro écrit et chante en créole réunionnais. L’adaptation en français de sa chanson Kapkap commence par ces mots : “Je vois l’enfant que tu incestues…” Ann O’aro revient de là, d’années de maltraitance, puis du suicide d’un père incestueux, d’une enfance en enfer qu’elle a fuie en partant vers un coin perdu du Québec.
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On l’avait rencontrée en juin à Toulouse, pendant le festival Rio Loco, au lendemain d’un concert intense et terrassant. Ann O’aro parle, et on imagine le film. Un road-movie à l’américaine, avec de la solitude et de l’errance, des départs comme des fuites, des rencontres pour se retrouver, des scènes de crises tristes à mourir et un retour au pays comme une résurrection, la tête haute et le corps enfin plus léger. “C’était chaotique, mais une belle expérience, importante à vivre pour trouver une estime de moi, une confiance, un objectif.”
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L’artiste fait peau neuve
Avant de remonter à la surface, Ann dérive et chute – au Québec, elle tombera même d’un toit, bonne pour rester clouée au lit quelques mois. Puis elle court beaucoup, et marche encore plus, avec des poids de sept kilos aux pieds – “J’avais besoin de me sentir peser, proche du sol. Quand j’enlevais les poids, je courais comme si j’allais voler, et je tombais.” Pour arrimer un corps violenté, si douloureux à habiter.
Expulsée du Québec, elle débarque à Paris sans toit ni loi, et trouve refuge dans un squat d’artistes. La réappropriation de son corps et de sa vie survient alors qu’elle est de retour à La Réunion pour des vacances : elle découvre qu’elle est enceinte. “Pour cet enfant, j’ai voulu construire quelque chose.” Ann O’aro a toujours eu besoin d’expression artistique, même sous la torture. Petite, elle avait appris la musique. A 7 ans, elle était organiste à l’église de son village. Elle a fait le conservatoire, appris la flûte traversière et le piano, travaillé à la maison sous les coups de ceinture du paternel, entre autres brimades.
La création comme leitmotiv
Après la naissance de sa fille, elle rencontre des danseurs, les accompagne au piano, apprend avec eux puis, en 2013, crée une première pièce chorégraphique intitulée Ave Maria Euthanatesaï. “Cette pièce, c’était d’abord un cri et un besoin du corps. Il en est sorti un texte sur l’inceste, qui était abrupt, dur à lire et à entendre tel quel. J’ai donc commencé à le chanter, et le maloya est venu comme ça.” Le premier texte d’Ann, comme les suivants, est sorti en créole, cette langue qu’elle entendait petite mais que ses parents lui interdisaient de parler.
Dans un kabar organisé par Danyèl Waro, elle danse et chante en public pour la première fois, et rencontre son producteur Philippe Conrath (qui est aussi celui de Waro). Depuis, Ann O’aro avance, d’abord avec le duo Oktob, puis en solo. Elle fait des concerts et a commencé à enregistrer son premier album. Elle dompte ses démons et cherche à les comprendre, leur apprend à écrire, à danser, à chanter.
“ Le travail sur les textes était d’abord un exutoire, maintenant c’est une matière avec laquelle je peux jouer ”
Mais au commencement était le verbe. Et à la fin aussi.
“ Mon père est mort, je n’ai pas eu de réponses à mes questions. Dans mon premier texte, je me mettais dans sa tête pour pouvoir répondre à mes questions. Puis, j’ai eu besoin de réhumaniser, de ne pas être qu’une victime, ni lui seulement un agresseur, c’est un questionnement sur les relations humaines. Le travail sur les textes était d’abord un exutoire, maintenant c’est une matière avec laquelle je peux jouer, un cheminement pour trouver les nuances, quelque chose qui peut heurter la morale, mais qui reste profondément ce que je ressens.”
Ann O’Aro se produira au Festival Africolor, plus d’infos sur le site officiel du festival.
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