Sosbebe.org ; ivg.net ; ecouteivg.org… Nombreux sont les sites « faux-nez » des collectifs anti-IVG. Dépression, inactivité, cancer, stérilité… Voici les arguments mis en avant par les partisans de son interdiction, prônant le risque de séquelles incurables sans fondement réel.
« Je m’en veux toujours… c’est compliqué pour moi, même un an après » ; « Maintenant je suis sur la défensive, je n’ai plus de joie de vivre, je dis que je vais bien mais c’est faux. », « Je refuse d’avorter car je crains le cancer »… Voici certains témoignages relayés par la page « IVG : vous hésitez ? Venez en parler », sur Facebook. Surprenant néanmoins de voir que tous ces commentaires, sans exception, sont négatifs et anonymes. Différents sites internet et autres pages Facebook apparaissent, ainsi afin de conseiller et accompagner les femmes qui apprennent leur grossesse, des grossesses pouvant être accidentelles. Si la promesse paraît honorable, il s’avère, en vérité, que ces pages sont des sites « faux-nez » tenus par des militants anti-IVG.
Derrière la neutralité, des cathos pro-life
Les témoignages s’y ressemblent et propagent un grand nombre de fausses informations et d’idées reçues sur l’avortement… Pour cause: « IVG : vous hésitez ? Venez en parler », qui se présente comme neutre, est tenue par les directeurs de publication du site Ivg.net, militants pro-vie catholiques, adeptes de la « méthode Billings », technique de planification familiale naturelle par l’observation du cycle féminin et des périodes de fertilité. Leur site, un des mieux référencés, remportait, il y a quelques temps, un franc succès, arrivant même en tête des résultats de recherche sur Google. Le site Ivg.net, créé en 2008 avait, en effet, une longueur d’avance sur le lancement officiel d’ivg.gouv.fr. Le numéro vert national n’a été lancé qu’en 2015, quand celui du site pro-life fonctionnait bien avant.
Depuis la suppression de la possibilité de faire de la publicité sur ce thème en France, on observe une recrudescence de créations de pages Facebook dédiées aux témoignages concernant l’IVG. Leur cible ? Les jeunes femmes. Le sponsoring sur Facebook est un moyen simple pour cibler un audimat particulier sur des critères comme l’âge ou le sexe. Avec ses syndromes post-avortement présentés comme « scientifiquement prouvés », la page « IVG : vous hésitez ? Venez en parler » semble sélectionner minutieusement ses témoignages.
Un scientifique nommé Mr. Google
Nous avons donc pris contact avec la fameuse page Facebook. Nous simulons une possible grossesse accidentelle, en exagérant l’hésitation à opter pour l’IVG si elle était avérée. La réponse est cinglante : « As-tu lu les témoignages sur notre page ? L’IVG n’est jamais un acte anodin pour une femme et il peut y avoir des séquelles psychologiques importantes ». En lui demandant de mettre des mots sur les risques auxquels une personne s’expose en ayant recours à l’IVG, la personne en face tente de dresser une liste : « Dépression, mal être, culpabilité… Voire problèmes de fertilité…. ». Nous réclamons donc des précisions, des arguments : « Si tu veux une réponse à cette question, va sur Google rechercher : ‘conséquences IVG’« .
Quelques jours plus tard, nous revenons vers cet interlocuteur. Cette fois-ci, un test rendait compte de la véracité de cette « grossesse accidentelle » : « Tous les témoignages que nous recevons montrent à quel point la femme peut être atteinte moralement et physiquement quand elle n’a pas pris le temps de s’écouter, d’analyser ce qu’elle ressent », nous dit-on. Après avoir mentionné un « être profond » avec lequel il s’agirait d’être « en cohérence », la personne poursuit avec une série de questions plus ou moins orientée : « Aimes-tu les enfants ? As-tu déjà subi une IVG ? Es-tu maternelle ? ». Elle évoque le Professeur Nisand, gynécologue obstétricien et co-auteur de Où va l’Humanité ? (Les liens qui libèrent), interpellant sur le fait qu’une grossesse, même récente, ce n’est pas être enceinte « d’un animal ou d’une chose ».
Etudes « médiocres »
Ce qui est certain c’est que l’idée qui est relayée le plus souvent sur ces pages est celle selon laquelle l’avortement participerait au développement de pathologies, telles que des troubles mentaux, l’infertilité ou le cancer du sein. Modératrice de la page Facebook ainsi que fondatrice du site Ivg.net, Marie Philippe, argumente à l’aide de 78 « articles scientifiques ». Néanmoins, ces articles proviennent, la plupart du temps, des mêmes auteurs : le plus disert en ayant rédigé une quinzaine.
Un article de Le Monde a mis en exergue cette désinformation. Le docteur Laurence Esterle, directrice de recherche du CNRS, montre de son côté que les études ayant prétendument prouvé l’existence d’un lien entre avortement et troubles psychiques, seraient en réalité réalisées selon une méthodologie « médiocre ». Un constat tiré de la revue Social Science & Medicine en 2008, stipule, en matière de troubles psychiques, qu’il n’y aurait pas de différence entre les femmes ayant vécu un IVG et celles n’en ayant pas subi. De plus, le Collège national des gynécologues et obstétriciens révélait, en 2016, que l’IVG ne serait pas à mettre en relation avec une augmentation du risque d’infertilité. Enfin, une étude de 2009 réalisée par l’American College of Obstetricians and Gynecologists, réaffirmée en 2018, affirme que le cancer du sein en conséquence d’un IVG serait bien une légende urbaine. Intox ou marketing ?
A la lumière de la désinformation véhiculée sur internet, l’extension de délit d’entrave à l’IVG avait été votée en février 2017. Or, jugée « complexe », la loi semble avoir du mal à s’imposer. En effet, pour prouver l’entrave, il s’agirait de démontrer qu’une femme aurait reçu des pressions ou des menaces assez graves pour qu’elle-même le remarque. Ainsi, les « faux-nez » des anti-IVG survivent. Mais, selon Laurence Rossignol, sénatrice et, à l’époque, ministre des Droits des femmes, à l’AFP : « Si aujourd’hui ces sites se sentent épiés, sous surveillance, et qu’ils font plus attention à ce qu’ils disent, c’est qu’on a un peu réussi ».