Il était l’un des hommes les plus redoutés de la mafia sicilienne. Mort à 87 ans, « Toto » Riina laisse derrière lui 150 meurtres et un héritage sanglant. Portrait du « parrain des parrains ».
26 peines de prison à vie. C’est ce dont avait écopé le parrain de la Cosa Nostra, principale mafia sicilienne. A 87 ans, Salvatore « Toto » Riina est décédé dans un hôpital au nord de Parme, dans lequel il était incarcéré depuis 1993. Commanditaire présumé de plusieurs centaines d’assassinats (magistrats, journalistes, hommes politiques, policiers), le mafieux a fait régner la terreur sur toute l’Italie pendant plus d’un quart de siècle.
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Même affaibli car atteint d’un cancer, il n’avait rien perdu de sa verve assassine. Placé sur écoute lors de sa détention, il avait a été surpris en train d’affirmer : « Je ne regrette rien. Ils ne me briseront jamais, même s’ils me donnent trois mille ans [de prison] ». C’est donc avec une absence totale de remords que « le parrain des parrains » s’en est allé, ce vendredi.
Le boss de la Cosa Nostra
Toto Riina a tout du mafieux de cinéma. Et pour cause. Il a été le chef du clan des Corleone, rendu célèbre par Le Parrain (1972) de Francis Ford Coppola.
Marlon Brando incarne le rôle de Don Corleone, personnage inspiré de Franck Costello, haut placé dans la Cosa Nostra.
Mais Riina était fait de chair et de sang. Sang qu’il a fait couler tout au long de sa vie. A 18 ans, le natif de Corleone rejoint la mafia sicilienne. Dans les années 1950, il est l’un des bras droits de Luciano Liggio, le parrain de l’époque. Après avoir pris la place de son boss en 1974, il gravit petit à petit les échelons de l’organisation. Dès 1969, il fait l’objet d’un mandat d’arrêt, mais il ne sera appréhendé qu’en 1993 par la police italienne. Entre-temps, « Toto » bataille sur deux fronts pour asseoir son emprise sur l’Italie.
« Soumettez-vous ou mourez »
« U curtu » (« le court »), surnommé ainsi à cause de sa petite taille, se livre d’abord à une guerre intestine. A Palerme, dans les années 1980, les Corelone ne sont pas la seule « famille » à vouloir le pouvoir. Il lance alors ses hommes dans une guerre sans merci contre les autres clans mafieux. Puis, après avoir écrasé ses adversaires, il se lance dans la lutte contre les représentants de l’État italien.
Assassinat des juges Falcone et Borsellino, attentats à la bombe à Rome et à Florence, « le Fauve », comme il est également surnommé, n’a aucun scrupule. Loin de la discrétion de rigueur, Riina gouverne par la terreur et par les coups d’éclat. Sa devise? « Soumettez-vous ou mourez ». Devise qu’il tâchera d’appliquer consciencieusement tout au long de son règne.
Gloire et chute
Condamné par contumace en 1987, il n’a cure des représailles judiciaires. Le mafieux se rit des forces de l’ordre et de la justice. En cavale depuis 1969, Riina gère son empire dans l’ombre. Devenu en 1982 le chef de la Cupola (la « Coupole »), l’instance dirigeante de la Cosa Nostra, il pilote l’organisation mafieuse d’une main de fer. Aux centaines d’assassinats commandités s’ajoutent les centaines de morts liées aux guerres contre les familles mafieuses concurrentes. Trafic de drogue, enlèvements, racket, son emprise tentaculaire est à l’image de la Pieuvre, autre nom de la mafia italienne.
A l’annonce de sa mort, les réactions ne se sont pas fait attendre. « Que Dieu ait pitié de lui, car nous n’aurons pas pitié », a fait savoir une association de victimes de l’explosion de Florence, selon le quotidien italien Fatto Quotidiano. Pour l’archevêque de Monreale, interrogé par l’Associated Press (AP), la mort de Toto Riina « met fin à l’illusoire toute-puissance du parrain des parrains ».
En 2016, Riina avait fait une demande de suspension de peine en raison de son état de santé. Compte tenu de son passif, la demande avait été rejetée par la justice italienne. Enfermé sous le régime du « 41 bis » (isolement total), le parrain était soumis à une surveillance constante.
Muet comme une tombe
« La mort de Toto Riina n’affecte pas l’organisation de la mafia, mais c’est un drame pour la compréhension du système mafieux. Il est parti en emportant ses secrets, notamment ceux qui ont trait aux rapports entre l’Etat et la mafia », explique Clotilde Champeyrache, professeure en économie du crime à l’université Paris 8 et spécialiste de la mafia italienne.
Car si le courroux de Riina était dirigé à l’encontre de certaines personnalités anti-mafias, ce dernier ne se serait pas privé d’entretenir des rapports avec les hauts dirigeants italiens. Surtout avec Giulio Andreotti, figure historique du parti Démocratie chrétienne, plusieurs fois élu à la tête de l’Italie.
« Il est parti en emportant ses secrets » (Clotilde Champeyrache, professeure à l’université Paris 8 et spécialiste de la mafia)
Lors de sa longue cavale, impossible de ne pas penser que Riina n’a pas bénéficié de complicités au sein de la caste politique. « D’autant qu’il a eu quatre enfants durant sa cavale, tous déclarés officiellement à l’état civil », abonde Clotilde Champeyrache.
Muet devant les enquêteurs et les gardiens de prison, Toto Riina, placé sur écoute, a pourtant évoqué la volonté « d’assassiner le procureur anti-mafia Di Matteo », selon la chercheuse. Depuis sa cage, le « Fauve » ne désespérait pas de frapper un dernier grand coup.
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