A l’instar de la série L’Agent immobilier (Arte) dont il est le coauteur avec Shira Geffen, les nouvelles du recueil Incident au fond de la galaxie d’Etgar Keret s’attaquent à l’absurdité de la vie. Férocement drôle.
Ce livre fait partie des choses rares, précieuses, qui nous sauvent en temps incertain : il ne nous fait pas rêver à un monde meilleur, croire en une révolution enfin possible, ni ne sombre dans la vogue collapsologue. Ses personnages ne sont ni héroïques ni pathétiques, mais pris dans les fils emberlificotés d’une réalité vaine, injuste. Une réalité dans laquelle, croyant s’en dépêtrer, ils s’enfoncent encore plus. Un père de famille est transformé en lapin ; sa femme n’y comprend rien et veut, malgré les protestations de leurs filles, le revendre comme un vulgaire animal. Un autre père, divorcé, cède tout à son gosse. Il lui promet ce qu’il veut dans un magasin pour son anniversaire et quand le rejeton exige la caisse, ça tourne au vinaigre. L’humour, quand on sait le manier avec autant d’habileté qu’Etgar Keret, peut transformer la plus triste, la plus tragique des situations en expérience philosophique profonde, presque réjouissante. Parce que c’est ce qui permet de se confronter à ce que l’on ne peut pas changer.
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Férocement drôles, sensibles, les vingt-deux nouvelles qui constituent Incident au fond de la galaxie sont plus réjouissantes les unes que les autres. Perte, filiation, absurdité : on y retrouve les thèmes, ou plutôt les névroses qui caractérisent son auteur, l’écrivain et réalisateur israélien, dont vient de sortir la minisérie L’Agent immobilier, diffusée sur Arte, avec un Mathieu Amalric inoubliable (voir Les Inrocks numéro 1275 du 6 mai).
Un humour noir qui ne tombe jamais dans le ricanement
Comme dans la série, certaines histoires du recueil prennent la tangente, virent au burlesque ou parfois au fantastique pour aborder des sujets délicats. Un gamin surdoué, atteint d’une maladie génétique rare, comprend peu à peu qu’il n’est qu’un clone, la réincarnation d’Hitler, destiné à venger les victimes des camps. Un fils veut faire une surprise à sa mère, l’inviter pour son anniversaire à l’escape room “Incident au fond de la galaxie” dans une petite ville d’Israël. Impossible, c’est le jour de la Shoah, lui répond le gérant des lieux. “Je ne vois aucune raison à la fermeture de votre escape room ce jour-là, rétorque le client. Après tout, la salle est consacrée aux corps célestes et, à ma connaissance, ils n’ont pas dévié de leurs trajectoires pendant que six millions de Juifs étaient envoyés à la mort.” Si l’humour peut être noir chez Keret, il ne tombe jamais dans les facilités du ricanement. Tous les personnages restent touchants, même ceux qui font le mal, parce qu’on les comprend, on partage leurs détresses et autres incohérences.
La nouvelle est un art délicat, difficile. Il faut savoir condenser en quelques phrases son propos, donner chair à des personnages par de brèves indications, suggérer au lieu de développer. Incident au fond de la galaxie excelle en tous ces points, Keret étant d’ailleurs reconnu comme un maître incontesté du genre (plusieurs recueils à son actif). Il nous confiait récemment (à lire sur le site des Inrocks) la raison pour laquelle il avait toujours privilégié cette forme : les crises d’asthme de son enfance. “Très jeune, j’ai compris l’importance d’être concis et précis, sachant que je n’avais que les quelques mots que mon souffle court me permettait pour exprimer mes pensées et mes besoins. Je suppose que cette concision et ce sentiment d’urgence que j’ai ressentis lors de ces crises se manifestent maintenant dans mes écrits.”
Dans l’une des plus belles nouvelles, qui ouvre le recueil, un homme-canon ne rêve que de repartir dans les airs, parce qu’il peut, de là-haut, échapper à la réalité. “Chaque fois que j’écris, nous confie Keret, j’ai l’impression d’être un homme-canon. Quand j’écris, j’ai l’impression de regarder ma vie de très haut dans les airs. Cela la rend à la fois pathétique, absurde, et incroyablement belle.”
Incident au fond de la galaxie (éditions de l’Olivier), traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech, 240 pages, 21,50 €
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