Trente ans plus tard, Spike Lee remixe son premier film en série. She’s Gotta Have It est vivifiante malgré quelques problèmes.
En 1986, un jeune réalisateur noir américain de Brooklyn, Spike Lee, 29 ans seulement, secouait le cinéma indépendant avec une petite bombe à ranger du côté des coups d’essai/coups de maître de l’histoire des images contemporaines.
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L’énergique She’s Gotta Have It (Nola Darling n’en fait qu’à sa tête) racontait les aventures d’une jeune femme bien loin des clichés années 1980, une artiste en pleine possession de ses désirs, installée dans sa vie d’urbaine vaguement galérienne, entre trois hommes.
https://youtu.be/whvPjWm7ZE0
Le même trio masculin amoureux d’une Brooklyn girl de Fort Greene
Nola, oui, couchait avec trois garçons bien différents, un genre de premier de la classe riche et bien mis, un photographe au corps de rêve, et un microgeek à lunettes fan de Michael Jordan et de punchlines clinquantes, joué par le réalisateur lui-même.
Trente ans plus tard, qu’est-ce qui a changé ? Dans la structure, pas grand-chose. La série Netflix, dont les dix épisodes de la première saison ont tous été réalisés par Spike Lee, reprend le même trio masculin amoureux d’une Brooklyn girl de Fort Greene, légère et souriante – même si d’autres personnages féminins sont plus développés que dans l’original.
Première constatation, du point de vue des normes sociales, une femme capable de vivre trois histoires en parallèle n’est pas plus aisément acceptée en 2017. L’un des meilleurs épisodes de She’s Gotta Have It interroge le corps de son héroïne (jouée par la très convaincante DeWanda Wise) par le biais d’une robe noire courte et moulante, dont chacun.e a une perception différente, de l’admiration sincère au slut shaming.
Le cinéaste de Do the Right Thing a l’ambition de ne pas juger son héroïne et d’inventer avec elle un espace de liberté
Ce que Lee met en perspective à travers ce morceau de tissu sur un corps sexualisé de toutes parts ? L’idée même du regard, celui qui est porté sur soi, celui que l’on aime susciter. Le cinéaste de Do the Right Thing a l’ambition de ne pas juger son héroïne et d’inventer avec elle un espace de liberté. La question n’a rien de neutre, elle s’avère même éminemment politique. Parfois harcelée et même agressée, Nola ne cesse de s’adresser au spectateur comme elle le fait avec ses amants, pour expliquer qu’elle n’appartient à personne. “Je suis une pansexuelle polyamoureuse et sexuellement positive.”
Le mystère de la “black female form”
Lee se place du côté de son héroïne, modèle d’empowerment, même s’il conserve sur elle le regard distancié de l’artiste masculin face à la créature qu’il façonne. She’s Gotta Have It sonde l’expérience d’une jeune femme noire avec une puissance discursive indiscutable, sans l’évidence et la fluidité d’autres comédies actuelles sur le même sujet, Insecure et Chewing Gum, toutes deux créées par celles qui interprètent le rôle principal et beaucoup plus empathiques. Admiratif, Lee reste fasciné par Nola et ne cesse de vouloir percer à travers son existence le mystère de la “black female form” – une expression utilisée à plusieurs reprises pour définir les portraits peints par la jeune femme. Mais il conserve au fond un point de vue extérieur et n’a pas envie de laisser son personnage sortir du cadre qu’il lui a défini.
Transposée dans l’espace-temps trumpesque, Nola demeure évidemment une figure de résistante. C’est sur ce versant-là que le créateur et showrunner gagne la partie. Nola sonne la charge et incarne une Amérique en pleine santé rebelle. Ce She’s Gotta Have It 2017 n’est en rien une redite, plutôt une charge vivifiante et colorée (le film original était presque entièrement en noir et blanc) contre l’élection de Trump, une ode aux corps et à la culture noir.e.s à l’ère de Black Lives Matter.
Comme l’a fait Donald Glover avec son style très différent dans Atlanta, Spike Lee parle de ce qu’il connaît, des rues de Brooklyn postgentrification, des luttes passées et contemporaines, de son amour de la musique. Un monde se déploie pour nos yeux et nos oreilles. De splendides capsules musicales, de Jill Scott à Prince en passant par Maxwell ou Nicki Minaj, ponctuent chaque épisode, en faisant apparaître les couvertures d’albums aimés une fois le morceau fini. Plutôt qu’un geste nostalgique, She’s Gotta Have It est le grand autoremix d’un artiste qui a trouvé le terrain de jeu idéal pour s’amuser et refuse vent debout de détester son époque. Olivier Joyard
She’s Gotta Have It Sur Netflix (en ligne le 23 novembre)
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