Récompensées à la dernière édition du Festival d’Hyères, les trois créatrices du projet H(earring), Julia Dessirier, Kate Fichard et Flora Fixy, développent une collection de prothèses auditives d’un nouveau genre, oscillant entre fonctionnalité et esthétisme. Remarquée par son aspect révolutionnaire et hybride, la première collection d’H(earring) s’inscrit dans une dynamique d’ensemble, voyant les designers émergents intégrer à leurs réalisations des problématiques sociales.
“La technologie fait de tels progrès, je me suis dit : changeons l’image de l’aide auditive, essayons de la rendre belle pour qu’elle corresponde à sa performativité », explique Kate Fichard, photographe et fondatrice de la marque H(earring). Malentendante depuis la naissance et appareillée depuis le plus jeune âge, elle prend conscience de la nécessité de faire évoluer l’image des appareils auditifs, faisant l’objet d’une réelle stigmatisation dans notre société alors même que cinq millions d’individus souffrent de déficience auditive en France.
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Elle réfléchit alors à la conception d’appareils d’un nouveau genre, empruntant au vocabulaire esthétique de la joaillerie tout en restant fonctionnels. “L’univers malentendant est mal perçu et est toujours quelques chose de stigmatisé, reprend Kate. J’avais envie de décomplexer le port de la prothèse auditive pour qu’il s’apparente à celui de la paire de lunettes.”
“Un projet manifeste”
Pour lancer (H)earring – jeu de mots entre les termes « to hear » (entendre en anglais) et « earring » (boucle d’oreille) – elle s’entoure de deux designers produits, Flora Fixy, rencontrée à l’Ecal, et Julia Dessirier, toutes deux à la tête de F&D Studio. Designers engagées, elles mettent dans leur projet l’accent sur la signification plutôt que sur l’aspect commercial. “Le design et la mode peuvent être des disciplines assez fortes pour porter des messages, explique Julia Dessirier. Les projets et les commandes qu’on choisit doivent nécessairement avoir du sens, ils doivent à la fois nous permettre de nous exprimer par la forme et porter un message, un regard nouveau.”
Avant de concevoir le projet H(earring), les trois instigatrices se sont nourries de plusieurs lectures, ainsi que d’autres réalisations comme l’étonnant Eyeborg créé par Neil Harbisson. Souffrant de daltonisme absolu depuis la naissance, il parvient aujourd’hui, par le biais de cet outil, à « entendre les couleurs » : cet appareil transforme les gammes chromatiques en fréquences audibles et lui confère de fait un caractère trans-humaniste. Les facultés humaines sont ici décuplées, transformées pour suppléer à un manque. Un objectif que tentent de relever les trois créatrices de H(earring), mettant en avant l’aspect innovant d’un tel produit.
De la prothèse auditive à l’objet de joaillerie
Plus que des prothèses auditives, les sept premiers prototypes de la collection prennent les contours de véritables bijoux, réalisés en partie par un joaillier. “Au départ, l’idée c’était d’avoir un bijou qui recouvre l’appareil auditif, comme une coque de téléphone, quelque chose qui orne l’appareil tout en le déclinant avec des matières plus nobles.” L’objectif change en cours de route : il s’agit désormais de souligner et mettre en lumière la prothèse, et non de la dissimuler.
Les designers se sont d’abord appuyées sur une première modélisation 3D avant de s’orienter vers le métal en adoptant la technique de la fonte à la cire perdue. Les différents prototypes ont ensuite été envoyés à un joaillier pour qu’il les embellisse et les agrémente de différents matériaux : laiton poli, argent ou encore résine, apportant à l’objet un aspect aqueux. “Kate nous expliquait que sa perception du son est plus ou moins celle que l’on a lorsqu’on est immergé dans un liquide”, explique Flora.
À cette ambition esthétique vient s’agréger d’autres réflexions, comme les problématiques de genre. Cette première collection est unisexe pour coller au mieux à notre époque, où les identités genrées sont moins figées. « L’idée c’est vraiment que les pièces, même paraissant féminines, puissent être portées par les hommes. Nous voulions créer une collection qui reflète notre génération. On veut parler aux gens qui nous ressemblent, être dans une ligne beaucoup plus trans-genre », poursuit Kate.
Pour un design social
H(earring), tout comme les autres projets sélectionnés à la 33ème édition du Festival d’Hyères, rend compte d’un nouvel engagement chez les jeunes designers. On perçoit de plus en plus dans leurs réalisations des problématiques sociopolitiques. Eco-responsables, éthiques, engagés, les mondes de la mode et de l’accessoire n’ont plus pour seule ambition de faire vendre mais bel et bien d’éveiller les esprits.
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Le design social a le vent en poupe même s’il s’agit selon nos créatrices d’une prise de conscience générationnelle, émergeant manifestement d’un contexte spécifique. « Les mondes de la mode et de l’accessoire ont fini par se dire qu’on ne pouvait pas se cantonner à une dimension mercantile, conclut Julia. Ce sont aussi des productions artistiques et comme toute production de ce type, elles peuvent être chargées de sens. »
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