Le terme semble déjà désuet. Pourtant Kimberly Drew est bien une slasheuse : celle qui se fait appeler @museummammy sur Instagram est le manitou des réseaux sociaux du Metropolitan Museum à New York (MET), activiste, journaliste et bientôt auteure, membre du #mbcollective initié par Mercedes-Benz. Rencontre avec celle qui est devenue en quelques années une référence dans le milieu de la culture.
« Au début, j’étais mal à l’aise lorsqu’on parlait de moi en tant qu’activiste. Je ne considérais pas mon travail comme de l’activisme ; je travaille pour une institution et j’imagine que des militants trouveraient à redire sur mes écrits. Mais j’ai fini par réaliser qu’on utilisait ce terme parce que je veux voir les choses changer. Et je ne veux pas simplement participer au changement, je veux soutenir et donner de la visibilité aux personnes qui le représente. »
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Ces mots, c’est Kimberly Drew qui les prononce. À 27 ans, la new-yorkaise a déjà la réputation d’être l’une des voix montantes de l’activisme digital. Manager des réseaux sociaux pour le MET (Metropolitan Museum), fondatrice du Tumblr Black Contemporary Art, mais aussi journaliste dont les écrits sont déjà parus dans Glamour, W, Teen Vogue et Lenny Letter. Un talent remarquable qui n’a pas échappé à Mercedes-Benz qui réunit depuis deux ans un groupe de personnalités fortes issues du monde culturel dans le but de mettre en avant des talents émergents et de challenger l’industrie de la mode telle qu’on la connaît aujourd’hui : le #mbcollective.
Cette seconde édition intitulée #WeWonder vise à réfléchir aux potentialités du futur. Aux côtés de Kimberly Drew, on retrouve le commissaire d’exposition Hans Ulrich-Obrist, la chanteuse Solange Knowles, les designers Carol Lim et Humberto Leon de Kenzo, le top model Slick Woods et Kevin Ma, le fondateur d’Hypebeast.
Les yeux dans le tur-fu
Si son nom ne sonne pas autant à l’oreille que celui d’autres membres du collectif, on aurait tort de faire de Drew une millenial sortie de nulle part. En 2011, après un stage au sein du Studio Museum d’Harlem aux côtés de Thelma Golden, « figure incontournable du monde de l’art à qui on doit aujourd’hui la manière dont nous comprenons et historicisons les artistes noirs », Kimberly Drew lance Black Contemporary Art.
Sur ce Tumblr, elle reposte des œuvres d’artistes noirs recommandés par des amis, des professionnels ou juste des passionnés par le sujet. Elle explique : « Au début, c’était surtout un outil éducationnel pour moi. Dans mes cours d’histoire de l’art, on ne parlait jamais d’artistes noirs et mon passage au Studio Museum d’Harlem m’avait donné envie d’en savoir plus. »
Aujourd’hui, on pourrait dire que c’est le blog qui l’a fait connaître. Il faut dire qu’il est au carrefour des questionnements qui secouent actuellement les sociétés occidentales : la place accordée aux personnes minorisées au sein des institutions culturelles ou politique. Qui parle de qui ? Proche du mouvement Black Lives Matter sans en faire partie, elle s’est intéressée au type d’art produit durant cette période et estime déjà qu’il « a eu un impact considérable sur notre manière de comprendre ce moment dans l’histoire américaine. »
Elle remarque malgré tout que si l’époque est favorable à l’émergence de jeunes artistes, il reste difficile pour eux de se faire une place, d’autant plus si leur art ne correspond pas à ce qu’on attend d’eux. « Une pression qui est mise sur les artistes représentant des communautés marginalisées, de se conformer à un certain discours, commence-t-elle. Aujourd’hui, il est difficile pour une femme de faire de l’art qui ne soit pas féministe ou pour un artiste noir de faire de l’art qui ne parle pas de sa communauté. » Avant de conclure : « La difficulté est donc de trouver et d’être soutenu par sa communauté, mais aussi par les institutions. Le mur à franchir est encore trop grand. »
Raconter l’art autrement
En discutant avec Kimberly Drew, on réalise qu’aujourd’hui plus que jamais parler de culture ou d’art parle du monde actuel avec un prisme véritablement politique. Il suffit de voir la polémique déclenchée par Apeshit, le clip de Beyoncé et Jay-Z filmé au musée du Louvre. Preuve s’il en faut que l’ouverture des espaces à toutes sortes de visiteurs et d’artistes reste l’un des grand challenge du milieu de l’art. Pour Drew : « Il est important que les institutions culturelles soient le plus diverses possible, c’est ce que nous devons à l’histoire et à l’avenir. Pendant longtemps, les personnes à la tête des institutions culturelles avaient le même profil, et ça a eu un impact sur la manière dont nous apprenons et visualisons l’histoire. Il faut plus de femmes, de personnes de couleur, de personnes avec des handicaps et venant de milieux sociaux différents, c’est pour moi la priorité. »
En parallèle de ses nombreuses activités, elle co-écrit Black Future avec la journaliste Jenna Wortham. Le but ? Créer un texte fondateur qui représente ce qui se passe actuellement en terme de production culturelle noire. Loin de ne s’intéresser qu’aux artistes américains, le livre souhaite ouvrir un horizon plus vaste de ce que signifie être un « artiste noir » à travers le monde : « Il y a beaucoup de livres qui traitent des artistes noirs à des époques données, notre objectif est de créer un texte qui reflète notre époque en laissant une place importante sur la manière dont les réseaux sociaux ont permis aux artistes noirs d’avoir une meilleure visibilité. »
Quand on lui demande si elle peut nous recommander certains artistes, elle répond avec malice : « Allez faire les portes ouvertes des écoles d’art de votre ville, les vernissages de galeries, les expositions dans les musées. Je crois en la capacité de chacun de trouver l’art qui le rendra heureux. »
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