En inscrivant les récits de sa cinquième saison dans un canevas déjà exploré par le passé, Black Mirror joue la carte du confort et peine à troubler. La machine est-elle essoufflée ?
Chaque saison de Black Mirror génère au moment de sa diffusion un petit séisme : abondamment commentés, ses épisodes cristallisent avec plus ou moins d’inspiration les fantasmes collectifs liés à une technologie innovante. Au-delà des dérives scientifiques ou des élans dystopiques fantasmés par son créateur Charlie Brooker, les écrans noirs qui colonisent la série offrent un support mouvant à sa verve satirique : plus encore que les vices des machines, ce sont les fragilités humaines qui s’y reflètent.
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Un rapport (é) mouvant à la technologie
On a pu, à raison, reprocher à Black Mirror son pessimisme technophobe et sa tendance à la cruauté gratuite : la plupart de ses récits sont conçus comme des pièges narratifs dont les rets se referment sur les personnages “amoraux” pour les punir, sans égard pour leur complexité psychologique. Que le spectateur soit mis en condition de voyeur-jouisseur ajoute au cynisme de l’entreprise, souvent plus prompte à stimuler nos bas instincts qu’à rencontrer notre sensibilité.
La série nous a pourtant chargés d’émotions plus profondes, que ce soit en accompagnant le deuil impossible de l’être aimé (l’épisode “Bientôt de retour”, S2 Ep.1), l’érosion de la confiance au sein d’un couple (“Retour sur image”, S1 Ep.3) ou la romance 2.0 de “San Junipero” (S3 Ep.4). Loin de tout manichéisme mécanique, ses plus beaux épisodes dessinent un rapport (é) mouvant à la technologie, qui catalyse les affects plutôt que de les assécher et évolue selon la façon dont on s’en empare.
https://youtu.be/bAAbHRU-dgw
Bingo mental
Curieusement réduite à trois épisodes, la cinquième saison de Black Mirror réinvestit certains de ses motifs clés sans vraiment parvenir à les réinventer. En plongeant dans le remake en réalité virtuelle de leur jeu vidéo favori, deux anciens colocataires s’ouvrent à de nouveaux désirs (“Striking Vipers”). Un chauffeur de VTC kidnappe un employé travaillant pour un grand réseau social dans l’espoir de parler à son créateur (“Smithereens”). Une adolescente solitaire s’attache à une poupée robot inspirée de sa chanteuse préférée tandis que cette dernière vit une descente aux enfers (“Rachel, Jack et Ashley Too”).
Difficile, à la lecture de ces arguments, de résister à la tentation d’un petit jeu de Bingo mental pour dénuder le principe de recyclage des livraisons précédentes. La romance technologiquement augmentée (“Pendez le DJ”, S4 Ep.4) se noue dans le creuset d’un jeu vidéo révolutionnaire (“Phase d’essai”, S3 Ep.2, “USS Callister”, S4 Ep.1), le thriller tordu (“Tais-toi et danse”, S3 Ep.2) se tisse dans la toile d’une application populaire (“Chute libre”, S3 Ep.1) et la critique de la société du spectacle (“15 millions de mérites”, S1 Ep.2) se déploie en excroissances transhumanistes (“Blanc comme neige”, S2 Ep.4).
Exploration, guérison, affirmation
En accord avec un virage autoréflexif amorcé avec l’épisode “Black Museum” et solidifié dans le film interactif Bandersnatch, Black Mirror saison 5 se nourrit de ses propres restes, qu’elle régurgite sous la forme alléchante d’un plat tout juste sorti du four mais dont quelques bouchées suffisent à révéler le goût de réchauffé.
Calibrée sur la forme et édulcorée dans sa charge critique, cette nouvelle saison parvient néanmoins à capter avec plus de tendresse qu’à l’accoutumée la solitude d’êtres aux désirs contrariés. Plus qu’un simple défouloir régressif, l’espace virtuel dans lequel se retrouvent les vieux amis de fac devient une safe zone propice à l’exploration de fantasmes inavoués, une prise d’otage sera court-circuitée par un drame personnel et la chronique adolescente glissera vers l’aventure collective.
Exploration, guérison, affirmation : à des degrés divers, les personnages sortiront grandis de leur confrontation à la technologie, qui ne figure plus seulement le tranchant d’un futur déshumanisé mais un onguent possible pour des existences cabossées. Jadis en avance sur les attentes des spectateurs, Black Mirror tente désormais de s’accorder à leurs désirs, et gagne en tendresse ce qu’elle a perdu en mordant.
Black Mirror de Charlie Brooker. Saison 5 sur Netflix
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