Deux ans après Tristesse de la terre, Eric Vuillard revient fouiller l’histoire. Ou la Révolution vécue du côté du peuple.
Comme le récit se déroule aux alentours du 14 juillet 1789, on suppose qu’il va y être fortement question de prise et de Bastille. Certes, mais comme un fond de paysage, un arrière-monde. Dans les cuisines de l’histoire, Eric Vuillard prépare un plat principal où le peuple – mais oui, le peuple ! – passe à table.
Bien des historiens (Furet, Ozouf, Manceron) se sont déjà intéressés aux petites gens qui, dans les coulisses du théâtre révolutionnaire, furent tout autant des acteurs principaux que les gloires certifiées. Vuillard est de cette trempe, où les grandes figures perdent la face au profit des sans-visages.
De l’exaspération populaire surgissent des “héros” d’un jour
“Avec emphase, on nous enseigne le règne de chaque roi, ses épisodes. (…) Mais on ne nous raconte jamais ces pauvres filles venues de Sologne et de Picardie, toutes ces jolies femmes mordues par la misère et parties en malle-poste, avec un seul ballot de frusques. Nul n’a jamais retracé leur itinéraire de Craponne à Paris, jusqu’aux grilles du château. Nul n’a jamais écrit leur fable amère.” La fable écrite par Vuillard est amère en effet, qui détaille la disette endémique, notamment lors du redoutable hiver 1788-1789, tandis qu’à Versailles Marie-Antoinette se ronge les sangs à choisir de nouveaux colifichets.
Mais la fable est aussi réjouissante lorsque de l’exaspération populaire surgissent des “héros” d’un jour, voire d’une heure, ouvriers du faubourg, artisans, boutiquiers et tapineuses qui, prolétaires parisiens sans le savoir, émeutiers improvisés et armés à la va-comme-je-te-pille (le canon du roi de Siam chouré au garde-meuble royal !), veulent la prendre, cette putain de Bastille.
14 Juillet leur donne des visages, des corps, des âges, des noms, un état enfin civil : les sieurs Cholat, Guyot, Ferrand. Et aussi des femmes, et pas qu’un peu ! Marie Choquier, Catherine Pocherat, Pauline Léon… Vuillard chope la bonne image : ils sont tous comme les petits bonshommes des noces de Brueghel qui seraient descendus du tableau pour faire le coup de feu.
“Ce sont leurs silhouettes que l’on scrute, que nos yeux supposent, que le brouillard mouille. Et si nous rêvons, il n’y a plus qu’eux.” Ce rêve cavalcadant a quelque valeur politique pour une utopie d’aujourd’hui : “Il faudrait de temps à autre, comme ça, sans le prévoir, tout foutre par-dessus bord. Cela soulagerait.”
14 Juillet (Actes Sud), 208 pages, 19 €
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