Bien disposé à affronter Marvel et DC Comics sur le terrain lucratif des super-héros, Sony a choisi d’adapter un nouvel univers : celui des Harbinger. Parmi eux se distingue le personnage de Faith Herbert, une super-héroïne de « grande taille ». Sony est justement en train de s’atteler à l’adaption de ses comics.
Comme la pub et la mode, l’univers des super-héros est parfois gangrené par des stéréotypes : les hommes apparaissent comme de grands gaillards musclés, plutôt virils, façon Superman et les femmes, minces, élancées et évidemment plantureuses, tendance Catwoman (dont le costume est devenu une sorte de symbole sadomaso). On n’a jamais vu, pour le moment, sur grand écran une super-héroïne hollywoodienne un peu plus en chair que ses consœurs.
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Avec son adaptation de Faith, Sony espère changer la donne. Depuis 1992, Faith Herbert, connue aussi sous son nom de super-héroïne Zephyr, fait partie des Harbinger, une escouade de jeunes gens, créée par Valiant Comics, dotés de super-pouvoirs comme la télépathie ou la télékinésie.
Un univers nouveau
Tombé dans l’oubli, l’univers des Harbinger connaît un heureux revival grâce aux reboots lancés en 2012 toujours par Valiant et traduits en France par la jeune maison d’édition Bliss Comics. Florent Degletagne, le fondateur de Bliss, nous explique que la franchise “développe plein de thématiques sociales que l’on retrouve très peu dans les comics aujourd’hui, à savoir la représentation de la jeunesse, sa place dans la société, le conflit des générations, l’addiction aux drogues…”. Contrairement aux derniers Marvel, Valiant privilégie un ancrage extrêmement contemporain, pas franchement rose-bonbon : “Harbinger, c’est ce que les X-Men devraient être aujourd’hui en plus radical”, poursuit Florent Degletagne.
© Bliss Comics
Au milieu de cette galerie de jeunes gueules cassées, parfois saccagées par la drogue et la rue, Faith fait figure de phare dans la nuit. Toujours positive, débordante d’enthousiasme, elle n’a pas la noirceur du reste des Harbinger. “C’est un pied de nez aux comics très sombre et aux genèses souvent traumatiques des super-héros”, confirme le fondateur de Bliss Comics.
La genèse de Faith
Pourtant on ne peut pas dire que l’enfance de Faith soit exempte de souvenirs douloureux : elle perd ses parents très jeune, dans un accident de voiture, et est ensuite élevée par sa grand-mère. Mais contrairement aux orphelins qui peuplent le genre (Batman, Spiderman), Faith est dépourvue d’esprit de revanche. Elle fait son deuil en épluchant les comics et rêvant, elle aussi, d’un avenir de justicière fait de masques et de haute-voltige.
Bien lotie en super-pouvoirs (elle est capable de voler et déplacer des objets), elle rejoint rapidement le groupe des Renégats pour combattre les forces du mal. Dans les cinq tomes qui lui sont consacrés depuis 2017 par une jeune garde d’auteurs (la scénariste Jody Houser fait équipe avec Francis Portela et Marguerite Sauvage), Faith est une blogueuse pop, un poil timide, qui bosse pour un site d’actus la journée avant de s’envoler, à la nuit tombée, rendre justice dans une Los Angeles remplie de célébrités crapuleuses et de malfrats en tout genre.
Outre ses frasques avec les criminels, la série s’attache aussi à rendre compte de ses tracas du quotidien : trouver un appart, respecter les deadlines au boulot, gérer la relation à distance avec son copain… La plupart des soucis inhérents à un jeune adulte en quelque sorte. Cette dimension « réaliste » contribue à renforcer sa popularité.
© Bliss Comics
“Son poids n’est jamais présenté comme un problème”
Pour concurrencer Marvel (contrôlé par Disney) et DC Comics, Sony s’apprête à rentrer dans le game des super-héros. Pour tirer son épingle du jeu, le géant nippon a donc choisi de porter à l’écran l’univers des Harbinger. D’abord avec Bloodshot (dans lequel jouerait Vin Diesel) puis avec Faith, selon Deadline. Si Maria Melnik est censée écrire le scénario, on n’a pas d’autres détails concernant ses interprètes ni sur l’histoire en question.
Dans le sillon du body positivisme, Jody Houser (Star Wars : Rogue One, Orphan Black), l’auteure du comics, a précisé à People : “son poids n’est jamais présenté comme un problème, ou quelque chose avec lequel les autres auraient un problème. Faith est bien dans ses baskets. Je n’ignore évidemment pas son poids mais je refuse que ça soit un enjeu ou le pitch principal. Je pense qu’il ne serait pas rendre service au personnage que de concentrer le film là-dessus”.
Hollywood’s first plus-size superhero will soon fly into theaters ???? pic.twitter.com/BDc0eUP086
— NowThis (@nowthisnews) 2 juillet 2018
Pour Thierry Rogel, auteur de La Sociologie des super-héros, les problématiques d’exclusion et de diversité ont, en effet, trouvé une résonance dans l’univers des super-héros. “Il faut se rappeler que les créateurs des années 40 sont tous des enfants juifs (immigrés ou enfants d’immigrés) : la question de la différence est en filigrane mais sous le sceau de l’assimilation au modèle américain. C’est net pour Captain America. La question va devenir plus manifeste à partir des années 60 : les premiers X-Men sont une métaphore de l’intégration des noirs américains mais on y voit également nettement une métaphore de la situation des Juifs. Spider Man renvoie à une autre question, celle de l’intégration de l’adolescent, la figure montante de la société des Trente Glorieuses”, nous explique-t-il.
Les super-héros apparaissent comme le reflet de leur société. Avec les deux premiers X-Men et la trilogie des Spiderman, Bryan Singer et Sam Raimi avaient, au début des années 2000, bien assimilé ce phénomène. Mais ce miroir déformant du monde est moins présent depuis que Marvel avec notamment ses Avengers règne sur le genre.
Thierry Rogel le confirme : “Disney a racheté Marvel dans le but de mettre la main sur un public adolescent et masculin qui lui échappait. L’Empire tient à tirer le maximum de Marvel et le recours à des personnages simples et à des bagarres spectaculaires au détriment des questions sur la société, est le moyen le plus direct de faire le profit maximum”. Néanmoins, on a vu apparaître, ces deux dernières années, un personnage féminin d’envergure, bien que toujours fortement sexualisé (Wonder Woman) et le premier super-héros noir (Black Panther).
Ouvrir le genre à d’autres publics
“J’ai entendu des grandes lectrices de comics de 20, 30 ou 40 ans, qui me disent n’avoir jamais vu une héroïne qui leur ressemblait. Je pense que ça montre aux gens qu’ils sont bienvenus dans l’univers du comics et que ce médium est pour eux” déclare Jody Houser à propos de Faith.
En effet, si les Harbinger ne sont pas forcément plus originaux que les X-Men, ils ont le mérite, selon Katchoo, blogueuse fondatrice du Lesbian Geek Blog, d’apporter “un sang neuf” à un genre fatigué par un demi-siècle de dérivés Marvel et DC.“Ils peuvent attirer un public plus large qui n’a pas forcément besoin d’une « culture » super héroïque au préalable”, ajoute-t-elle.
Katchoo constate que le secteur “s’élargit de plus en plus. Les comics de super-héros actuels sont non seulement de moins en moins destinés à une unique catégorie de lecteurs (les hommes blanc hétérosexuels), mais les personnes en charge de ces œuvres sont aussi issues de diverses communautés, origines, ou non pas toutes la même orientation sexuelle”. Concernant l’image des super-héroïnes, elle “va souvent de pair avec l’évolution du rôle des femmes dans notre société occidentale”.
Thierry Rogel analyse ainsi la chronologie de la représentation de la femme dans l’univers des super-héros :“Il y a eu des tentatives louables de création de super-héroïnes autonomes dans les années 40 (dont Wonder Woman) mais par la suite, on a surtout assisté à l‘apparition de clones des personnages masculins, nées de la côte d’Adam : Super Girl, Batwoman… Durant les années 60, malgré leurs pouvoirs, elles restent de faibles femmes qu’on a envie de protéger. Durant les années 80, on voit apparaitre des Bimbos sur-sexualisées. Depuis les années 2000 on voit heureusement apparaitre d’autres personnages que des objets de fantasmes. Mais il faut remarquer qu’aujourd’hui, malgré les efforts des auteurs, qui créent des super-héroïnes de plus en plus puissantes, celles-ci restent très majoritairement pourvues de pouvoirs magiques (à l’images des sorcières) et peu d’entre elles sont des personnages maîtrisant la science et la technique : une absence qui en dit long sur l’image de la femme dans notre société”. À l’heure du hashtag #MeToo et du mouvement Time’s Up, reste plus qu’à espérer que de jeunes créateurs ou créatrices viennent pallier ce manque de représentation.
© Bliss Comics
À lire aussi : Vincent Brunner, Les super-héros, un panthéon moderne, Robert Laffont, 2017 ; Jody Houser, Faith, tomes 1 à 5, Bliss Comics, 2017-2018 ; Thierry Rogel, La sociologie des super-héros, Éditions Hermann, 2012.
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