De Philippe Ramette à Céleste Boursier-Mougenot, de Michel Blazy à James Turrell, le festival artistique in situ trouble la gamme de nos perceptions.
Vacillation de la perception ; déviation des trajectoires toutes tracées ; fluctuation de l’écoute : la gamme des émotions que génère le parcours du Voyage à Nantes, proposé comme chaque été par Jean Blaise, s’organise autour de la notion de pas de côté. C’est même à son “éloge” que se livre Philippe Ramette avec une sculpture légère et aérienne, bien qu’en bronze, le représentant dans son costume fétiche, les bras ballants, les jambes écartées, fixant l’horizon, le pied droit détaché du socle, suspendu au-dessus du vide, dans un équilibre faussement précaire. De quoi ce pied est-il le signe ? D’un jeu formel déconstruisant la norme de la représentation, du rapport classique à l’homogénéité d’un bloc sculptural, de la vision trop sûre de l’homme marchant sur terre ?
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Prolongeant plusieurs éloges – de l’adaptation, de la transgression, de la discrétion, de la paresse – disséminés dans la ville comme des “sculptures à réflexion”, celui du pas de côté trouve dans la matière solide du bronze l’esprit d’ouverture à l’insensé et au désordre des agencements formels. Ce désordre ordonné suggéré par Ramette traverse la plupart des étapes du Voyage organisé autour de l’idée subliminale du dysfonctionnement : du son, de la lumière, des éléments naturels, tous soumis à des protocoles hasardeux.
D’œuvre en œuvre au cœur de la ville, une partition commune se joue, indexée à une gamme de perceptions, elles-mêmes liées au contexte urbain et architectural. Les guitares résonnent ici et là durant le parcours, déréglées par les vols fougueux d’oiseaux perchés sur les cordes dans une volière féérique (Céleste Boursier-Mougenot avec sa sublime installation From Here to Ear, à la HAB Galerie), parfois amplifiées par une musique répétitive actionnée par un système de moteurs électriques imaginé par Daniel Firman avec son installation Drone Project dans les sous-sols du Carré Feydeau.
Le choix du détournement sensible
La végétation s’incruste ici et là, comme au Temple du Goût, où Michel Blazy a imaginé un laboratoire envahi de charbon et de végétaux, mais aussi à l’Atelier Particules où Evor, alchimiste fou, à l’image de sa “jungle intérieure” passage Bouchaud, a conçu une exposition collective autour des recompositions étranges du monde végétal et minéral.
Sur la place Royale, c’est la grande fontaine qui “perd ses eaux”, suite aux détraquements que Michel Blazy a orchestré pour prendre à revers l’ordre chronométré et rigide d’une machine huilée. En la faisant déborder, l’artiste en brouille le fonctionnement de manière anarchique et des eaux indociles inondent la place.
La lumière est aussi l’objet d’un dérèglement grâce à la présence de deux œuvres immersives de James Turrell au Musée d’arts de Nantes, Cherry (1998) et Awakening (2006), invitant le spectateur à se plonger dans le noir pour s’accommoder d’une lumière hypnotique. “La lumière est le matériau que j’utilise, la perception le médium, mon travail n’a pas de sujet, la perception est le sujet”, se justifie l’Américain.
Au fil du parcours se déploie une poétique de l’espace urbain par la voie d’un détournement sensible, jusqu’au travail étonnant du collectif Block qui expose à l’école d’architecture des “formes indexées”, entre art et architecture, à l’image d’une boîte Adidas transformée en salle de sport, ou d’une voiture-caravane en apesanteur sur le toit. Du pas de côté à l’apesanteur, de la contamination à l’altération, ce nouveau Voyage à Nantes a tout d’un voyage au centre de la terre renversée. Jean-Marie Durand
Le Voyage à Nantes – Eloge du pas de côté Jusqu’au 26 août
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